Chronique « Le joueur d’échec, »
D après Stefan Zweig, adaptation et dessin de David Sala,
Public conseillé : Adulte / adolescent,
Style : Chronique sociale, roman graphique,
Paru aux éditions Casterman, le 4 octobre, 20 euros,
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L’Histoire
New-york 1941, un paquebot embarque ses passagers pour Buenos Aires. Deux hommes observent les nouveaux arrivant. Parmi la foule, un des hommes reconnaît Czentovic, le champion du monde d’échec, qui part en Argentine après avoir gagné tous les tournois d’Amérique. Enfant d’un pauvre batelier, c’est un inculte notoire et un génie des échecs en même temps !
Piqué par la curiosité, l’homme tente de l’approcher, mais sans succès. Il s’arrange alors pour jouer quotidiennement avec Mc Connor, un ingénieur écossais, sur de lui et piètre joueur. Quant Czentovic passe par là, il ne s’intéresse que mollement à la partie en cours. Par contre, il accepte de jouer le lendemain contre une rémunération…
Ce que j’en pense
David Sala, l’auteur de “Nicolas Eymerich, Inquisiteur” (chez Delcourt) et de “Cauchemard dans la rue” (Chez Casterman) signe son retour à la BD par un one-shot ambitieux. Il s’attaque à une des grandes oeuvres littéraires de notre 20e siècle, en adaptant la nouvelle “Le jour d’échec” de Stefan Zweig. Cette oeuvre sombre, interne, qui se déroule en huis-clos, est particulièrement difficile à mettre en image. David Sala relève le challenge avec brio !
Suivant à la lettre la nouvelle originale, il nous embarque avec un groupe de riches oisifs sur un paquebot en partance pour l’Argentine. A bord, deux hommes tentent, coûte que coûte, de rencontrer une véritable énigme : Czentovic, le champion du monde d’échec. Pour arriver à leur fin, quoi de mieux que de se livrer avec lui à une partie ? Mais l’homme, précédé par une réputation d’inculte notoire, refuse tout contact… jusqu’à qu’il s’agisse d’argent.
Les hommes s’unissent alors pour jouer ensemble (bien mal) contre ce génie des échecs. Mais un inconnu, Monsieur B., s’invite dans la partie, mettant en danger le champion du monde. Qui est-il et ou as-t-il appris à jouer ? Via un Flash-black oppressant et obsessionnel, nous en apprendrons plus sur Monsieur B…
J’ai été littéralement transporté par cette adaptation. David arrive à capter et à traduire toute l’intériorité et les émotions engendrées par le récit. Il nous plonge au coeur d’un huis-clos étouffant, où la barbarie et la culture s’affrontent dans une danse de mort…
Comment représenter le temps qui passe, la solitude et la folie ? David Sala (poussé par ses propres démons et ses intuitions ?) réussit parfaitement ce tour de passe-passe. Jouant sur les cadrage, les répétitions, la rythmique, il crée une partition graphique, comme d’autres composent une mélodie. C’est sensible, beau, évocateur d’émotions.
Au dessin, David Sala fait le pont entre ses différents travaux. Réalisé en couleurs directes (à l’aquarelle), chaque case, chaque planche est une peinture envoutante. De façon un peu anachronique (le récit se passe dans les années 40), il nourrit son dessin de l’art de l’école viennoise (Klimt et Schiele). Les décors, les vêtements, les tapisseries, les sols, toute la décoration est envahie par les motifs géométriques et organiques de l’Art Nouveau et l’Art Déco. C’est riche, éblouissant et presque hypnotique !
Alors, envie de vous laissez embarquer pour un voyage intelligent et sensible à travers le temps et la peinture ? Prenez un billet auprès de David Sala et son “Joueur d’échec”.