Mon père est une femme comme les autres

Mon père est une femme comme les autres

Mon père est une femme comme les autres

En deux mots: Laurent est marié, père de deux enfants. Mais Laurent se sent «femme». Après le travestissement en «Mathilda», il entend assumer son choix et devenir Lauren. Sa famille, et en particulier son épouse, ainsi qui ses collègues vont se voir confrontés à cette nouvelle réalité aussi déstabilisante qu’essentielle. Avec ce superbe roman, Léonor de Récondo s’attaque à un sujet délicat et le traite avec délicatesse.

Ma note: ★★★★★ (coup de cœur, livre indispensable)

Ma chronique :

Mon père est une femme comme les autres

Après le superbe Amours, Léonor de Récondo change totalement d’époque et d’univers pour nous offrir une superbe réflexion sur la question du genre, sur le sexe et sur l’amour. C’est vertigineux et c’est pourtant si simple, c’est dramatique et c’est pourtant si beau.

Fidèle à sa marque de fabrique, elle commence par un chapitre-choc. On y voit Mathilda prendre une lingette démaquillante. Elle « se frotte doucement les yeux, puis commence à retirer ses faux cils. Son visage se déshabille. Lorsque les cils sont rangés dans leur boîte, Mathilda a presque disparu sous les restes de crayon noir, de couleurs brouillées, de mascara étalé jusqu’aux pommettes. » En quelques lignes, on comprend que cette Mathilda est un homme qui se travestit. Que pour l’état-civil, il s’appelle Laurent et qu’il s’apprête à retrouver sa famille.
Bien sous tous rapports, Laurent est heureux en ménage. Il a épousé Solange qui a mis au monde une fille et un garçon désormais adolescents. La famille vit à l’aise, car Laurent peut se targuer d’une belle réussite professionnelle. Comme pour de nombreux couples autour de la quarantaine, l’affection réciproque a pris le pas sur la passion. Et s’il leur arrive de faire l’amour, ils s’endormir enlacés. « Dans ces moments-là, Laurent ne pense pas à Mathilda. En se mariant avec Solange, il a choisi un chemin qu’il ne regrette pas, qu’il revendique comme celui de la stabilité, de la paternité. Il aime le corps de Solange, en connaît les courbes et les creux. Il s’est laissé guider par ses mains et aujourd’hui, après Vingt ans de Vie commune, il éprouve une tendresse profonde pour elle. Solange lui a permis d’accomplir ce qu’il souhaitait le plus ardemment: avoir une famille aimante. »
Seulement voilà, sous couvert de séances au club de sport, Laurent se transforme en femme et part régulièrement rencontrer son amie Cynthia, les trans et travestis au Zanzi, ressentant comme un besoin cette transformation physique. Au petit jeu de la transgression, il va finir par provoquer la révélation de son secret. Au retour de trois jours d’absence avec les enfants, Solange découvre à côté de leur lit une pince avec des cheveux blonds et suit discrètement son mari afin de découvrir sa maîtresse.
On imagine le choc qu’elle ressent en découvrant Mathilda! Mais pour elle, il n’est pas question de baisser les bras, bien au contraire. Cette «déviance» doit être soignée, cette «maladie» éradiquée. « Solange s’est trouvé une mission: le rendre à lui-même. Elle y arrivera. Il se verra tel qu’il est. Impossible qu’elle se soit méprise tant d’années. Et le vertige la prend quand elle l’imagine vivre dans la mauvaise peau, le mauvais corps, le mauvais sexe. »
Sauf que Léonor de Récondo continue à jouer sa partition mezzo-voce, pianissimo. Autour de la table familiale, il suffira qu’un débat s’engage pour savoir si sa fille peut s’épiler les sourcils pour que le secret soit éventé, pour que Laurent devienne Lauren, pour que le «il» se transforme en «elle».
À mille lieues d’une thèse scientifique ou d’un brûlot politique, c’est une histoire simple qu’il nous est donné de suivre. Celle d’un homme qui entend vivre avec la sexe qui lui convient le mieux, sans pour autant heurter ses proches ni même ses collègues. Bien entendu, il lui faudra se heurter à l’incompréhension des uns, au rejet des autres. De ce point de vue, la scène durant laquelle sa fille appelle une chaîne de radio pour exposer son problème est particulièrement éclairante, tout comme celle qui voit Lauren se présenter sur son lieu de travail.
Le temps du positionnement est venu. Ou, en d’autre mots, nous voici au point cardinal. Son fils choisit de quitter le domicile familial, sa fille choisit de la soutenir. Solange ne veut pas le perdre. Avec maestria, la romancière en vient aux questions essentielles: « Combien de temps faut-il pour être soi-même? Et je voudrais demander cela à tous ceux qui n’ont pas à changer de sexe. Combien d’années, de décennies, pour être en adéquation? Adéquation de corps, adéquation de rêves, adéquation de pensées, avec ce que nous sommes profondément, cette matière brute dont il reste quelques traces avant qu’elle ne soit façonnée, lissée, rapiécée par la société, les autres et leurs regards, nos illusions et nos blessures. »
Dans un style d’un beau classicisme, dans une langue qui préfère la fluidité aux fioritures, Léonor de Récondo nous offre un roman fort et essentiel, en adéquation à cette réflexion d’Emma Watson qui concluera parfaitement cette chronique: «Les hommes et les femmes devraient avoir tous deux le droit d’être sensibles. Les hommes et les femmes devraient avoir tous deux le droit d’être forts. Il est temps de considérer le genre comme un spectre et non plus comme deux idéaux opposés.»

Point cardinal
Léonor de Récondo
Sabine Wespieser Editeur
Roman
232 p., 20 €
EAN : 9782848052267
Paru en août 2017

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris, avec l’évocation de vacances au bord de la mer.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Sur le parking d’un supermarché, dans une petite ville de province, une femme se démaquille. Enlever sa perruque, sa robe de soie, rouler ses bas sur ses chevilles : ses gestes ressemblent à un arrachement. Bientôt, celle qui, à peine une heure auparavant, dansait à corps perdu sera devenue méconnaissable.
Laurent, en tenue de sport, a remis de l’ordre dans sa voiture. Il s’apprête à rejoindre femme et enfants pour le dîner. Avec Solange, rencontrée au lycée, la complicité a été immédiate. Laurent s’est longtemps abandonné à leur bonheur calme. Sa vie bascule quand, à la faveur de trois jours solitaires, il se travestit pour la première fois dans le foyer qu’ils ont bâti ensemble. À son retour, Solange trouve un cheveu blond…
Léonor de Récondo va alors suivre ses personnages sur le chemin d’une transformation radicale. Car la découverte de Solange conforte Laurent dans sa certitude: il est une femme. Reste à convaincre ceux qu’il aime de l’accepter.
La détermination de Laurent, le désarroi de Solange, les réactions contrastées des enfants – Claire a treize ans, Thomas seize –, l’incrédulité des collègues de travail : l’écrivain accompagne au plus près de leurs émotions ceux dont la vie est bouleversée. Avec des phrases limpides et d’une poignante justesse, elle trace le difficile parcours d’un être dont toute l’énergie est tendue vers la lumière.
Par-delà le sujet singulier du changement de sexe, Léonor de Récondo écrit un grand roman sur le courage d’être soi.

Les critiques
Babelio
Télérama (Marine Landrot)
ELLE (Jeanne de Ménibus)
Marie Claire (Gilles Chenaille)
Blog Bricabook 
Blog Entre les lignes (Bénédicte Junger)
Blog Sur la route de Jostein 

Les premières pages du livre
MATHILDA CONDUIT JUSQU’AU ROND-POINT, puis se gare sur le parking du supermarché. Presque personne à cette heure-ci. Elle choisit une place loin de l’entrée, éteint le moteur, insère le disque dans la fente du tableau de bord. À l’ombre de la grande enseigne, la musique surgit, le volume à son maximum. Oh Lord who will comfort me? Mathilda cale un miroir sur le volant, se regarde, se trouve belle et triste à la fois, observe son menton, son nez, ses lèvres. C’est le moment du dépouillement, le pire de tous. Elle sort de la voiture, ouvre le coffre. Sous la moquette, la roue de secours a disparu pour abriter une mallette. Elle la saisit en tremblant. Combien de temps encore? Mathilda se rassoit, la mallette en aluminium lui glace les cuisses. Elle actionne les petits clapets, qui se soulèvent avec un bruit sec. Elle prend une lingette démaquillante, se frotte doucement les yeux, puis commence à retirer ses faux cils. Son visage se déshabille. Lorsque les cils sont rangés dans leur boîte, Mathilda a presque disparu sous les restes de crayon noir, de couleurs brouillées, de mascara étalé jusqu’aux pommettes.

Extrait
« L’entraînement à la salle de sport, c’est l’excuse de Laurent. Tout a commencé à cause de ses douleurs et d’une furieuse envie de maigrir. Pendant plusieurs mois, à l’extérieur et en salle, il a pédalé sans relâche. Il reprenait son corps en main, les effets étaient grisants. Muscles affinés, peau tendue et surtout jambes épilées.
Quand Solange l’avait vu sortir de la salle de bains les jambes rasées, elle l’avait regardé, éberluée. Il avait justifié son geste par la prise au vent ¢ oui, même en salle, avait-il ajouté, et la transpiration se répartit mieux, tu sais. C’est comme ça, dans la famille des cyclistes. Elle s’était gentiment moquée de lui, il n’y avait prêté aucune attention.
Maintenant, il ne se rase plus, il s’épile à la cire. Ses mollets luisants et lisses lui procurent, quand il se caresse, une sensation de plaisir indéfinissable, une vague chaude qui le plonge au plus profond de son enfance, quand tout lui semblait encore possible. »

À propos de l’auteur
Léonor de Récondo, née en 1976, débute le violon à l’âge de cinq ans. Son talent précoce est rapidement remarqué, et France Télévisions lui consacre une émission alors qu’elle est adolescente. À l’âge de dix-huit ans, elle obtient du gouvernement français la bourse Lavoisier qui lui permet de partir étudier au New England Conservatory of Music (Boston/U.S.A.). Elle devient, pendant ses études, le violon solo du N.E.C. Symphony Orchestra de Boston. Trois ans plus tard, elle reçoit l’Undergraduate Diploma et rentre en France. Elle fonde alors le quatuor à cordes Arezzo et, grâce au soutien de l’association ProQuartet, se perfectionne auprès des plus grands maîtres du genre (Quatuor Amadeus, Quatuor Alban Berg). Sa curiosité la pousse ensuite à s’intéresser au baroque. Elle étudie pendant trois ans ce nouveau répertoire auprès de Sigiswald Kuijken au Conservatoire de Bruxelles. Depuis, elle a travaillé avec les plus prestigieux ensembles baroques (Les Talens Lyriques, Le Concert d’Astrée, Les Musiciens du Louvre, Le Concert Spirituel). De 2005 à 2009, elle fait partie des musiciens permanents des Folies Françoises, un ensemble avec lequel elle explore, entre autres, le répertoire du quatuor à cordes classique. En février 2009, elle dirige l’opéra de Purcell Didon et Enée mis en scène par Jean-Paul Scarpitta à l’Opéra national de Montpellier. Cette production fait l’objet d’une tournée. En avril 2010, et en collaboration avec la chanteuse Emily Loizeau, elle crée un spectacle mêlant musique baroque et musique actuelle.
Léonor de Récondo a été premier violon sous la direction de Vincent Dumestre (Le Poème Harmonique), Patrick Cohën-Akenine (Les Folies Françoises), Enrico Gatti, Ryo Terakado, Sigiswald Kuijken. Elle est lauréate du concours international de musique baroque Van Wassenaer (Hollande) en 2004.
Elle fonde en 2005 avec Cyril Auvity (ténor) L’Yriade, un ensemble de musique de chambre baroque qui se spécialise dans le répertoire oublié des cantates. Un premier disque de l’ensemble paraît chez Zig-Zag Territoires autour du mythe d’Orphée (plusieurs fois récompensé par la presse), un deuxième de cantates de Giovanni Bononcini en juillet 2010 chez Ramée.
Léonor de Récondo a enregistré une quinzaine de disques (Deutsche Grammophon, Virgin, K617, Alpha, Zig-Zag Territoires) et a participé à plusieurs DVD (Musica Lucida).
En octobre 2010, paraît son premier roman, La Grâce du cyprès blanc, aux éditions Le temps qu’il fait.
Depuis 2012, elle publie chez Sabine Wespieser éditeur : en 2012, Rêves oubliés, roman de l’exil familial au moment de la guerre d’Espagne. En 2013, Pietra viva, plongée dans la vie et l’œuvre de Michel Ange, rencontre une très bonne réception critique et commerciale. Amours, paru en janvier 2015, a remporté le prix des Libraires et le prix RTL/Lire. Point cardinal est paru en août 2017. (Source : Sabine Wespieser éditeur)

Site Wikipédia de l’auteur 

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