"Ne faites confiance à personne d'autre. Je suis un menteur, mais les autres sont pires".

ATTENTION, CE BILLET CONCERNE LE TROISIEME TOME D'UNE SERIE.
- Billet sur le premier tome : "L'Ombre du pouvoir" (disponible en poche chez Folio).
- Billet sur le deuxième tome : "Le Fou prend le Roi" (disponible en poche chez Folio).
P*tain, deux ans, comme le disait une célèbre marionnette ! Et même près de deux ans et demi ! C'est le temps qui s'est écoulé entre la sortie des tomes 2 et 3 de la série dont nous allons parler aujourd'hui. Et c'est loooooong, deux ans et demi. Alors, forcément, à l'annonce de l'arrivée de ce troisième tome du "Bâtard de Kosigan", l'excellente série de Fabien Cerutti mêlant fantasy historique et uchronie, on s'est jeté dessus comme des morts de faim. Et on va en reprendre pour quelques mois d'attente, soyez prévenus ! "Le Marteau des sorcières", c'est le titre de ce troisième volet, paru aux éditions Mnémos il y a près d'un mois, qui poursuit dans sa double trame narrative et fait monter la tension avant le bouquet final que sera le dernier tome. Et ça barde, au XIVe siècle comme à l'orée du XXe, avec tout un tas de choses qui sont brusquement remises en question. On nous cache tout, on nous dit rien, ou plus exactement, on ne sait pas encore qui croire...
Après s'être mis à dos les deux souverains les plus puissants d'Europe, il devenait urgent pour le Bâtard de Kosigan et sa troupe de loups de se mettre au vert. Direction le Saint Empire germanique, dans lequel l'ambiance devrait être plus respirables. Les commanditaires seront moins regardant envers celui qui, de l'autre côté du Rhin, est un traître que tous voudraient voir pendu.
Kosigan a mis sa troupe de mercenaires au service d'un grand seigneur de Westphalie, le duc de Hohenstaufen. Un choix qui n'a pas été fait au hasard : cet homme puissant pourrait bien être le futur occupant du trône du Saint Empire. Quitte à servir quelqu'un, autant viser au plus haut, et Kosigan commence à avoir l'habitude d'obtenir leur confiance (pourtant pas toujours méritée).
C'est donc à Cologne que la carrière du Bâtard va se poursuivre, en cette année 1341. Et, comme toujours, si le choix est guidé par des considérations liées aux affaires et au pouvoir, et à tout ce qu'il peut en retirer, Kosigan a mis plusieurs fers au chaud. Car sa venue en Westphalie n'est pas un simple moyen de fuir ses ennuis franco-anglais.
Kosigan est bien décidé à retrouver les traces de sa mère, afin d'éclairer son passé familial. Depuis quelque temps, il en a appris de belles sur lui-même, certaines choses qu'il subodorait, d'autres qui l'ont surpris. Alors, il veut en avoir le coeur net et savoir qui était vraiment sa mère afin de comprendre une bonne fois pour toutes qui il est vraiment.
Il s'offre donc les services d'un humal, un homme à tête de lion, Gunthar von Weisshaupt, afin de lui faire un topo complet sur la situation dans la région, et plus particulièrement, tout ce qui touche à la sorcellerie, puisque c'est bien dans cette direction qu'il va devoir chercher pour éclairer sa lanterne. Mais son enquête tombe mal...
En effet, l'Eglise a décidé de lancer son Inquisition sur la piste des sorcelières pour s'en débarrasser purement et simplement. Des opérations de grande envergure qui pourraient contrecarrer les plans de Kosigan. A lui de savoir jouer avec finesse, car, à la cour du duc de Hohenstaufen, il va se retrouver face à quelqu'un qui pourrait ne pas apprécier sa présence dans la région...
Il s'agit du cardinal de Las Cases en personne, responsable du Saint-Office de l'Inquisition. Le bras droit du Pape, en personne, celui qui est en charge des basses oeuvres et dont la mission est claire : éradiquer les vieilles races et les créatures magiques au plus vite pour permettre à la religion catholique d'asseoir son pouvoir sans aucun partage. La mise au vert de Kosigan s'annonce mouvementée...
Ce n'est guère plus calme du côté de ceux qui découvrent le journal de Kosigan, plus de 5 siècles plus tard. Les recherches menées par Kergaël de Kosigan, descendant du Bâtard, et ses amis commencent à donner des résultats absolument incroyables : les indices s'accumulent laissant penser que les écrits du XIVe ne sont ni des faux ni une oeuvre romanesque, mais bien un récit réel.
Un récit qui, évidemment, remettrait en cause toute la vision que nous avons de l'Histoire de France, de l'Europe et du monde, disons les choses clairement : tout ce que nous croyons être des légendes auraient bel et bien existé ! S'ils réussissaient à apporter des preuves incontestables de ce qu'ils pensent avoir découvert, alors, ce serait un cataclysme, une révolution intellectuelle.
Seulement, et Kergaël de Kosigan, déjà victime d'une agression, est bien placé pour le savoir : lorsqu'on s'approche trop près de telles vérités, on risque de déranger ceux qui ont tout fait pour les laisser dans l'ombre... Pour Kosigan, les Deighton, Lavisse ou Delisle, il va falloir redoubler de prudence, tout en recherchant des éléments décisifs...
Nous revoilà donc dans cet univers si particulier du "Bâtard de Kosigan", à cheval sur deux époques, sur deux mondes, presque, et porté par toutes ces incertitudes distillées depuis le départ. Qui ment, qui dit la vérité et que nous cache-t-on ? Entre fantasy et uchronie, on ne sait toujours pas sur quel pied danser et c'est drôlement bien.
Ce troisième tome, si longtemps attendu, voit les choses sérieusement s'accélérer. Mais, chose étonnante, c'est plutôt dans la partie XIXe siècle (qui, ai-je l'impression, gagne du terrain dans la narration) que des événements mystérieux vont se dérouler, ajoutant un peu plus au mystère global de cette série. Mais aussi aux rôles des uns et des autres...
Cette partie qui se déroule entre 1899 et 1900, prend même quasiment des allures de thrillers et le jeu narratif qui utilise le récit épistolaire renforce cette impression de tension : les personnages de cette période ne sont jamais réunis, ou alors par le biais du téléphone. Comme le lecteur, ils sont plus souvent témoins qu'acteurs et se posent autant de questions que nous sur les événements.
Avec cette grande différence par rapport à la partie se déroulant au XIVe siècle : les personnages impliqués dans cette histoire sont, pour la plupart, des universitaires, des chercheurs, pas vraiment des hommes d'action. Ils sont donc déboussolés quand la situation va déraper et leur échapper complètement...
En revanche, pas de changements dans la partie située en 1341 : de l'action, beaucoup d'action, mais pas seulement. Les manigances de Kosigan et des autres personnages font de Cologne une espèce d'échiquier à plusieurs dimensions. Et, comme souvent, le Bâtard et ses loups vont se retrouver pris entre plusieurs feux.
Entre l'enclume et le marteau... des sorcières (ah, ah, ah...). Politique, religion, sorcellerie, un mélange à peu près aussi dangereux qu'une charge nucléaire. Et, comme l'indique cette réponse faite à un autre personnage par Kosigan mise en titre de ce billet, impossible de faire confiance à qui que ce soit dans ce panier de crabes westphalien.
Ayant quitté le Royaume de France où il était devenu personna non grata, Kosigan va découvrir à Cologne une situation tout aussi inconfortable et dangereuse. Mais, cette fois, ce ne sont pas deux souverains qui s'affrontent, mais bien des pouvoirs plus formidables encore. Pas sûr que Kosigan ait beaucoup d'ami dans aucun des camps, ni que la perspective d'en voir un triompher soit rassurante...
Si vous avez aimé les deux premiers tome, si vous avez été emportés par cette histoire très originale et sa narration fascinante et déroutante, alors, vous devriez dévorer ce troisième volet qui reprend les mêmes ingrédients. Mais qui nous apporte encore de nouvelles questions sans encore fournir le moindre petit début de réponse (même si un ou deux indices peuvent apparaître en bas de votre écran).
Présente discrètement dans les deux premiers volets, la religion catholique joue cette fois un rôle primordial, dont on se dit qu'il pourrait d'ailleurs expliquer en partie l'étonnement des personnages impliqués dans la partie XIXe. L'Eglise, ayant triomphé, aurait-elle fait disparaître toutes les traces d'un monde qu'elle rejette pour les reléguer au rayon mythes et légendes ? C'est fort possible.
Fabien Cerutti joue d'ailleurs beaucoup dans "le Marteau des sorcières" sur la limite réalité/fiction, sur ces textes, ces oeuvres d'art qui pourraient nous parler du réel tel qu'on le concevait il y a des siècles et dont on a fait (ou pas ?) un folklore, une mythologie, des éléments de fantasy... Tout ce qui défie notre raison, nos connaissances scientifiques et historiques.
Encore une fois, on trouve un cocktail bien balancé entre action et réflexion, entre jeux de pouvoir et grosse baston (à commencer, presque dès le début, avec une rencontre avec un troll encore plus mal embouché que celui que met en scène Jean-Claude Dunyach), espionnage et magie... Kosigan et ses acolytes marchent sur des oeufs et le lecteur n'est pas au bout de ses surprises.
D'autant que notre cher auteur, non content de nous avoir laissé poireauter pendant 30 loooooongs mois, nous a ménagé une bien vilaine surprise : une fin très cut, avec un cliffhanger de chez cliffhanger. En effet, tomes 3 et 4 s'enchaînent et il va falloir une nouvelle fois patienter, heureusement moins longtemps : le dénouement devrait arriver au printemps prochain !
Autour de Kosigan, les personnages habituels de sa bande, toujours aussi dévoués, même quand ça râle un peu (Dun, la Changelin, qui tient toujours un rôle important dans ce troisième volet, a son petit caractère, malgré son abnégation). Et puis, plein de petits nouveaux qu'il va falloir cerner, dans l'entourage proche du duc, par exemple.
Sur le Cardinal, je ne dis rien, je vous le laisse découvrir. Dans la grande tradition dumassienne, la pourpre cardinalice n'est pas vraiment un synonyme de bonté d'âme et de bienveillance. Comme si Kosigan manquait d'ennemi, en voilà un tout désigné, porté par la certitude que donnent la Foi... et l'ambition forcenée.
Enfin, d'autres éléments vont intervenir, forcément, l'effervescence est grande chez les créatures magiques, devant l'arrivée de cet épouvantail chargé de leur régler leur compte. Mais, comme depuis le début de la série, ces lignes de fractures entre humains et créatures fantastiques n'ont rien à voir avec les lignes séparant le bien du mal et les gentils (bien peu nombreux) des méchants...
Quant à la partie XIXe, je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je soupçonne de plus en plus une sacrée entourloupe signée Fabien Cerutti, qui devrait nous sortir un bon petit nombre de lapins de son chapeau lors du tome 4... Et voilà, avec tous ces doutes, toutes ces questions, tous ces événements chamboulant tous nos repères, ça finit par rendre parano...
Ah, un dernier petit mot, ce diable de Fabien Cerutti est dans les détails, on le sait, comme par exemple, les noms des personnages... Comme dans les deux premiers tomes, il joue avec cet élément qu'on néglige de surveiller. Regardez-les, ces noms, certains vous révéleront quelques surprises : certains en ajoutant à la dimension uchronique, d'autres, en jouant avec les mots.
Le plus évident, c'est le titre de ce troisième volet, "le Marteau des sorcières". J'ai pris soin de ne pas le contextualiser, il faut vous laisser découvrir pourquoi on retrouve cette expression dans cette histoire. Mais, bien sûr, on songe au traité rédigé à la fin du XVe siècle (euh, dans la version du monde qui est la nôtre, enfin, je crois), par deux dominicains et instaurant la chasse aux sorcières.
Vous me direz, c'est logique, puisque ce troisième volet repose en grande partie sur un gigantesque projet de chasse aux sorcières dans lequel Kosigan va se retrouver impliqué bien malgré lui (il aurait préféré enquêter plus sereinement, sans doute, pour retrouver trace de sa mère), mais Fabien Cerutti, dans la lignée de ce que nous avons dit, brouille les pistes en plaçant cette expression dans un autre contexte...
Cela permet de vous glisser un mot sur les annexes qu'on trouve à la fin du roman. Il y en a plusieurs, mais une s'intéresse aux personnages, avec leurs noms et quelques indications. Le premier de la liste, c'est notre fameux cardinal... Puis-je vous suggérer de vous intéresser à son nom complet ? Je soupçonne l'auteur de ne pas l'avoir choisi en feuilletant l'annuaire ou en jouant aux fléchettes...
Et maintenant, place au tome 4. Enfin, bientôt...

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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois