Désobéir de Frédéric Gros

Désobéir de Frédéric GrosComme c’est difficile de désobéir, que ce soit à un ordre donné par un supérieur hiérarchique ou une loi qui nous parait injuste. Pourquoi nous comportons-nous comme des petits soldats bien obéissants ? La peur de sortir du rang, de se singulariser ? le conformisme ? La peur du changement, le confort de la routine ? Ou bien un mélange de paresse et de lâcheté ? Voilà la question primordiale à laquelle s’efforce de répondre Frédéric Gros en balayant les motivations humaines, les blocages culturels ou psychologiques et en puisant de nombreux exemples dans l’Histoire ou la littérature, d’Antigone à Thoreau en passant par La Boétie, ou encore le procès Eichmann et l’analyse d’Hannah Arendt ou la glaçante expérience de Milgram (l’obéissance à l’autorité).

Si j’ai tout de suite postulé pour cet ouvrage, c’est évidement car le propos m’intéressait au plus haut point mais aussi parce que la désobéissance civile s’inscrit à mes yeux dans une résistance citoyenne à la destruction de notre planète. Quand je pense désobéissance, je pense en particulier aux zadistes partout dans le monde, aux lanceurs d’alerte, mais aussi les objecteurs de conscience. Ces personnes ont trouvé le moyen de désobéir en engageant leur responsabilité, en opposant devrais-je écrire, leur responsabilité individuelle à la passivité collective. De toutes les pistes de réflexion proposées par Frédéric Gros, l’une d’elle en particulier m’a frappée, et qui fait écho à cette fameuse « banalité du mal » évoquée par Hannah Arendt à propos du nazisme. Lorsqu’on ne désobéit pas, lorsqu’on renonce à critiquer, à défendre la justice et l’égalité, on devient complice, et même, aussi sûrement coupable que ceux qui cherchent à nous soumettre.

«… on se dit que tant de déraison – cette monstruosité démente des inégalités – doit avoir une explication supérieure, théologico-mathématique au moins, et elle ne serait que de surface. C’est bien là la fonction atroce de l’introduction du formalisme mathématique en économie : innocenter celui qui engrange des bénéfices. Non, il n’est pas le salaud de profiteur qui fait crever l’humanité, mais l’humble serviteur de lois dont la souveraineté, la complexité échappent au commun des mortels. J’entends la voix de ces dirigeants surpayés, de ces sportifs millionnaires. Ils se donnent une conscience facile en opposant : «Mais enfin, ces émoluments exorbitants, je ne les ai pas exigés, on me les a proposés ! C’est bien que je dois les valoir.» Allez dire aux travailleurs surexploités qu’ils méritent leur salaire et qu’ils sont sous-payés parce qu’ils sont des sous-hommes.

Pour autant, cet essai n’est pas un appel à la désobéissance, il est plus que ça : c’est un outil destiné à nous faire réellement réfléchir, à nous mettre face à nos responsabilités. Il ne s’agit de désobéir pour le plaisir, histoire de mettre le bazar en société, il s’agit de s’interroger sur la façon dont on peut s’opposer à des mauvaises décisions, à des ordres stupides, dont on peut endiguer le flot des injustices, par des moyens divers et variés, adaptés à la situation et à la personne. Désobéissance ne rime pas forcément avec violence.

Et parfois, la désobéissance, la résistance, se nichent dans de petits actes anodins. J’aime à donner souvent le même exemple sur un thème qui me tient à coeur, dont je parsème souvent mes billets : quand le citoyen se rend compte que les autorités, le gouvernement, à grands renfort d’explications scientifiques destinées à nous rassurer, font main basse sur notre alimentation et notre santé, quand les intérêts économiques priment sur tous les autres, quand ils interdisent l’échange de semences bio, permettent aux multinationales de breveter le vivant, et déclarent la guerre au purin d’ortie, alors, le devoir de chacun c’est de désobéir en cultivant un carré de légumes bios, en utilisant le purin d’ortie au potager, en aidant à développer des jardins familiaux, en échangeant graines et plants avec son voisin. C’est peu et c’est beaucoup à la fois. Et c’est un premier pas.

« Obéir, c’est se faire « le traitre de soi-même ». Au bout du compte on n’obéit pas, ou peu, par peur de l’autre. Ce dont on a peur vraiment – l’inquisiteur de Dostoïevski le redira encore après La Boétie – c’est de la liberté, celle qui oblige, qui met en demeure, et déclenche en chacun de nous ce mouvement de désobéissance qui commence par soi-même ».

Voilà en tout cas un essai à mettre entre toutes les mains, clair et abordable même pour une hermétique à la philo comme moi, à lire et relire. Merci à Babelio et Albin Michel.

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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois