Interview de Sylvain de Mullenheim

Il y a un mois nous avons critiqué sur les nouvelles plumes « Dieu, l’Etat et moi » de Sylvain de Mullenheim. Outre le fait que j’ai simplement adoré le livre et je vous avais promis de cuisiner l’auteur, ce qu’il a accepté de bonne grâce.

Bonjour Sylvain. La quatrième de couverture vous présente juste comme « lobbyiste à Bruxelles », ce que j’ai trouvé très vague et pas très flatteur. Qui se cache donc derrière « Dieu, l’Etat et Moi » ?

Bonjour Ciena. Je travaille depuis une douzaine d’années dans l’industrie des énergies renouvelables dans des fonctions de développement et de vente.  Mais j’ai commencé ma carrière dans les affaires publiques à Bruxelles et Paris, dans le secteur de la défense notamment. Être lobbyiste n’est ni plus ni moins flatteur qu’un autre métier. Quand un architecte veut construire une maison, il parle avec la mairie. Globalement les règles sont claires et connues. C’est assez simple. Mais quand un industriel veut fabriquer un produit nouveau, surtout si ce produit est un peu compliqué, il faut un dialogue très poussé avec l’État pour définir les règles du jeu, faire comprendre aux deux parties les besoins de chacun et poser un cadre dans la durée. Un lobbyiste sert à cela.

Comment vous est venu l’idée d’écrire un roman et ce livre en particulier ?

Écrire un roman a toujours été une évidence. La seule question était quand. L’idée est venue progressivement. Mais l’illumination s’est imposée par la lecture des Commentaires sur la guerre des Gaules de Jules César, qu’il a dicté quelques mois à peine après l’action qu’il décrit. J’ai donc imaginé le journal d’un chef d’État, tenu pendant l’action. Pas de recul. Pas de camouflage. La vérité brute. Et j’ai voulu placer le président dans une situation hautement improbable, où une situation se présente sur laquelle il ne peut rien malgré tout son pouvoir.

Alors, question qu’on a dû vous poser des centaines de fois, est-ce que les relations, le fonctionnement, l’atmosphère que vous décrivez au sein du gouvernement, se passent réèllement ainsi ?

J’ai décrit ce que j’ai vu, et supposé le reste grâce à mon expérience. Plusieurs lecteurs, familiers des allées du pouvoir, ont été troublés par la lecture du livre, car ils ne discernaient pas la fiction, et m’ont dit « mais enfin Sylvain, ça se passe vraiment comme ça. Je me sens comme chez moi dans ce roman ! ».  La pratique de l’État diffère en fonction des hommes qui s’y trouvent, mais son sens profond reste le même. Ce sens induit un comportement des acteurs qui le dirigent. C’est ce comportement que j’ai essayé de narrer.

De même, on a la sensation dans votre livre que le président a vraiment le sens du devoir, d’exercer un sacerdoce au service de son pays. Or il ne vous a pas échappé que nous, commun des mortels, voyons plutôt les politiciens comme des opportunistes, qui ne pensent qu’à leur poche et se moquent bien du petit peuple (un peu comme ce président étranger décrit dans le livre qui préfère faire une guerre, juste pour garder un équilibre économique). Qui est dans le vrai ?

Je suis persuadé qu’il n’est pas possible de devenir président de la Vème République, si l’on a pas quelque part en soi la volonté de servir un idéal. Certes, cette volonté de servir s’accommode ensuite d’une stratégie plus ou moins claire et de coups tactiques plus ou moins tordus. Dieu sait qu’il y en a. Mais le métier d’homme politique consiste à rassembler des gens et personne ne peut rassembler s’il est creux. Il faut une petite flamme, même tout petite, même une apparence de petite flamme. Et puis une campagne présidentielle est une lessiveuse. La vérité des candidats finit par apparaître devant la forêt des micros et caméras qui les accompagnent.

Allez, dites-nous tout, de qui vous êtes-vous inspiré pour créer Wandrille, Dominique et Pierre ?

J’ai pris garde de ne croquer personne. Pour Wandrille je voulais un grand homme, c’est-à-dire quelqu’un qui a compris le sens profond d’un État moderne et des devoirs de son chef. Ce personnage est devenu autonome très vite. Ses réactions étaient évidentes – excepté que je ne suis pas un grand homme et qu’il m’a fallu parfois des semaines pour trouver ce qu’il décide en une seconde. Ensuite j’ai ajouté un point faible, un sujet qui le rend irrationnel. Là je suis allé au plus simple s’agissant d’un politique : un de ses ennemis le rend paranoïaque.  Dominique, le secrétaire général de l’Élysée, est un mélange imaginaire de plusieurs grands serviteurs de l’État que j’ai rencontrés. Pour Pierre, j’ai un peu pensé à Raymond Barre : il est sage, bienveillant et lyonnais.

Wandrille est très quatrième république comme président. Pensez-vous que nous avons perdu en « grandeur » politique depuis lors ?

Les présidents de la quatrième n’avaient aucun pouvoir. Wandrille est un président de la cinquième. Il est le chef incontesté de l’État et dirige son petit monde. Si vous faites référence à De Gaulle, il était grand dans la mesure où il a sacrifié ses intérêts matériels. Par exemple il a refusé de toucher son traitement de président de la République et s’est contenté de sa solde de général de brigade. Il a fait poser un compteur électrique dans ses appartements privés de l’Élysée pour payer son électricité. Après avoir quitté le pouvoir il n’a rien demandé. Sa vision politique, qui passait avant le reste, lui imposait ce comportement. Évidemment cette grandeur n’est pas allée sans une zone d’irrationalité où la mesquinerie a côtoyé la tragédie. Il semble que François Mitterrand a été le plus proche de cette grandeur, si ce n’est que De Gaulle veillait à son budget, alors que Mitterrand semblait se moquer des contingences. Heureusement que, dans son genre, il était frugal. Tous les autres président ont, à un moment ou à un autre, recherché l’indépendance matérielle dans des proportions excessives, ce qui traduit une faiblesse.

La religion a une part importante dans le livre. Sans rentrer dans l’histoire, bien sûr, c’est suite à un événement tout à fait anodin que les choses changent pour Wandrille. Je n’ai pas pu m’empêcher d’y voir un message du style « il suffit de faire le premier pas ». Pensez-vous qu’il serait plus équilibré pour une personne, surtout qui a des responsabilités aussi importantes, d’avoir une vie spirituelle ?

J’en suis convaincu en tant qu’électeur, c’est-à-dire en tant qu’acteur modeste de la gestion de l’État qui pense à ce qui est bon pour l’État. Son premier besoin est la paix civile. Pour cela le peuple doit obéir aux lois sans contrainte. C’est impossible si le peuple n’a pas de morale. Comme la durée de vie d’un État est très longue, il faut une morale dont les valeurs dépassent la durée de vie d’un homme. Pour cela certaines valeurs doivent être intangibles, inaccessibles aux modes. Pour protéger de telles valeurs, il n’y a que la transcendance : on décrète que telle ou telle valeur est située dans un plan extérieur à celui des hommes. Par essence, ce plan est celui de la spiritualité. Pour comprendre et appliquer ce que je viens de dire, le chef de l’État doit avoir un minimum de vie spirituelle.

Toujours dans « Dieu, l’Etat et moi », on comprend que le message semblait être adressé à Wandrille en tant que personne et non en tant que président. Cela me fait penser à la fin du film « Jeanne d’Arc » de Luc Besson où il est clair qu’elle est allée « trop loin » et s’est du coup détruite elle-même par mythomanie. Est-ce pour expliquer que Dieu n’est pas intéressé par la politique des hommes mais uniquement par leur cœur ? Une sorte de laïcité divine et implicite en quelque sorte ?

Spoiler Alert ! Le livre pose une question : se peut-il que Dieu se manifeste en songe au chef de l’État ? Mais je ne propose pas une réponse unique  car je voulais raconter une histoire dans laquelle chaque lecteur pourrait être libre de choisir ce qu’il voudrait. Et que je sois catholique n’y change rien car je ne peux présumer de ce que déciderait Dieu. Donc j’indique plusieurs possibilités. Des personnages pensent que le président est devenu fou. D’autres le suivent. Certains haussent les épaules et passent leur chemin. Comme vous le mentionnez Wandrille lui-même change d’avis. Je pose une question et chacun y répond comme il le souhaite.

J’ai pu écouter une interview que vous avez faite avec Frédéric Taddéï http://www.europe1.fr/emissions/europe-1-social-club/europe-1-social-club-010517-jean-noel-fabiani-sylvain-de-mullenheim-flore-philis-et-marie-menand-3317354

Ce qui m’a marqué dans cette interview c’est le comportement du journaliste qui vous demande si, en gros, vous n’avez pas été un peu cinglé de parler de Dieu et de la laïcité dans un roman, avec un air un peu condescendant. Malheureusement que ce soit dans la vie ou l’édition, parler de Dieu n’est pas « à la mode ». Avez-vous eu à faire souvent à ce genre de remarques, pressions etc… pour l’écriture et la diffusion de votre livre ?

Pour être honnête je n’ai pas senti de condescendance chez Frédéric Taddéï, qui avait lu le livre et donné sa chance sur Europe 1 à un type qui imagine un président abroger la loi de 1905 et refaire du catholicisme la religion de l’État. Il y avait moins risqué. En règle générale je n’ai pas vraiment subi de remarques désobligeantes. Et puis le roman n’enferme pas le lecteur dans des considérations définitives. Je pose une question et propose plusieurs réponses dont aucune n’est polémique. Au pire on me regarde  comme un doux rêveur. Si le livre rencontre un grand succès, les choses seront peut être différentes.

Parlons maintenant de la mer qui a elle aussi une importance dans ce livre. Wandrille explique que celle-ci est notre avenir. Pourriez-vous m’en parler davantage ?

Houlà ! Pendant des heures. Pour faire court, une ruée industrielle a lieu. De plus en plus d’entreprises plongent dans les océans pour aller chercher ce qu’elles ne trouvent plus sur la terre. Les technologies leur permettent de plus en plus. Grâce aux océans nous nourrirons sans problème 10 à 15 milliards d’être humains. Les eaux couvrent les deux tiers de la planète tout de même. Je pense également que l’humanité ne pourra conquérir l’espace sans les richesses des océans. Il ne faut pas oublier que le premier milieu extra terrestre, c’est la mer.

Si un jour un Président avait le courage de Wandrille pour créer ce nouvel organe pour l’exploitation de la mer, ne risque-t-il pas de se passer ce qui se passe déjà pour la terre ? (Surexploitation, pollution etc…)

Au contraire ! La surexploitation a commencé sans contrainte et sans contrôle. Le mouvement est parti. Des navires sortent des diamants par cent cinquante mètres de fond en Namibie et Papouasie, peu connues pour leurs normes environnementales drastiques. Nous sommes en train de comprendre qu’il existe des flottes entières de navires de pêche dont les équipages sont constitués d’esclaves. On en trouve même la trace à Hawaï, aux États-Unis. La piraterie a fait son retour par endroit. C’est le Far West. Et plus le monde se tournera vers les moteurs électriques, plus il faudra de terres rares pour les composants de ces moteurs. Ces matériaux sont d’abord au fond des mers. Il faut arrêter le pillage sauvage qui a démarré et organiser l’industrialisation raisonnée des mers. Je propose dans le livre comment faire et comment financer cette industrialisation.

« Dieu, l’Etat et Moi » a été une véritable réussite, cela vous encourage-t-il à écrire davantage ? Avez-vous un nouveau roman en projet ?

Merci Ciena. Oui j’ai un projet en cours de conception. Chez moi cela peut prendre du temps car j’aime les histoires avec un fouillis soigneusement organisé. Il est question qu’il y ait un lien avec le livre actuel. Le ton sera le même, si possible léger et humoristique. Mais le thème devrait être plus… trash. Je n’en dis pas plus.

Quel lecteur êtes-vous ? Quels sont vos genres préférés ? Votre dernier livre lu ?

Pendant des années j’ai lu absolument tout ce qui me passait sous la main, notice d’aspirateur incluse. J’ai moins de temps désormais. J’aime la plume des grands hommes et viens de terminer les mémoires de Joseph Fouché, qui m’ont abasourdies. Je poursuis mon voyage chez les Romains et les Grecs et place « l’Histoire » d’Hérodote  sur le même plan que « l’Iliade » et « l’Odyssée ». Je dévore aussi la science-fiction lorsqu’elle est documentée. Les démiurges me fascinent et j’ai eu la chance de rencontrer il y a peu Laurent Ladouari, qui a déjà produit deux des sept tomes de son cycle « Volution ».

Si un nouvel auteur voulait se lancer dans l’édition de son manuscrit quel conseil lui donneriez-vous ?

Il n’y a ni miracle ni secret. Il faut travailler et ne jamais renoncer. Le reste finit par venir si on ne lâche pas. Les choses se font à un moment sans qu’on comprenne exactement pourquoi. Mais personne n’est jamais arrivé nulle part sans s’être accroché pendant des années.

Que pensez-vous de la « guerre » autoédition, édition traditionnelle ?

Pas vraiment au courant de cette guerre. Les deux modèles économiques sont différents. Un temps j’ai pensé me tourner vers l’autoédition, mais mon projet était une publication traditionnelle et je me suis accroché.

Etes-vous plus ebook ou livre papier ?

Papier ! Je n’y arrive pas à lire sur écran sauf si je n’ai pas le choix. Et j’aime la compagnie des livres.


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois