Les Contes défaits. Oscar LALO. Éditions Belfond - 2016

Les Contes défaits. Oscar LALO. Éditions Belfond - 2016

Les Contes défaits

Oscar LALO

Éditions Belfond, 8 août 2016.

204 pages

Thèmes : famille, fratrie, enfance, violences, souvenirs, mémoire, transmission, détournements de contes, résilience

C'est sans vraiment savoir le thème de ce premier roman que je l'ai inscrit dans ma wishlist de la Rentrée Littéraire 2016 et que je l'ai reçu en cadeau à Noël.

L'allusion aux contes du titre, aux significations diverses (contes détricotés ou le récit des faits ?), puis l'étrange et intriguant quatrième de couverture ont été déterminants.

"Peau d'âme, noire neige, le petit poussé...
Il était zéro fois..." c'est ainsi que commencent Les contes défaits.
L'histoire est celle d'un enfant et de l'adulte qu'il ne pourra pas devenir.
Je suis sans fondations. Ils m'ont bâti sur du néant.
Je suis un locataire du vide, insondable et sans nom, qui m'empêche de mettre le mien. La page reste blanche car tout ce qui s'y inscrit s'évapore.
Sans rien dire jamais de ce qui ne se montre pas, loin de la honte et de la négation, Oscar Lalo convoque avec ses propres mots, pourtant universels, la langue sublime du silence...
Et c'est en écrivant l'indicible avec ce premier roman qu'il est entré de façon magistrale en littérature.

Comment vous parler de ce roman sans trop en dévoiler ?

Comment vous parler de ce roman sans vous faire fuir ?

Comment vous parler de ce roman qui émeut, qui oppresse, qui étouffe presque ?

Car son sujet est difficile : comment grandir lorsqu'on a subi des violences enfant ? Quels souvenirs en gardons-nous ? Comment apprend-on à composer, ou non, avec ?

Ce roman est un regard appuyé sur le passé d'un homme que les années ont fait vieillir sans qu'il s'y retrouve.

Un état des lieux s'impose. Sans concession. Un journal, c'est ça. On y dégueule son estomac, son cœur, sa tête. C'est moins cher qu'un psy. Sauf qu'il faut trier les morceaux tout seul. Pas toujours évident. J'irai chez le psy plus tard. J'irai consulter quand j'en serai arrivé à dégueuler mon âme. Là, on ne peut plus trier tout seul. Je ne sais même pas si l'âme se dégueule en morceaux. Peut-être que c'est liquide l'âme. Ou sans consistance. Comme cette pièce de mon puzzle. Un manque insondable. Un point d'interrogation sans phrase. Auquel j'aimerais tordre le cou. Un point d'interrogation qu'il faudrait réduire à un point. Après le mot " Fin ".

Subir, accepter, craindre, attendre une violence multiple et infinie : celle de la mère d'abord, aveugle mais sensible au paraître, qui laisse partir ses enfants dans une colonie de vacances chère donc forcément bien : " le home d'enfant ".

Celles exercées par un homme et sa femme, différemment.

Violences physiques.

Violences psychologiques.

Traitements d'un autre temps... Sévices et souvenirs.

Basculement quand la victime devient complice par son silence, puis, pire devient bourreau laissant faire, ne prévenant pas.

Syndrome de Stockholm, la folie qui guette, tenter de s'en sortir.

Souvenir d'un lieu qui a englouti l'enfance et l'adulte en devenir.

Quatre parties pour remonter le temps, reconstituer, expliquer, accepter, tourner la page.

Des chapitre courts qui s'enchaînent, qui nous happent. Une page, parfois deux, rarement plus.

Une langue du silence qui, toujours avec pudeur, use les mots, les transforme, les associe joue avec eux et les expressions, leur champ lexical et multiples significations. Une narration alambiquée, tortueuse comme les méandres de la mémoire pour remonter le fil carmin des souvenirs de notre narrateur...

Mais aussi si belle, si maîtrisée, si intense.

Il m'a souvent fallu lever la tête pour " respirer ".

Sa narration en " je " nous rapproche de cet enfant devenu homme par l'âge.

Quand cela s'est produit, à l'âge de deux ans ou moins, ou plus, on se bat toute sa vie avec des portes, qu'on ferme même à ses enfants. On brise des couples, le sien d'abord, parce que l'on est bien qu'à briser. Il fallait libérer. Par l'écriture, qui sort des doigts. Tant d'année incapable de s'écrire, ce livre a fini par se taper. Il fallait la violence des frappes. Il fallait que les dix doigts s'y missent. Chacun d'eux avait son mot à dire. Car il suffit que je les pose sur un clavier pour qu'ils se mettent à danser. Et avec mes yeux, qui ont tout vu il y a si longtemps, j'observe, et j'apprends de mes doigts l'origine de ma blessure. Ils tapent, et moi je respire. Ils tapent et je sens mieux mon poids d'enfant. Ils tapent et je saisis pourquoi j'ai arrêté, cassé, détruit. Ils tapent et je comprends pourquoi j'ai toujours interrompu les femmes qui m'aimaient.


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois