Dans ce roman, la narratrice tâche de saisir Ode, Odette, une femme multiple, vive et impulsive, aventureuse, indépendante, anti-conformiste. Une mère peu banale, qui lui a appris à regarder le monde autrement, en dépit des défauts qu'elle lui trouvait adolescente.
Un bon roman est un roman où l'on ne s'ennuie pas. On pourrait argumenter des heures sur tout un tas d'autres critères, mais je pense que nous pourrons néanmoins nous accorder sur celui-ci (quoique, il m'est arrivé de lire des livres où je m'ennuyais ferme, et de leur trouver après coup un charme fou. Coucou Frédéric Moreau et Marie Arnoux).
Et bien, je ne me suis pas ennuyée une seconde dans le roman d'Aure Atika.
Il s'agit pourtant d'un écrit intime, où l'on pourrait craindre de se sentir voyeur, de se sentir de trop, ou de ne voir aucun intérêt à une histoire avant tout familiale.
Ces pensées-là, qui sont souvent venues m'interrompre à la lecture de romans partageant la thématique de la biographie d'un proche, ne m'ont pas traversée une seule fois.
En cause? Le style, je pense, direct, mêlant l'anecdotique et l'introspection, et une franchise de la narratrice, qui se traduit par exemple dans son appréhension à l'égard de la réception qui sera faite au personnage de sa mère. Préoccupation largement partagée par les écrivains, mais qu'il est d'usage de ne jamais laisser transparaître ni d'évoquer. Ici, Aure Atika livre cela : elle redoute que le lecteur enferme sa mère dans une catégorie (celle de "junkie" en particulier), elle redoute de ne pas parvenir à lui rendre hommage comme elle voudrait le faire, elle redoute de n'être pas à la hauteur et de ne pas restituer la richesse de cette mère tant aimée. Et c'est cette inquiétude toute humaine qui se charge le mieux d'établir une connivence entre l'auteur et le lecteur, et garantit la bienveillance à l'égard de sa protagoniste.
Des pages de Mon ciel et ma terre se dégage un amour tendre et fou, une extrême douceur, une révolte aussi par moment, la volonté de réconcilier la femme rebelle qu'était sa mère et celle qu'elle est elle-même, à une autre époque, à travers des choix différents, mais si les chemins se sont éloignés, les voix se répondent.
Le récit d'Aure Atika nous oblige à nous défaire de ces préjugés hâtifs que l'on peut avoir à l'encontre des personnages de romans, lorsqu'en une phrase on se fait une idée de leurs rêves, de leur avenir, de leurs pensées et de leurs limites. Le lecteur est sommé de ne pas enfermer Ode dans la case à laquelle toute sa vie durant, elle a tâché d'échapper, demeurant insaisissable, plurielle, libre.
Ce premier roman m'a touchée, j'ai songé qu'il n'était sans doute pas une mère qui ne serait bouleversée de lire un tel témoignage d'amour adressé par sa fille. A découvrir!
"Elle a tellement de poupées Barbie. Moi, j'en ai deux, deux Barbie et deux Playmobil. A l'une des Barbie, il manque une jambe, et à l'un des Playmobil, il manque son casque de cheveux. Je ne leur fais jamais sentir leur handicap. Ma poupée a exactement les mêmes activités que sa copine et même un amoureux, le valet de pique de mon jeu de cartes."
"J'aurais aimé comprendre pourquoi tant d'attachement à sa liberté sentimentale tout en cherchant un compagnon. Comprendre pourquoi elle n'avait jamais réussi à rester plus de quelques mois avec un homme."
"Le regard des gens m'avait imposé une place, j'accentue le trait pour leur imposer la mienne. Désormais, j'enfile un pantalon noir, des tee-shirts de couleur vive, moulants, et des bottes de moto. Les cheveux lâchés, un trait d'eye-liner, je fais avancer mes pieds et non le contraire.
[...] Oui, j'ai de gros seins, et des bottes de moto aussi. En cuir noir. Oui, j'ai une grosse bouche, mais qui ne sourit pas, et un regard noir aussi. Je suis cette adolescente qui t'en veut. A toi et au monde."