Le violon enchanté, un conte de Karine St-Gelais

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Chez moi un vieux violon fait encore jaser les visiteurs. Il ornait autrefois l’entrée principale du grand théâtre de mon village. Les habitants le surnommaient le violon d’amour. Il perlait au milieu du hall de son vernis rouge laqué. Une élégante boite de verre le protégeait des pillards. Il reflétait les visages des hôtes comme un miroir. Dès le premier regard, il vous imprégnait de mystère. C’est d’ailleurs pourquoi il attira mon attention…
Le violon est un instrument de musique à cordes frottées. Il se constitue de 71 éléments tirés, entre autres, de l’érable, du buis et de l’ébène. Ses matériaux naturels sont collés ou assemblés les uns aux autres.

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Une légende rapporte qu’un instrument de musique fabriqué à l’aide du bois d’un édifice important s’appropriera son énergie, développera une personnalité qui lui sera propre. Ses sérénades vous posséderont au premier pincement de corde. L’œuvre déchargera sur vous une fougue dont vous ne soupçonnez pas l’existence. L’instrumentiste vous envoûtera de son art en frottant ses quatre notes : sol, ré, la et mi. Même, s’il est considéré comme l’un des plus petits instruments de la musique classique, les émotions qui s’en dégagent risquent de vous faire violence et de griser vos cœurs cupides. Sa création remonte à il y a plus de cinq siècles. Ses courbes sont voluptueuses, gracieuses et féminines, comme les dames de l’époque…
Ceci nous amène tout doucement à une jeune femme talentueuse, Marie-Louise Deschamps. Une jeune violoniste qui a vécu au milieu du XVIIIe. Elle était une virtuose et portait fièrement une crinière flamboyante qui animait les foules de l’allée principale. Elle avait une beauté racée et des yeux de chat, imitant les pépites d’or des mineurs. Dès qu’elle empoignait son infernal instrument, la frénésie s’emparait d’elle. Dès que le bas de son visage atteignait la mentonnière, elle s’exaltait. Selon cette légende, le luthier avait fabriqué l’instrument à partir d’une vieille poutre de la chapelle de notre petite localité, lors de sa reconstruction, après un terrible incendie.
On offrit ce violon en cadeau à Marie-Louise lors de ses huit ans. Le jeu de la belle était si endiablé, si sensuel que certaines commères répandirent qu’elle était sorcière et aurait signé un vilain pacte avec le Diable.
— On a déjà brûlé des femmes au bûcher pour moins que ça, il y a quelque temps, marmonnaient-elles.

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Mais, il y avait un je ne sais quoi qui sommeillait au fond des yeux de la jeune musicienne. Et je crois que c’était Ézéchiel Lamoureux, mon arrière, arrière-grand-père, vous l’aurez deviné. Un homme étonnant et de bonne famille. Mais il était déjà promis à une cousine de Marie-Louise, Caroline de Montpassant. Il avait un air irréprochable, surtout lorsqu’il soulevait son chapeau pour saluer la gent féminine. Toujours élégant et arborant un large sourire. Il lançait un regard soutenu à la jeune femme lorsqu’elle jouait sur la place publique. Comme si quelque chose l’attirait désespérément vers elle à cet unique instant. Il enlevait alors son grand chapeau noir, le plaçait entre ses grandes mains et restait sur place, ensorcelé. L’archet qui enflammait les cordes du violon semblait lui raconter une histoire, un récit que lui seul comprenait.

Le jour du mariage d’Ézéchiel et Caroline, les invités furent étonnés de voir la rousse enthousiaste monter sur la scène de la jolie chapelle. Ézéquiel, complètement charmé par son talent bohème, voulait profiter de l’écho que lui procurerait le splendide plafond en arche de la petite église et ainsi bénéficier pleinement de la prestation. Peu après le délicieux repas, place au spectacle ! La belle Marie-Louise était habillée de velours noir orné d’une somptueuse retombée. Son cou se parait d’une rangée de diamants qui sublimaient son teint de lune. Elle s’installa d’un mouvement théâtral et débuta son aubade. Tous restèrent immobiles, comme envoutés par le récital de la concertiste. Marie-Louise s’exécutait comme jamais, et comme par magie, seul l’élu de son cœur lui apparaissait au bout de l’allée, tous les autres convives avaient disparu. Il n’y avait plus qu’eux, d’âme à âme. Ils flottaient dans l’encens nuptial. Elle faisait résonner les notes autant de ses doigts de fée que de son archet qui s’embrasait au contact du corps de l’instrument.
Les yeux d’Ézéquiel ne clignaient plus, il était de nouveau sous le charme et en oubliait même sa douce moitié. Caroline essayait tant bien que mal d’éveiller son futur époux. Hélas, ce fut impossible. Il était trop tard ! La belle rousse l’avait séduit dès le premier jour. Elle s’avança, descendit les deux longues marches de pierres qui la séparaient des bancs des prieurs et risqua une composition personnelle à l’oreille de son soupirant. Elle semblait flottée tout le long de l’allée centrale. Cette romance relatait toute sa passion ainsi que les larmes de désespoir qu’elle avait versées à ses fiançailles l’an dernier. Ézéquiel en fut très ému. Il était complètement captivé. La belle en sueur martelait les cordes pour les dernières mesures d’un élan assuré. Elle monta d’une octave sa dernière note. Sa clavicule était en feu, elle relâcha la tension et dans un geste cérémonial l’homme de ses rêves se leva.

Il ramena d’une caresse sa chevelure sauvage, saisit sa nuque et l’embrassa passionnément. L’assemblée prise de panique demanda à ce que l’on fasse venir le médecin. Ézéquiel, inerte sur sa chaise, ne respirait plus. Caroline s’effondra en larme et damna Marie-Louise de lui avoir volé son amant.
— Voilà, tu es satisfaite, sorcière ! lui cria-t-elle.

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La salle resta silencieuse, regardant le docteur Bernard réanimer le pauvre Ézéquiel avec les méthodes archaïques du temps. Le violon avait repris ce qui lui revenait, une âme. Il emprisonna celui-ci à jamais. Les yeux d’or de Marie-Louise s’éteignirent à jamais avec lui. Si vous passez un jour chez moi, il vous est strictement interdit d’admirer de trop près l’artéfact rouge qui y siège, car vous pourriez en tomber éperdument amoureux.
Karine

Notice biographique

Karine St-Gelais est une écrivante qui promet.  Nous aimons ses textes pleins de fraîcheurchat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie.  Laissons-la se présenter.  « Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des frasques de l’enfance et des coups d’œil sur ma région.  Je suis mariée depuis dix ans. J’ai trois beaux enfants, un  affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet de 21 ans. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout.  Au plaisir de vous rencontrer sur mon

blog:http://www.facebook.com/l/3b24foRTZrfjfcszH7mnRiqWa9w/elphey »

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)

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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois