Écarlate, de Hillary Jordan

Écarlate, de Hillary Jordan Écarlate, de Hillary Jordan

Écarlate, de Hillary Jordan, traduit de l’anglais (États-Unis) par Michèle Albaret-Maatsch, Éditions 10-18, 2013, 432 pages.

L’histoire

Une Chrome. Une Rouge. Pour Hannah Payne, la sentence est tombée. Pendant seize ans, la jeune femme devra porter sur sa peau la couleur de son crime, celui d’avoir aimé un homme marié, un pasteur, et d’avoir supprimé le fruit de cette passion illégitime pour protéger son amant.
Mais dans une Amérique où les droits des femmes sont niés, l’avortement est sévèrement puni. Ici, l’Église a pris le pas sur l’État et dicte sa loi implacable.
Aucun pardon, aucune réinsertion possibles : stigmatisée aux yeux de tous, rejetée par les siens, Hannah doit affronter la haine et la violence des hommes. Seule.
Centres de redressement, groupuscules extrémistes, pour les Chromes le danger est partout. Une solution : fuir. Mais où ? Et comment ? Car dans un monde paranoïaque, à qui peut-on encore se fier ?

Note : 3/5

Mon humble avis

Le second livre de la sélection d’avril-mai pour le club de lecture « Une chambre à nous », toujours de la science-fiction et bien sûr, toujours de la plume d’une autrice. J’étais très intéressée par le principe de base, d’autant que plusieurs références étaient mentionnées comme Margaret Atwood, Ray Bradbury ou encore Nathaniel Hawthorne. Globalement, Écarlate était une bonne lecture, entraînante et le livre est parvenu à m’accrocher jusqu’à la fin.

Le principe de base des Chromes est très intéressant puisqu’il correspond à un système de surveillance massive, où le crime de chaque personne est visible aux yeux de tous (pendant une période donnée, mais comme ça peut durer des dizaines d’années…), dans ses grandes lignes : différentes couleurs sont attribuées pour différents crimes. Le rouge par exemple, correspond au meurtre, le bleu à un infanticide, le jaune à une infraction mineure (vol, agression), etc. De plus, les Chromes n’ont pas le droit de quitter leur état de résidence, ou alors pour très peu de temps puisqu’ils doivent retourner dans un centre faire un « rappel » pour rester Chrome. S’ils manquent leur rendez-vous, le virus injecté avec ce qui leur donne la couleur de leur crime s’active, les rend fou, puis les tue. Ah, et pour couronner le tout, ils peuvent être localisés à tout moment par n’importe qui. Hannah vit donc dans une société qui met à jour les crimes de chacun et qui discrimine bien sûr envers ces personnes, parfois selon la gravité du crime (les Jaunes pourront rentrer dans tel bar mais pas les Rouges ; d’autres établissements sont interdits à tous les Chromes). Mais surtout, Hannah vit dans une société où l’avortement est considéré comme un meurtre. Une bonne dystopie comme on les aime (enfin, de mon point de vue de Française, parce que malheureusement, ça n’a rien de fictionnel dans d’autres pays).

Bref, on suit Hannah, de sa condamnation à sa nouvelle condition de Chrome, l’enfermement, puis sa libération… qui n’en est pas vraiment une puisqu’elle fera face à une discrimination sans nom une fois sortie. Son père trouve donc un internat où elle pourra rester six mois, le temps qu’il lui trouve un appartement et un travail, ce qui ne semble pas facile pour une Rouge… Oui, parce qu’il est hors de question que Hannah retourne chez ses parents. Sa mère ne lui pardonnera jamais son avortement et son père ne semble pas vouloir protéger sa fille au point de s’opposer à sa femme.

Hannah se retrouve dans une sorte de couvent pour femmes Chromes, qui tend un peu trop vers la secte et la torture psychologique. Elle y rencontre Kayla, qui devient rapidement sa seule amie. J’aime beaucoup le personnage de Kayla, qui est noire mais sans être un amalgame de préjugés arriérés. L’amitié de Kayla et Hannah fait plaisir à voir, elles sont prêtes à se défendre l’une l’autre, peu importe ce qui leur fait face. J’aurai apprécié que cette amitié soit encore plus centrale au récit, et qu’on en sache plus sur Kayla.

Good girls, Hannah came to understand, did not ask why. They did not even wonder it in their most private thoughts.

J’ai trouvé le discours sur la religion assez étrange. Je m’attendais à ce que Hannah rejette complètement sa religion après sa sentence, après son temps passé au couvent et ce n’est pas le cas. De conservatrice, sexiste et obscurantiste, sa foi s’ouvre un peu plus mais elle croit toujours en dieu. Au début du roman, on voit à quel point une enfant (ou jeune adulte) peut être endoctrinée dans une croyance dure et sans compromis. Bien sûr, voir Hannah en sortir, penser en dehors de la boîte dans laquelle ses parents l’ont mise était un soulagement et une sacré émancipation. Malgré tout, l’omniprésence de la religion, des références et appels à dieu, aux prières, etc. m’ont profondément ennuyée, voire agacée par moment. Certes, c’est à remettre dans le contexte des États-Unis où la majorité des personnes est croyante… mais ça me semble pas utile pour défendre le propos du roman. Enfin, pas autant. C’est une réflexion que je ne m’étais pas du tout faite à la lecture de la Servante écarlate de Margaret Atwood par exemple, donc ce n’est pas le fait que le personnage principal soit croyant qui me dérange, mais l’importance qui est donné à cette foi dans le roman.

J’ai trouvé la relation entre Hannah et Simone, qui fait partie de la résistance, très surprenante. C’était d’ailleurs bienvenue, même si on aurait pu faire sans la première réaction homophobe du « elle est lesbienne, si je suis nue devant elle, elle va m’attaquer » qui pourrait être attribué à son endoctrinement… Sauf qu’elle en est pas mal sorti à ce moment là.

“Our resources are limited,” interrupted Anthony, shooting a quelling look at Simone. She sat back, though she continued to glare at Hannah. “We use them for one thing and one thing only: to defend women’s reproductive rights. We are feminists, not revolutionaries.”

Le fonctionnement de la révolution est très intéressant et leur propos l’est également. J’ai particulièrement aimé cette citation puisqu’elle montre que ce ne sont pas leurs ressources qui sont limitées, mais leur vision du féminisme. Défendre les droits reproductifs des femmes n’est bien entendu qu’une partie du féminisme, et Hannah leur montre d’ailleurs la contradiction de ce discours.

Si je n’ai jusqu’ici pas parlé du révérend, le fameux Aidan, c’est parce qu’il n’y a pas grand-chose à dire sur ce personnage : il est lâche, pas si pieu que cela selon sa propre religion, et bonjour les problèmes de consentement amenés par une relation avec une jeune femme de son église. Enfin, ce que je ne comprends vraiment pas dans le roman, ce sont les sentiments continus d’Hannah envers le révérend. Même quand elle prend conscience de sa lâcheté, du fait qu’il ne connaisse pas la « réelle » Hannah, celle qu’elle est devenue et qui s’est émancipée de la jeune fille ignorante et sage qu’elle était. Alors peut-être, c’est compliqué. Mais je reste dans l’incompréhension totale sur le fait que Hannah puisse risquer sa vie et celles de nombreuses autres personnes qui l’ont aidée, pour parler au révérend.

En plus du propos terrifiant du roman – la perte de liberté, les discriminations mises en place, l’omniprésence d’une religion obscurantiste – l’autrice parvient à nous présenter des personnages mauvais au point d’être glaçants. Madame Henley en fait notamment parti : elle prend un malin plaisir à manipuler ses pensionnaires et les torturer psychologiquement. C’est si bien rendu que c’en est terrifiant.

Une bonne lecture donc, la plume de l’autrice est très facile à lire, mais je ne mettrais pas ce roman sur le même plan que la Servante écarlate…


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