Un parfum d'herbe coupée, Nicolas Delesalle

Par Sara

Avec un titre aussi évocateur, on ne peut que céder à la curiosité...
On a beau être forts et préparés, il y a des déclencheurs auxquels il est difficile de résister.
A l'opposé, il y en a certains auxquels on résiste sans grande difficulté : Plus tard je serai un enfant (vraisemblablement écrit par un spermatozoïde?...) ou Ce que tient ta main droite t'appartient (je croule sous le poids des blagues évidentes à faire sur le sujet) en sont de parfaits exemples.
Il y a même un top 30 des titres les plus WTF de tous les temps qui traîne sur internet (mention spéciale au dernier de la liste <3).
Comme quoi, ça vaut le coup de réfléchir deux minutes à son titre.


Kolia, le narrateur, nous transporte dans les petits riens de son enfance, ces souvenirs qui peuvent émouvoir chaque lecteur tant ils mobilisent des choses de l'intime connues, vécues, et qui, en dépit de ce qu'elles ont de daté, d'inscrit dans un temps donné, relèvent d'une certaine universalité.

Au-delà des souvenirs, l'auteur parsème son texte de réflexions pleines d'humour et de finesse, à l'empreinte poétique, qui favorisent la proximité que l'on ressent à la lecture, le sentiment de comprendre ce dont on nous parle, de l'avoir personnellement expérimenté.

C'est donc un voyage dans le temps partagé de l'enfance et de l'adolescence que nous propose Nicolas Delesalle, au moyen de scènes qui se succèdent et incarnent des passages anecdotiques que certains d'entre nous connaissent par cœur : les sorties à la piscine, l'odeur de la campagne l'été, la curiosité provoquée par l'hostie, le Goldorak géant (le même que celui croisé dans L'arabe du futur 3, le pays change, mais l'époque est la même!), les premières amourettes à l'école, celles qui suivent, au collège et au lycée, les vacances à la mer, le rôle central du Walkman, la première fois que la mort frappe, le spectacle de l'impuissance des adultes.

J'ai vu dans le roman de Nicolas Delesalle à la fois un récit dans lequel tout lecteur peut se reconnaître, et le témoignage d'une époque singulière, à travers les références nombreuses et précises que l'on y trouve. La prose déborde de sensibilité et du recul qu'apporte l'âge, si bien qu'elle nous touche et nous attendrit.
Une douce lecture!

    Vous êtes un grand mélancolique, qu'une odeur ou un pin's ramènent irrévocablement dans la douceur de votre enfance.


"Je suis allé à la piscine pour me nettoyer les yeux avec le chlore comme chaque fois que je ne vois plus rien.
[...]
Des petits culs. Des gros culs. Chaque longueur de piscine est un voyage aux confins de la biodiversité des culs mais aussi des torses et des jambes de toutes les tailles de toutes les formes ; un Lego humain emboîté par la nature un soir de cuite."

"Les profs n'ont pas de prénom. Ils n'ont qu'un numéro à jouer et leurs noms de famille s'échangent début septembre dans les cours de récré, comme des sésames vers le savoir ou des promesses pour l'ennui.
Eux sont là, debout sur l'estrade, sous les feux d'une rampe invisible, pour toute une vie, et nous ne faisons que passer. Ils sont les Bill Murray d' Un jour sans fin scolaire : ils nous séduisent toute une année mais nous disparaissons en juillet et il leur faut tout recommencer, encore et encore."

"Mes oncles entassent leur matériel de pêche, mon père peint ses persiennes, ma mère cueille des tomates, mes soeurs nagent avec mes cousins dans la piscine du village et moi je tremble dans les toilettes parce que j'ai compris, j'ai compris que je vais mourir toute ma vie, comme tout le monde, je mourrai quand j'apprendrai la mort des autres, quand je verrai au journal ces corps torturés, ces enfants qu'on achève, et mon coeur nucléaire n'est plus qu'une boule de paille, mes oncles et mon père sont en verre, mes soeurs et ma mère en papier froissé ou en plastique, oui, des flaques d'eau dans une fine membrane de plastique, un jour ça éclatera, et il ne restera que ce que je vois et que ma mémoire imprime à cet instant-là, l'image de la fin d'un mini-monde, trois mouches mortes, un mur qui part en lambeaux et une toile d'araignée au coin d'un plafond."

"Moi je cumule les handicaps sérieux. J'ai commencé le rugby sur le tard, après des années de judo. Je suis le fils d'un rugbyman qui a flirté avec le haut niveau alors que je vis moi-même une belle histoire d'amour avec le niveau de base. Avec les mathématiques et Mathilde en maternelle, le rugby fait partie des trois trucs qui j'ai aimés éperdument sans retour."