Un seul parmi les vivants, Jon Sealy

La couverture promettait de découvrir la nouvelle grande voix de la littérature du Sud (ndlr : des Etats-Unis, pas du coin entre Argelès et Leucate).
Voilà bien une invitation qui ne se décline pas.
Un seul parmi les vivants, Jon Sealy
Libres pensées
En Caroline du Sud, dans les années 1930, deux hommes sont abattus devant un bar. Tout semble indiquer que le coupable est Mary Jane (indice : Mary Jane n'est pas une femme), un marginal qui semble avoir subitement disparu.
Dans un climat marqué par la prohibition, le trafic de bourbon et les répercussions de la dépression économique, le shérif Chambers mène l'enquête.
Le roman de Jon Sealy est assez singulier, en ce qu'il s'écarte des thrillers classiques, dont on est habitués à ce qu'ils se déroulent dans une période historique proche (si ce n'est actuelle), en restituant une atmosphère précise et pesante, entêtante, et en mettant en scène des personnages atypiques.
Il y a, d'abord, Mary Jane, qui se révèle insaisissable, et dans les pas duquel on avance tant bien que mal. Il y a la veuve, Abigail Coleman, avec laquelle Mary Jane entretient une relation peu conforme aux normes sociales qui étouffent la communauté de Castle, il y a encore Joe, le frère de Mary Jane, et ses fils Willie et Quinn, dont le second est épris d'Evelyn, la fille unique de Larthan Tull, qui organise le trafic de bourbon dans la région et fait régner son ordre grâce à ses nombreux sbires, et est le fournisseur de Tante Lou, une vieille dame peu scrupuleuse et plus puissante qu'il n'y paraît.
Rapidement, le récit devient celui de la fuite de Mary Jane, de sa tentative de se sortir du piège qui se referme sur lui et le condamne, tandis que l'on devine peu à peu les liens tissés entre les différents personnages, les mécanismes qui régissent le trafic local et les intérêts des uns et des autres.
Il y a une fluidité dans l'écriture qui facilite la progression, mais le rythme est inégal, on se perd dans certains passages qui n'ont pour effet que de diluer l'intérêt suscité, et c'est dommage. L'équilibre n'est pas atteint entre cadence et description, et si j'ai apprécié le travail réalisé pour rendre l'ambiance particulière palpable et prégnante, j'ai peiné par moment à poursuivre la lecture.
Dans les points positifs, néanmoins, il y a donc les personnalités en jeu : si Larthan Tull apparaît pendant une bonne partie du roman comme un personnage de méchant tout trouvé, l'auteur lui donne visage humain dans la dernière partie, révélant son point de vue, ses préoccupations, ses obsessions, si bien qu'on le perçoit bientôt comme un triste sire plutôt que comme le sale bonhomme manipulateur que l'on a vu en lui depuis le début du roman. Les portraits brossés sont finalement nuancés, et s'éloignent parfois du cœur de l'intrigue, à l'instar de ceux de Willie et Quinn, et cela apporte une dimension supplémentaire au récit, l'enrichit.
Un sentiment partagé, donc, à l'égard de ce roman qui a le mérite de nous plonger dans une époque aussi rude que captivante, mais qui peut aussi parfois perdre son lecteur en chemin...
Pour vous si...
  • En fan absolu des séries Boardwalk Empire et autres Peaky Blinders, vous donneriez votre mère pour pouvoir revivre les années 1920-1930, qui constituent sans conteste à vos yeux l'âge d'or du XXe siècle ;
  • Les mémés malfaitrices ont toute votre tendresse.

Morceaux choisis
"Quoi que ce fût qui lui était arrivé, il réagissait comme un chien devenu méchant pour avoir été trop souvent battu. Ce n'était pas le mal que Chambers lisait dans le regard de Tull, mais l'indifférence amorale d'un univers sans dieu. Le mal signifiait au moins qu'il existait dans le monde quelque chose de plus grand que nous, alors que Tull semblait affirmer qu'il n'y avait que le néant. Le vide absolu." (note à l'attention de l'auteur : l'athéisme ou l'agnosticisme ne signifient pas l'absence de toute moralité...juste FYI, comme on dit.)
"Malgré le krach boursier et la Grande Dépression qui s'était ensuivie, Castle restait une ville prospère grâce au boom du textile et des chemins de fer qui sillonnaient les deux Carolines pour transporter le coton vers le Nord. Derrière la place des Confédérés, dans York Street, il y avait une rangée de demeures coloniales blanches appartenant aux édiles de la ville, aux patrons de l'usine, aux avocats et aux représentants de commerce. Les trottoirs étaient bordés de magnolias dont les fleurs blanches répandaient un doux parfum, et tous les jours on voyait déambuler à travers la ville des hommes en chemise blanche coiffés d'un feutre mou qui transpiraient sous la chaleur pendant que leurs femmes étaient à la maison en robe de coton à fleurs." (beaucoup de blanc et de feignasses fleuries, dites-moi!)
Note finale2/5(pas mal)

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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois