L’élève Gerber – Friedrich Torberg

L’élève Gerber – Friedrich Torberg

Y a des livres comme ça, dont on n'entend jamais parler habituellement, qui se font une petite place très discrète dans le paysage littéraire et qui attendent sans mot dire qu'une main vienne les piocher. L'élève Gerber est de ceux-là. Petite claque pour Mimine, elle remercie le copain libraire pour le judicieux conseil.

Dans un lycée autrichien des années 30, Kurt Gerber rentre en Terminale, dernière année avant la délivrance, où tous les élèves doivent passer la Maturité, équivalent du Bac. Or, les camarades et Gerber apprennent à la dernière minute que leur professeur principal est Artur Kupfer, le professeur de mathématique cruel et sadique du lycée, qui éprouve pour Gerber une haine sans pitié. Refusant de changer d'école, malgré les supplications de ses parents qui sentent le danger arriver, Kurt Gerber veut relever le défi.

Oh My God. C'te bouquin mes lapins !

Confrontation brutale et terrible entre un élève et son professeur, L'élève Gerber m'a rappelé d'un certain côté la trame de Whiplash (excellent film que je vous recommande chaudement). Notre jeune Kurt est, ici, le genre d'élève à l'esprit libre, admiré secrètement par ses professeurs pour son indépendance et sa vivacité d'esprit, mais également apprécié de ses camarades de classe pour son humour et ses punchlines bien senties. Or, c'est justement sa personnalité qui va le conduire tout droit dans les filets de Kupfer, dont l'indocilité de Kurt lui fait horreur et dont le désir le plus cher est de le mater et de le briser. S tep by step.

L’élève Gerber – Friedrich Torberg

Déjà, rien que par le portrait d'Artur Kupfer diablement bien décrit que nous fait l'auteur au début du roman, on nous fait bien comprendre à quel point Kurt est dans de très sales draps. Dominateur et sadomasochiste, Kupfer ne vit et ne respire que pour ces 10 mois d'année scolaire, bien conscient que son autorité divine qu'il use sur ses jeunes élèves avec délice ne s'étend pas en dehors du lycée. Kupfer incarne l'entité suprême dans la vie de ces adolescents, dont il tient l'avenir entre ses mains, un être qui prend plaisir (quasi sexuel) dans le simple fait de prononcer l'ordre " Assis ".

La pression des examens finaux et des professeurs, couplée à celle des parents, puis l'amour à sens unique de Kurt Gerber pour Lisa, une ancienne camarade de classe qui le prend pour un gros jambon, vont noyer Kurt dans un cercle vicieux où ses forces psychologiques vont se retrouver amenuisées au fur et à mesure que l'année scolaire avance. La mécanique infernale se met en place et plonge Kurt dans une immense solitude, seul face à l'angoisse de l'échec, l'angoisse de décevoir ses parents, l'angoisse de ne pas réussir.

Alors oui, je confirme, c'est pas hyper joyeux. On ne se tape pas la poire toutes les quatre pages et ceux qui ont eu des petites difficultés avec le système scolaire verront leurs souvenirs remontés en pleine face. Mais quelle écriture mes lapins ! Incroyablement bien écrit (et traduit), les phrases et les mots roulent et se déversent sur la langue avec fluidité, le lyrisme du style se confrontant à la perfection à la violence et à l'oppression du récit. Tenez, j'en deviens lyrique moi-même.

Tiré d'un tragique fait divers, le roman a suscité à sa sortie en 1930 une polémique sur les normes d'éducation. Encore aujourd'hui, L'élève Gerber, toujours d'actualité, est donné à lire dans de nombreux collèges/lycées en Allemagne et en Autriche. On en regretterait presque le temps que ça a pris pour que ce roman puisse se voir enfin rééditer en français (chez les éditions suisses Zoé).


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois