La Voyante, un texte de Chantale Potvin…

Voyante. Personne du sexe féminin capable de voir ce qui est invisible pour son alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecclient, à savoir qu’il est un imbécile.
Ambroise Bierce, journaliste américain (1842-1913)

La boule de cristal était astiquée comme un soleil. Tel un éventail chinois, les cartes étaient étendues sur une nappe en velours vert, faisant ressortir les « cœur, pique, carreau, trèfle ». Quatre dés rouge feu remplissaient un petit bol de verre où le célèbre squelette du gouffre de la mort, tranchant deux têtes avec une faux, était peint. Un peu partout sur les murs de la vieille maison, des cadres plus ou moins lugubres alourdissaient l’ambiance de la minuscule pièce qui empestait l’encens bon marché. Un vieux tableau où une licorne diabolique fixait tout le monde du regard était digne d’apparaître dans les pires scénarios de films d’horreur.

Sur une table, près de celle de la voyante, plusieurs objets hétéroclites étaient déposés : un panier de fruits où une pomme pourrie et une pointe de pizza séchée attiraient les mouches, de vieilles cartes de joueurs de hockey et de basket-ball trépassés depuis des siècles, des feuilles odorantes que je pris d’ailleurs entre mes doigts pour les émietter.
— C’est du tilleul. Ces plantes servent à calmer les esprits !, m’expliqua-t-elle, en me signifiant de m’asseoir. Bienvenue ! a ajouté la vieillarde rouleuse de R qui me faisait un signe avec sa main interminable et garnie d’ongles barbouillés ridiculement longs.

Avant d’entrer dans l’antre de la voyante, j’avais pris la résolution ferme de ne pas lui parler, de ne pas répondre à ses questions indirectes qui lui serviraient à me sonder. Avec ces parcelles d’indices sur ma vie et sur mes rêves, elle aurait surfé sur mes confidences afin de plonger à fond pour y aller avec la suite normale des choses. Si je lui avais avoué que j’étais triste parce qu’untel m’avait quittée, comme un tigre affamé, elle se serait emparée de cette confidence dans ses cartes en jurant que le valet de trèfle est un brun qui est parti.
— Pourquoi êtes-vous ici ? Que voulez-vous savoir de l’auguste Sarah ? Quelles sont les parties de votre avenir que je dois vous dévoiler ?

Sans répondre, je fixais l’horloge rococo qui tictaquait en fendant le silence.

Tout en observant bêtement une toile qui représentait des plantes et des animaux coupés qui gisaient sur le sol ou qui émergeaient de la terre, je gardai fortement les yeux ouverts pour provoquer une larme qui finit par naître dans mon œil asséché. Comme dans un mélodrame, la gouttelette salée se mit à rouler subtilement sur ma joue. Je possédais un talent si fou pour jouer la tristesse que je regrettais parfois de ne pas m’être faite comédienne comme ma sœur.

— Je vois que vous êtes née un 13…

— Un 13 ?, questionnai-je, feignant l’intérêt.

— Attendez !, s’offusqua-t-elle de mon inquisition crépusculaire et inopportune.

— Un 13 mai. Oui ! Vous êtes née un 13 mai ! Vous savez comme moi que ce chiffre est au centre de nombreuses superstitions fantasmagoriques, me catapulta-t-elle de sa voix aux inflexions sinistres qui annonçait qu’un ciel allait nous tomber sur la tête.

— Vous n’avez pas eu la chance de naître un 12. Vous savez, le chiffre 12 symbolise l’arcane du Pendu et ça signifie un nouveau départ…

Au son des âneries qui se succédaient à feu roulant, je perdis légèrement ma concentration et me sentis soudainement comme si j’avais été à la pêche, sur un lac, presque hypnotisée par la douceur du vrombissement du moteur de chaloupe ronronnant comme un chat.

— Êtes-vous bien née un 13 mai ? m’implora-t-elle comme si elle avait été une psychologue.

Je n’étais pas facile pour elle. Je ne répondis rien et fis semblant d’être apeurée comme si elle venait de me révéler le quatrième secret de Fatima. Ma moue horrifiée la rassura. Elle avait deviné ma date de naissance !

— Je ne vous dis rien, madame, parce que je suis sidérée, complètement sonnée, lui marmottai-je pour l’encourager à poursuivre sa déblatération.

Plus les minutes avançaient, plus elle me dévoilait qui j’étais. C’est comme si un petit génie invisible lui avait transmis les informations sur ma vie, enfin ce qu’elle croyait qui était ma vie.

Elle me fixait dans les yeux comme Iris, le magicien égyptien dans Les douze travaux d’Astérix. Les lumières clignotantes en moins dans les yeux, la « voyante » me rappelait en tout point le célèbre Gaulois qui soutenait, avec une curiosité choquante, le regard du magicien qui voulait le transformer en sanglier. Tout en me remémorant les paroles du dessin animé, je réprimai un rire en toussotant et en tournant la tête vers le cadre de la lugubre licorne.

Plus tard, avec une aiguille qui pendait au bout d’un fil, elle me prédisait que j’aurais quatre enfants, mais que l’un d’eux, une fille, mourrait à la naissance dans de grandes souffrances. Elle n’y allait pas avec le dos de la cuillère en plus. Elle avait même ajouté que je ne passais pas ma première vie avec une tache de naissance sur mon visage, que j’avais combattu avec des guerriers au Moyen Âge et qu’une épouvantable blessure m’avait défigurée alors que j’étais un homme.

Les folies déroulaient. On me l’avait dit, elle était forte et maligne, la vieille… Pour faire tourner la roue de l’imagination dans les têtes, surtout ! Elle touchait à tout : le passé, le présent, l’avenir, les chiffres, les planètes, mon signe du zodiaque, mes amours. Vraiment, son corpus de balourdises ésotériques était plein à fendre la baraque.

Oui, elle touchait à tout : mon adresse, mes amis, mon amoureux, mes parents, mes études. Tout ! Avec mon Facebook, mon nom, le numéro d’immatriculation de la voiture qui était garée devant chez elle, mon identité, elle devinait tout. Grâce à un minuscule écouteur caché sous son turban et ayant trafiqué les données des bureaux d’immatriculation, elle recueillait les informations transmises par une employée branchée qui lui dévoilait tout de moi, enfin de mon amie qui avait bien voulu se prêter à mon jeu en me refilant son nom et sa voiture pour visiter la voyante ! Bien sûr, mon amie était née le 13 mai.

Quel article j’allais écrire !

Notice biographique

Née à Roberval en 1969, Chantale Potvin enseigne le français de 5esecondaire depuis 1993. Elle a publié cinq romans soit :

-Le génocide culturel camouflé des indiensalain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

-Ta gueule, maman

-Les dessous de l’intimidation

-Des fleurs pour Rosy

-T’as besoin de moi au ciel ?

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois