[1% Rentrée littéraire] Les Parisiens d’Olivier Py

[1% Rentrée littéraire] Les Parisiens d’Olivier Py

J'ai pris, ces derniers mois, de très mauvaises habitudes. Au cours de ma lecture, lorsque je peine un peu à tourner les pages, je fais un petit tour du côté de la critique, et je me renseigne sur le livre en cours. C'est très mal. J'aimerais arriver à chaque titre neutre et sans attentes, afin de prendre sans peur le risque ultime : celui de descendre en règle un livre acclamé ou de célébrer un titre honni. Parfois, c'est plus vicieux encore : les critiques vont toutes tellement dans le même sens que je ressens le besoin de dire tout le contraire, sans savoir bien si cela relève de la dissidence ou du plus bête esprit de contradiction.

Bref, je ne fais pas les choses comme il faut. Et cela ne me facilite pas la tâche pour Les Parisiens d'Olivier Py. J'ai reçu ce livre il y a un mois, dans le cadre du programme Masse critique de Babelio. Et déjà lorsque j'ai ajouté l'ouvrage à ma liste, j'ai pu voir l'étendue des dégâts. Deux étoiles à peine, plusieurs aveux qui semblaient dire qu'il était difficile de finir le roman. La critique officielle ? Roman grotesque et illisible, selon le Nouvel Observateur... A peine quelques enthousiasmes dispersés. C'est donc pleine de questions que j'ai continué ma lecture... Après avoir refermé le livre pour de bon, hier soir, voici les quelques conclusions auxquelles j'ai pu arriver.

Les Parisiens d'Olivier Py se veut grand roman balzacien du XXIe siècle. La Comédie humaine compte en effet quelques figures archétypales d'ambitieux, de Rastignac (cité à plusieurs reprises par Py) à Vautrin, en passant par le jeune Lucien de Rubempré. C'est selon leur modèle que se construit Aurélien, dramaturge et metteur en scène venu de Province pour réussir à Paris. A sa suite, on visite tour à tour les hautes sphères du pouvoir et du monde de la culture et les boîtes gays. Avec une escale, de temps en temps, dans le refuge d'un clocher d'église ou la pauvreté d'une chambre de bonne où on vit à quatre. Talentueux, il est surtout porteur d'une énergie vitale qui fait cruellement défaut aux puissants qu'il fréquente. Le roman compte un nombre impressionnant de personnages secondaires, souvent hauts en couleur : le chef d'orchestre Milo Venstein, qui cherche dans la musique la réponse au vide métaphysique qui le dévore de l'intérieur ; Jacqueline et ses tailleurs aux couleurs improbables, qui fait et défait les modes dans l'ombre et sème ses bijoux comme le petit poucet ses miettes de pain ; Iris et Serena, le couple de lesbiennes militantes ; la grande Catherine, actrice à la Comédie française ayant sombré dans la folie et l'alcoolisme ; Touraine et Sarazac, qui briguent tous deux le poste de directeur de l'Opéra et se révèlent deux faces d'une même pièce, aussi opposés qu'indispensables l'uns à l'autre, etc. De nombreux personnages, tous mus par un but qui les dépasse, rongés par un passé qu'ils fuient ; la volonté de brosser un tableau cynique du Paris culturel et de ses sphères d'influence ; le tout relié aux questionnements LGBT. Sur le papier, on fait difficilement plus prometteur. Cependant, le roman ressemble fortement aux recettes que je réalise pour la première fois. En général, c'est mangeable, ça peut même être plutôt bon, mais ce n'est pas toujours bien présenté, et la sauce n'a pas la bonne consistance.

Le principal défaut et la principale qualité du roman tiennent déjà de la même chose : Les Parisiens est un roman du XIXe siècle. Il en prend tout d'abord les références : Py allusionne avec autant d'allant qu'un décadent un soir de beau temps, et les citations de Huysmans ou de Nietzsche ne se dévoilent, dépourvues de leurs guillemets, qu'à ceux qui les connaissent déjà. Il en prend aussi, et surtout, les outrances : ses personnages déclament et pérorent. Ils en oublient parfois d'être réalistes, à force d'être des supports de discours.

Arrêtons-nous là un instant, car nous arrivons là à un des principaux reproches faits à ce livre. Ce qui le sauve en partie (hélas, en partie seulement), c'est que ses personnages sont des gens de théâtre et qui s'est retrouvé entouré d'une troupe d'acteurs bavards (ce qui est un pléonasme) peut déjà se dire qu'il y a un peu de vrai. Quand bien même certains ne seraient pas officiellement acteurs, le livre nous démontre que tout Parisien est d'abord un leurre, une illusion - une image, construite sur de l'existant... ou du vide. Aussi n'est-il pas anodin que tous les personnages aient, de façon si inquiétante, les mêmes discours, les mêmes termes au bout des lèvres : la sociabilité parisienne n'est-elle pas une forme d'uniformisation forcée, dont seuls quelques rares personnages échappent ? Peu d'entre eux sont rachetés aux yeux de l'auteur : la plupart d'entre eux sont les prostitué(e)s, seuls réellement conscients de leur vocation théâtrale dans un monde où tout est représentation.

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Le roman tient aussi du XIXe sa relation au sacré : dans leur quête de transcendance dans un monde qui en est dépourvu et qui cherche à tout prix à s'en consoler (le monde comme société de consolation, pour reprendre une expression du livre), plusieurs personnages se perdent dans beaucoup d'absolu et d'abstrait. L'un d'entre eux est Lucas, fils de bonne famille, écrivain d'une seule oeuvre et amant-miroir d'Aurélien. Lucas est un désespéré, sans voie de salut par la foi, et il se lance dans une quête de transcendance où il a recours à tous les moyens d'humiliation et d'ascèse pour parvenir à trouver un peu de sens à sa vie. Au fil du roman, il maigrit, il prend les coups et les cicatrices, il va même jusqu'à perdre une jambe - en un mot, il s'abîme. En ce sens, il représente le reflet d'Aurélien qui semble plonger dans la mondanité sans en être éclaboussé une seconde et qui sautille de scènes en scène comme un faune (le mot est inlassablement répété au fil du roman). Une sorte de portrait de Dorian Gray vivant, en fait. Ce n'est d'ailleurs que lorsqu'il s'éclipse du récit (je ne vous dirai point comment) qu'Aurélien s'effondre : privé de Lucas, c'est lui qui sombre dans les ténèbres du désespoir et qui voit, à ses pieds, l'abîme s'ouvrir - abîme qui a dévoré bien des personnages avant cela.

Il y a, en somme, beaucoup de choses à dire de ce roman. Il y a des trouvailles, de beaux passages parmi les lyrismes échevelés. Cela ne fait pas oublier pourtant certains défauts. Le vernis transgenre semble avoir été ajouté un peu superficiellement et s'intègre mal au reste du récit. Les tirades des personnages, malgré les justifications que je leur trouve, demeurent assez longues et j'ai parfois lu en diagonale certains dialogues : les face à face entre Aurélien et Lucas m'ont parfois semblé interminables. En somme, j'ai eu l'impression d'avoir entre les mains un roman non débroussaillé, plein de toutes ses premières idées, les géniales comme les mauvaises ; et je me suis surprise à regretter qu'il ne fasse pas 150 à 200 pages de moins.

La fin, marquée d'une belle parabole d'Esope - reprise d'ailleurs par La Fontaine - valait cependant l'effort de lecture. Je feindrai aussi d'ignorer les règlements de compte qui se cachent derrière ce qui a parfois été présenté comme un " roman à clef ", ou encore l'idée qu'Aurélien et Lucas sont deux faces de l'auteur (leur idéalité prêtant alors à sourire). Ces deux aspects ne servent pas le roman, et gâchent une partie de son potentiel.

Parisiano-centré, sans doute ; maladroit, hélas. Mais Les Parisiens méritent cependant qu'on s'y attarde pour quelques fulgurances, cachées sous le fatras des dorures et des back-rooms. J'aurais simplement aimé que, sous couvert de décadence, il emprunte encore davantage aux auteurs fin-de-siècle que j'affectionne et dont il se réclame parfois, plutôt que d'associer au romantisme noir des dissertations par trop métaphysiques. Si l'ironie est là, et souvent mordante, il manque peut-être un peu plus (il y en a déjà, heureusement !) de second degré et de distanciation pour rendre le roman plus pratiquable.

Une lecture étrange, à tout le moins. Ce qui n'est pas un mauvais point en cette rentrée littéraire.

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