L’obésité, le fléau de l’intimité

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Il y a quelque chose qui me dérange de plus en plus, à mesure que le temps passe : cette manie qu’ont les gens de penser que débattre de mon poids est acceptable. Je veux dire, le corps, bien qu’exposé aux yeux de tous lorsque nous sortons de chez nous, n’est-il pas quelque chose d’intime ? N’est-ce pas d’ailleurs pour cela que nous le cachons sous des vêtements et que nous ne nous montrons nue qu’aux personnes de confiance ?

Je ne sais pas, je trouve que c’est bizarre. Un peu comme toucher le ventre d’une femme enceinte sans son autorisation, comme si le fait de porter un enfant transformait la femme en espace public !

Certains n’arrivent tout simplement pas à se mêler de ce qui les regarde, à prendre conscience qu’une telle intrusion dans les problèmes d’autrui n’amène rien de bon. D’autres penseront qu’ils le font pour votre bien, alors qu’ils provoquent tout le contraire du bien.

En fait, j’ai l’impression que j’appartiens à tout le monde. Tout le monde a le droit de me juger, haut et fort, parce que je suis grosse, alors je le mérite. Où est-ce écrit, exactement, que ce droit est accordé à quiconque croise une personne obèse ?

J’énonce peut-être une évidence mais nous avons tous nos soucis, nos vices, notre passé. Les personnes qui passent leur temps à faire des dissertations sur mon poids ne connaissent pas un dixième des problèmes que j’ai eu. Ils ne savent même pas comment j’en suis arrivée là, car non, il n’est pas uniquement question de gourmandise quand on prend trente kilos en un an. Il y a forcément, toujours, quelque chose derrière. Quelque chose que la personne voudra ou non nous confier. Dans tous les cas, la personne en face n’a pas besoin qu’on lui enfonce la tête dans son problème tous les jours. Un problème, on sait tous ce que c’est : une plaie dans notre vie, qui nous fait mal chaque jour, qu’on aimerait pouvoir résoudre sans forcément savoir comment s’y prendre. Est-ce la définition d’une faute, pour laquelle on devrait être puni quotidiennement ? Non, c’est une souffrance et aucune souffrance ne mérite d’être ravivée gratuitement.

Une personne obèse sait qu’elle est obèse. Elle le sait même mieux que quiconque, car elle se voit dans le miroir tous les jours, elle n’arrive  jamais à manger sans culpabiliser, et c’est elle qui souffre à chaque fois qu’elle doit monter des escaliers ou faire quelque chose de physique.

Une personne obèse n’a pas besoin qu’on lui rappelle, tous les jours, qu’elle est obèse. Elle n’est pas amnésique. Elle sait que les frites, c’est gras, elle sait qu’il faut manger des légumes et boire de l’eau. Elle sait qu’elle n’est pas en très bonne santé. Pour être plus clair : ELLE SAIT ! Alors pourquoi lui dire, si ce n’est pour la blesser ? A un moment donné, quand on voit que ça blesse la personne, que ça ne l’aide pas, l’excuse « pour son bien » n’est plus valable et ça tourne tout simplement à l’acharnement. La maladresse, ça passe une fois, deux fois, dix fois… Mais la société actuelle n’est plus dans la maladresse, elle est tombée dans le jugement pur et dur.

Je vis cela depuis que je suis enfant. Certaines périodes sont plus dures que d’autres. J’entretiens avec la nourriture un rapport compliqué qui ne regarde personne, en tout cas personne qui ne saurait me comprendre et mettre ses jugements de côté. J’ai vu des psychologues, des psychiatres, des nutritionnistes, j’ai pris des traitements, j’ai même pensé à me faire opérer… Sauf que je sais que ça ne sert à rien. Mon problème n’est pas physique, il est là où ça fait le plus mal, dans la tête. Je me demande parfois si un jour je m’en sortirais, tellement cette situation me paraît insurmontable. Tellement insurmontable que je ne peux que rire nerveusement quand on me répète, jour après jour, que je devrais manger des pommes et faire du sport, sans s’intéresser à ce que je peux bien ressentir.

La vie des autres est si simple quand on la regarde de l’extérieur. Je suis d’avis qu’on devrait tous se tolérer, se respecter. Je ne me moque pas des fumeurs, des drogués, des alcooliques… Pourquoi se moquer de moi ? Tout le monde a des habitudes néfastes pour la santé et tout le monde ne se fait pas sermonner toute la sainte journée. Nous sommes quand même censés être adultes. Par exemple, en ce moment, je commence ma transition vers une alimentation végétarienne. Par principe, mais également car je pense que la viande n’est ni nécessaire ni bonne pour la santé. Est-ce que je vais aller emmerder tous ceux qui mangent de la viande à chaque repas ? « Tu devrais arrêter, c’est mauvais, si tu continues à manger de la viande, c’est que tu manques de volonté ». On aurait bien raison de me répondre de me mêler de mes fesses. Et d’ailleurs, quand j’ai annoncé que je voulais être végétarienne, je n’ai eu que des réactions qui se référaient à mon poids. « Ce n’est pas comme ça que tu maigriras, tu peux maigrir en mangeant de la viande ». Oui, mais ce n’est pas parce que je suis grasse que je ne pense qu’à mon poids toute la journée et que ma vie tourne autour de ce simple fait ! Je veux être végétarienne parce que j’aime les animaux, on ne peut pas faire abstraction de ma silhouette trois minutes et s’intéresser à ma personnalité, mes convictions, mes valeurs ? Ne suis-je qu’une coquille enrobée de gras, vide à l’intérieur ?

Je suis désolée pour ce long discours mais ça fait du bien de se décharger un peu. Je me sens prisonnière de tout ça depuis quelques temps. Comme si je n’étais aux yeux du monde qu’un tas de graisse à raisonner, et non pas un humain avec un vécu et un cœur.

A tous ceux qui pensent que l’obésité n’est que le synonyme de la fainéantise et la gloutonnerie… Votre avis, on se torche avec, si vous voyez ce que je veux dire ! Ce sont souvent les personnes les moins irréprochables qui émettent de tels jugements dégoûtants sur les autres, peut-être pour oublier à quel point ils sont eux-même imparfaits. Nous le sommes tous d’ailleurs. Alors… autant s’occuper de nous-mêmes, avant d’aller embêter les autres, non ?

Merci aux personnes tolérantes, souvent éclipsées par celles qui nous accablent…

Crédit image : ici.



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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois