Défaite des maîtres et possesseurs, Vincent Message


"Jusqu'à quand une vie d'homme mérite-t-elle d'être vécue? Qui peut savoir cela? Qui a le droit d'en décider? Nous sommes pris dans ce questionnement permanent, au comité d'éthique, et les années passées là-bas ne m'ont pas donné les bonnes réponses, juste des manières moins grossières d'exposer les dilemmes. Autrement dit, je n'ai pas attendu un accident de ce genre pour être quelqu'un qui doute, mais le voilà qui déboule, renverse quelqu'un que j'aime et vient donner à ces questions un tour plus personnel, le tranchant effilé de la vie et de la mort. Je raisonnais sur ces sujets et j'étais fier de ma raison. Maintenant c'est le cœur qui bat, insupportable comme sont les cœurs."

"Cent milliards sur la terre, mille milliards dans les mers : ils tuaient, chaque année, beaucoup plus d'animaux qu'il n'était mort d'hommes au cours de toutes les guerres depuis le début de leur histoire, mais ils ne les appelaient pas victimes, n'appelaient pas ça la guerre, et ne voyaient dans ce système qu'un moyen de se nourrir."

"Est-ce que l'on est censé défendre les actes de ses parents comme si on avait vécu avec eux et décidé comme eux? [...] Est-ce qu'exercer le droit d'inventaire, ne pas accepter que l'héritage fasse bloc, cela s'appelle trahir? Et si tel est le cas, par quel mystère au monde trahir ses ascendants doit-il être jugé pire que de faire faux bond au sentiment du juste qui charpente notre conscience?

"Ils aimaient la victoire. C'était leur petit fétiche, espéré, désiré avec une intensité qui était une folie. Ils se sentaient tous faibles, à leurs heures, trop vulnérables pour la condition que le hasard leur avait réservée, mais la victoire quand elle venait les nourrissait de l'impression contraire, les rassurait, leur assurait qu'ils avaient un destin, qu'ils n'étaient pas là par erreur, que des forces plus grandes et illisibles tenaient le compte de leurs exploits comme des parents qui s'extasient devant l'enfant qui marche ou parle, que la mort ne finirait rien, et que si les perdants n'avaient peut-être pas fait les efforts nécessaires pour mériter une autre vie, les battants, eux, se tiendraient dans me soleil et un jour seraient sauvés."

"Ce qui les mettait à part, c'était, disaient-ils, leur intelligence redoutable, leur maniement fin du langage, leur créativité. Ne pas être capable de réguler pour de bon sa démographie, déterrer et brûler le carbone jusqu'à rendre l'air irrespirable, c'était pour eux le signe d'une intelligence redoutable. Réduire de force plusieurs milliards de leurs propres congénères à une vie de quasi-esclaves pour qu'une minorité concentre les richesses, c'était l'indice certain de leur inventivité exceptionnelle. Ils ne se demandaient presque jamais si le fondement de l'intelligence ne consiste pas à se donner les moyens de survivre sur le long terme, si la capacité à une autoconservation durable n'est pas le premier signe de la raison."


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois