Rencontre avec les éditions Zulma 2/2

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Voici la seconde partie du compte rendu de la rencontre avec Laure Leroy, créatrice et directrice des éditions Zulma, qui a eu lieu à la librairie L’Histoire de l’œil à Marseille. J’ai fini la première partie en rapportant la nécessité pour Laure Leroy d’avoir une marque éditoriale forte, grâce au nom de la maison d’édition tout d’abord mais aussi aux couvertures. Il fallait que les couvertures soient reconnues au premier coup d’œil comme des publications des éditions Zulma. Mais chaque livre devait également être différent et faire sa propre publicité en montrant qu’il s’agit d’un objet littéraire.

Le designer anglais David Pearson est à l’origine de la maquette des fameuses couvertures, qui rappelle ce que pouvaient faire les éditions Penguin dans les années 1950, mais avec une touche contemporaine. Pour chaque livre, l’éditrice présente au designer le synopsis en quelques lignes, puis il lui fait des propositions, qui tombent juste dès le premier coup parfois. Ce fut le cas pour la couverture de La Vie et les Agissements d’Ilie Cazane de Razvan Radulescu. Laure Leroy explique la nécessité d’avoir une couverture qui irait bien avec ce livre lors de la publication d’un autre ouvrage de l’auteur, Théodose le Petit. On voir alors la ressemblance entre les couvertures, qui gardent toutes deux les spécificités de leur roman (les tomates et le communisme pour le premier, les fraises et les champignons pour le second).

la-vie-et-les-agissements-dilie-cazaneLa Vie et les Agissements d’Ilie Cazane, de Razvan Radulescu, 2013, 272 pages.
Ilie Cazane mènerait une existence plutôt paisible s’il n’avait le don extraordinaire de faire pousser des tomates géantes. Sous le régime du Conducator Ceausescu, pareil mystère passe pour un crime inconcevable.
Le colonel Chirita, esprit rationnel qui ne jure que par un matérialisme forcené, a vite fait de le mettre aux arrêts. Mais rien n’y fait : malgré les supplices, Cazane demeure muet et ses surnaturels talents de jardinier restent inexplicables…
Pendant ce temps-là, sa femme Georgette accouche d’un garçon : Ilie Cazane fils qui, avec sa grosse tête de courge, va vite montrer des penchants désopilants pour le bricolage et, en digne fils de son père, s’attirer la sympathie générale.
Entre la nature désinvolte et mystérieuse d’Ilie Cazane père, l’enfance burlesque d’Ilie Cazane fils et les questionnements métaphysiques du colonel Chirita, se déploie le spectacle d’une communauté à l’innocence joyeuse, en proie à un système paranoïaque et absurde.

LeVieuxJardinAW+Théodose le Petit, de Razvan Radulescu, 2016, 512 pages.
Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si d’infâmes conspirateurs – le très retors Silure et le cruel duc d’Ottobourg – ne complotaient à renverser le trône du paisible Théodose…
Satire très sérieusement loufoque du pouvoir et de ses aléas, Théodose le Petit déploie tout l’arsenal du genre. Véritable Machiavel à branchies et nageoires, l’impétueux Silure ne se déplace jamais sans son aquarium. Et tandis que ce « Confucius subaquatique » orchestre en sous-main l’extension du lac Froid, le Glorieux Otto peaufine son coup droit et sa dernière invention : l’écervelateur sinusoïdal.
Dans l’autre camp, le débonnaire Chatchien, Tuteur Plénipotentiaire du Prince Héritier, tente de mobiliser ses alliés naturels : la chouette Calliope et le minotaure Samuel, qui se détestent cordialement et fabriquent dans le plus grand secret des armes de destruction massive – fraises géantes et champignons pétaradants.
Mais les espions sont partout, la position des Fourmis vertes et des Fourmis violettes est incertaine. La résistance s’organise. Jusqu’à l’inéluctable : la guerre, sanglante, picrocholine, est déclarée.

Parfois, une couverture est proposée pour un livre mais Laure Leroy et son équipe préfèrent la garder pour un autre livre en préparation si elle lui correspond mieux. Zulma est menée par cinq personnes et il est rare qu’une couverture ne fasse pas l’unanimité. Toutes les couvertures sont soumises aux auteurs et ce n’est arrivé qu’une ou deux fois en dix ans qu’un auteur n’apprécie pas la couverture et que le processus de création soit relancé.

Laure Leroy s’est attardée ensuite sur l’histoire de la publication du Messie du Darfour, de Abdelaziz Baraka Sakin, récemment publié pour la rentrée littéraire. L’auteur est originaire du Soudan et écrit en arabe, quelques traductions de son roman circulaient en anglais mais n’étaient pas publiées.

LaSolutionEsquimauAWLe Messie du Darfour, de Abdelaziz Baraka Sakin, 2016, 208 pages.
« C’était la seule à Nyala et sans doute même dans tout le Soudan à s’appeler Abderahman. » Avec son prénom d’homme et sa cicatrice à la joue, terrible signe de beauté, Abderahman est la fille de fortune de tante Kharifiyya, sans enfant et le cœur grand, qui l’a recueillie en lui demandant de ne plus jamais parler de la guerre. De la guerre, pourtant, Abderahman sait tout, absolument tout.
C’est un jour de marché qu’elle rencontre Shikiri, enrôlé de force dans l’armée avec son ami Ibrahim. Ni une, ni deux, Abderahman en fait joyeusement son mari. Et lui demande de l’aider à se venger des terribles milices janjawids en en tuant au moins dix.

En 2010, Laure Leroy a commencé à échanger avec Xavier Luffin, l’actuel traducteur du Messie du Darfour. Ce dernier lui fait diverses propositions et au fur et à mesure, une relation s’est installée. Puis, il lui parla de Abdelaziz Baraka Sakin. Elle lit alors le roman en anglais et quelques chapitres en français, qu’elle aime beaucoup. Mais avant de publier un auteur, elle tient à parler avec ce dernier : elle n’a jamais l’intention de publier seulement un livre mais bel et bien l’œuvre complète d’un auteur. Le Messie du Darfour est le premier livre qu’elle publie et donc le début de cette relation de confiance : si elle a pu lire le premier roman et même quelques chapitres traduits avant de le publier, elle navigue à présent à vue. C’est un engagement sur le long terme.

Laure Leroy a une autre anecdote, à propos de l’auteur Benjamin Wood cette fois-ci. Alors qu’elle s’était dit qu’elle ne publierait pas d’auteurs anglo-saxon, elle tombe sur le premier roman de Benjamin Wood lors du Salon du livre de Toronto, Le Complexe d’Eden Bellwether. Dans ce roman, il parvient à reprendre un lieu commun de la littérature anglaise, celui d’un groupe d’étudiant qui évolue dans une université particulière, mais il donne quelque chose de nouveau au thème qui fonctionne bien et en fait quelque chose d’exotique dans son genre. Le livre a d’ailleurs obtenu le Prix Fnac 2014 en France, et d’autres titres dans divers pays. Évidemment, la directrice des éditions Zulma est très contente du succès de ce roman, vendu à plus de 35 000 exemplaires.

Laure Leroy revient sur une autre auteure de sa rentrée littéraire : Auður Ava Ólafsdóttir dont le premier roman vient d’être publié au début du mois, Le rouge vif de la rhubarbe. L’entrée de cette auteure chez Zulma s’est faite par la publication de Rosa Candida, puis trois autres livres ont suivi. Cette romancière islandaise est très réputée dans son pays mais sa plume est bien différente des autres auteurs d’Islande qui écrivent beaucoup de polars ou d’histoires de marins pêcheurs. Même en Islande, l’écriture d’Auður Ava Ólafsdóttir se démarque. J’ai craqué sur ce livre, je vous en reparle donc bientôt !

LaSolutionEsquimauAWLe rouge vif de la rhubarbe, de Auður Ava Ólafsdóttir, 2016, 160 pages.
Souvent aux beaux jours, Ágústína grimpe sur les hauteurs du village pour s’allonger dans le carré de rhubarbe sauvage, à méditer sur Dieu, la beauté des nombres, le chaos du monde et ses jambes de coton. C’est là, dit-on, qu’elle fut conçue, avant d’être confiée aux bons soins de la chère Nína, experte en confiture de rhubarbe, boudin de mouton et autres délices.
Singulière, arrogante et tendre, Ágústína ignore avec une dignité de chat les contingences de la vie, collectionne les lettres de sa mère partie aux antipodes à la poursuite des oiseaux migrateurs, chante en solo dans un groupe de rock et se découvre ange ou sirène sous le regard amoureux de Salómon. Mais Ágústína fomente elle aussi un grand voyage : l’ascension de la « Montagne », huit cent quarante-quatre mètres dont elle compte bien venir à bout, armée de ses béquilles, pour enfin contempler le monde, vu d’en haut…

Questionnée sur le travail qu’elle peut entreprendre avec les auteurs français lors de l’écriture de leurs romans, Laure Leroy soulève qu’elle publie des écrivains de grand calibre, comme Hubert Haddad, avec qui elle travaille depuis vingt-cinq ans. Une confiance s’est établie mais elle n’a aucune intention de lui expliquer comment écrire. Elle lit souvent les premiers états de ses romans, avant même qu’il considère le manuscrit comme définitif, puis ils échangent ensemble du sujet du roman. En effet, la plupart des romans de Hubert Haddad se découvrent par strates, il faut aller en profondeur pour aborder le sujet réel du roman.

Laure Leroy répond à une interrogation sur le dernier roman de Marcus Malte, publié pour la rentrée littéraire, Le Garçon. Elle en profite pour revenir sur l’histoire de sa rencontre avec cet auteur : il publiait à l’époque au Fleuve Noir et lors du changement de cette maison d’édition, il devint l’un des auteurs de Zulma, avec notamment Pascal Garnier. Lors de la refonte des éditions Zulma, pour laquelle Laure Leroy ne voulait publier que de la littérature, elle réalise que les romans de Marcus Malte ne devraient pas être enfermés dans la dénomination de polar. D’ailleurs, quand l’étiquette « polar » est tombée de ses romans, il y a eu un grand enthousiasme pour cet auteur.

LeVieuxJardinAW+Le Garçon, Marcus Malte, 2016, 544 pages.
Il n’a pas de nom. Il ne parle pas. Le garçon est un être quasi sauvage, né dans une contrée aride du sud de la France. Du monde, il ne connaît que sa mère et les alentours de leur cabane. Nous sommes en 1908 quand il se met en chemin – d’instinct.
Alors commence la rencontre avec les hommes : les habitants d’un hameau perdu, Brabek l’ogre des Carpates, philosophe et lutteur de foire, l’amour combien charnel avec Emma, mélomane lumineuse, à la fois sœur, amante, mère. « C’est un temps où le garçon commence à entrevoir de quoi pourrait bien être, hélas, constituée l’existence : nombre de ravages et quelques ravissements. » Puis la guerre, l’effroyable carnage, paroxysme de la folie des hommes et de ce que l’on nomme la civilisation.

Cela faisait trois ans que Marcus Malte travaillait sur un autre projet d’écriture, qui ne serait pas un roman noir mais plutôt historique, sur les années 1908-1938. Mais il écrit lentement et n’a pas le temps de se consacrer pleinement à ce projet. Laure Leroy lui a alors fait confiance et lui a donné un bel à-valoir, pour lui permettre d’arrêter de courir les bibliothèques et festivals et se consacrer à son projet d’écriture pendant six mois. Elle rappelle que c’est aussi ça, le métier d’éditeur, faire confiance à un auteur et lui permettre de travailler sur ses projets quand il le faut.

Ce fut une rencontre très intéressante, qui m’a réellement donné le goût de m’intéresser à cette maison d’édition et ses auteurs !


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