Found in translation — L’adaptation des noms dans la littérature jeunesse

Il y a quelques temps je vous ai annoncé l'ouverture de la catégorie Les noms dans la littérature. Me revoilà !

L'adaptation des noms est une question récurrente en littérature. Est-ce que le vrai nom du personnage, c'est Severus Snape ou Severus Rogue ? On a vu des fans s'écharper pour moins que ça. Les espagnols ont choisi de garder tout le vocabulaire anglophone, le Snape, les muggles et tout ; ont-ils eu raison ?

Dans quels cas est-il judicieux d'adapter un nom ? Que faut-il prendre en compte, au juste ? À la première question, pas de réponse absolue, à la seconde, plusieurs pistes :

  1. Le lectorat visé
  2. L'intention de l'auteur
  3. Le charme de la V.O.
  4. Les habitudes du genre littéraire

Changer un nom n'est pas une question anodine, puisqu'un nom trimballe avec lui la culture du pays dont il est issu, et aussi des morceaux de l'univers du livre, qu'il sublime. L'adapter peut s'avérer un infernal casse-tête, voire une vraie mauvaise idée. La question de l'adaptation doit se faire en considération de la nature de l'ouvrage, du lectorat visé, et de sa compréhension du texte.

#1. ADAPTER POUR RENDRE ACCESSIBLE

Pourquoi était-ce pertinent d'adapter les noms de Harry Potter ? Parce qu'ils contiennent un paquet de jeux de mots (voire, d'informations) et que les livres sont destinés à un public de jeunes lecteurs (à partir de 9-10 ans environ). Or, jusqu'à aujourd'hui, les enfants français de cet âge sont incapables de piger des jeux de mots en anglais, ce qu'a judicieusement su déceler l'éditeur.

Ainsi, grâce au travail d'orfèvre plein de fantaisie de Jean-François Ménard, nous voici émerveillés dans le " Chemin de Traverse " ( Diagon Alley = diagonally " diagonalement ") prêts à dévorer des " dragées surprise de Bertie Crochue " ( Bertie Bott's Every Flavour Beans = " Les haricots de toutes les saveurs de Bertie Piedbot " (nb. c'est pour ça que je suis pas traductrice)).

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Pourtant vous noterez que tous les noms ne sont pas adaptés. Sirius Black reste Sirius Black, car " black ", j'imagine, est vraiment facile à comprendre, même pour un gamin.

Dans un univers parallèle se promène peut-être un Sirius Lenoir incompris.

#2 RESPECTER LES INTENTIONS DE L'AUTEUR

J'ai évoqué une question de langue, mais parfois l'idée d' " accessibilité " d'un nom est plus fine que cela. Par exemple, les éditeurs de chez Bayard ont estimé que le (très bon) roman Horten's Miraculous Mechanisms de Lissa Evans méritait d'être acheté, traduit et vendu aux petits français, en quoi je leur suis éternellement reconnaissante. En revanche, ils ont décidé que le héros, qui s'appelle Stuart, devait s'appeler Lucas.

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Franchement ? Quel rapport entre Stuart et Lucas ? Stuart est un prénom que les petits français connaissent depuis Stuart Little, est-il si inaccessible ?

Et en admettant que Stuart soit trop inhabituel, trop bizarre pour un jeune lecteur hexagonal - je grogne, mais je peux le concevoir - purée STUART c'est un prénom assez original, puisqu'il n'est pas dans le Top 100 des prénoms attribués en GB, tandis que LUCAS... y avait littéralement pas de prénom plus attribué que celui-là ! Je hurle.

Il faut signaler que les éditeurs et traducteurs ont eu à composer avec un jeu de mot : Stuart Horten donne S.HORTEN soit " raccourci " ou, affectueusement, " riquiqui ", qui en Français devient Lucas Hutin, L.HUTIN, ce qui est tout à fait correct mais n'excuse en rien le choix de Lucas (j'aime ce prénom, rien à voir). Un Lucas, c'est très différent d'un Stuart, voilà. Un Stuart en France, il pourrait s'appeler Clovis ou Maxence, chépa. En terme de popularité du prénom et de connotation, ce serait plus juste. Avec les initiales ça aurait fait C.HOUPY ou M.HINNUS et même en gardant L.HUTIN y avait qu'à l'appeler Lazare, Léopold ou même Lou(p), soyons fifou.

Peut-être sommes-nous simplement ici face à un cas de " Popularite aiguë " où, pour plaire à tout le monde, on fait un choix bateau. (J'explique dimanche prochain pourquoi c'est une mauvaise idée d'appeler ses personnages de romans par les noms les plus populaires IRL.)

Bref. Allez lire ce livre à part ça il est chouette.

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Le propos que j'entends développer à l'aide de cet exemple, c'est que dans l'adaptation des noms comme dans la traduction du texte, il faut respecter l'intention de l'auteur. (Et c'est possible, ça demande juste un petit travail de recherche.) Même si l'adaptation est, par définition, imparfaite, elle peut tenter d'être fidèle à l'esprit de l'original.

Illustration avec l'exemple, très proche du premier, de Hamish and the World-Stoppers, de Danny Wallace, devenu en V.F. Hector et les pétrifieurs de temps.

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Comme dans le cas de Stuart, les éditeurs ont estimé que, heu, Hamish, c'était super chelou comme prénom, aux yeux d'un lecteur français de 9-10 ans (et même pour un adulte : on a tendance à être perturbé par une autre référence). En plus d'être foncièrement bizarre, ce prénom aurait pu induire en erreur sur le sujet du livre.

Le prénom Hamish a été adapté en Hector, ce qui est un excellent choix car c'est :

  1. un prénom bilingue, pour ne pas faire tâche dans la petite ville britannique où se déroule l'action, et être accessible par des français (exigence respectée dans le cas de Lucas, bilingue aussi) ;
  2. un prénom à la popularité et à la connotation comparable (respect de l'intention de l'auteur). Hamish et Hector sont respectivement vers la fin des Top 100 anglais et français, ce sont des prénoms un peu ringards, mais sur le retour, grâce à la mode rétro.

Ils auraient pu l'appeler Harry, Henry, Harold, plus faciles, plus connus, plus populaires (oui, même Harold, grâce à Dragons), mais ils ont fait le choix de Hector et c'est cool.

#3. ADAPTER ET... RISQUER DE FAIRE PERDRE SON CHARME À LA V.O

Aujourd'hui, qui ne se crisperait pas si je disais " OLIVIER Twist " au lieu de Oliver Twist ? Pourtant, pendant longtemps, les versions françaises de nos romans préférés ont ainsi adapté les noms de nos héros, même lorsqu'il n'était pas question de jeux de mots, et même lorsque le texte s'adressait à un public large !

Plein de petites choses sont à prendre en compte pour comprendre ce changement, mais surtout le fait que nous soyons bien plus familiers de la culture anglophone aujourd'hui, d'une part, et que nous soyons bien moins coloniaux assimilateurs envers les cultures étrangères d'autre part. À titre d'exemple, jamais on n'appellerait Léon Tolstoï " Léon " s'il se faisait connaître aujourd'hui. On l'appellerait Lev (parce que c'est son nom).

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Au fil de cette évolution de nos perceptions culturelles, on s'est mis à trouver un charme singulier et délicieux à tout ce qui rappelle l'univers dans lequel évolue le personnage. Si c'est le côté british dans Oliver Twist, c'est le côté fantasy dans Eragon, dont il ne nous viendrait pas à l'idée d'adapter les nom Saphira et Galbatorix, aussi ridicules soient-ils. (Mouahahah.)

#4. PRENDRE EN COMPTE LES HABITUDES DU GENRE

Je rigole en évoquant Eragon, mais ça s'est fait, de traduire des noms issus de la fantasy, et certaines habitudes ont la vie dure puisque Frodon Sacquet ( Frodo Baggins en V.O.) restera encore longtemps Frodon Sacquet dans nos esprits, malgré les nouvelles traductions l'appelant à nouveau " Frodo ".

En littérature de l'imaginaire (science-fiction, fantastique et fantasy), on a tendance à considérer que, si les noms vraiment imaginaires (comme Eragon, Frodo ou Daenerys) devraient rester inchangés, les noms ayant une signification transparente en anglais devraient être traduits. Tout simplement car, si l'univers n'est pas réel, ce n'est pas un nom anglais qui va lui donner son charme unique si particulier, mais bien un nom adapté, dont la signification en osmose le monde créé sera accessible au lecteur. C'est pourquoi la dynastie des Farseer dans L'Assassin Royal devient celle des " Loinvoyant ", et que tous leurs noms de vertus bizarres sont adaptés : Shrewd devient " Subtil ", Verity " Vérité ", etc. C'est aussi pourquoi dans Game of Thrones, Davos Seaworth devient Davos " Mervault ", ou King's Landing " Port-Réal ". Comme ce n'est pas le charme oh-so-british qui nous appelle dans de tels univers, on s'en tamponne l'oreille, de l'anglais, et on traduit.

Dans un autre genre en revanche, on ne traduira pas du tout les noms de lieux et de personnages, quand bien même ils auraient une signification notable relativement inaccessible : c'est celui de la littérature générale et plus particulièrement de la romance.❤
Là, on vient (en outre) chercher le charme de ce beau gentleman anglais ou américain ; son nom joue un rôle important dans la définition culturelle et fantasmée de sa personnalité, et merci bien mais bien mais, Christian Gris, il n'intéresse personne. C'est un exemple de situation où (il me semble) le charme de la V.O. primera toujours sur n'importe quelle autre considération.

#5. JONGLER AVEC LES RÈGLES DE L'ADAPTATION (lectorat, intention et charme de la V.O. et habitudes du genre)

Cas pratique !

Dans Tous nos jours parfaits, roman d'amour, de psychologie, et de découverte de soi, destiné à un public jeunes adultes, le héros porte le nom de Theodore Finch, patronyme par lequel il est toujours appelé.*

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Finch, en anglais, c'est un pinson. Or, il y a, dans le titre, dans les illustrations de couv' et de 4 e, et occasionnellement dans les dialogues, des références et des jeux de langage sur ce Finch/pinson. Pour ne rien simplifier, en anglais, Finch est aussi attribué en tant que prénom, ce qui rend quand même l'appellation, dans le roman, plus naturelle. Or rien de tout cela ne fonctionne en français. Alors, faut-il adapter ? Trouver un prénom-nom qui évoque un oiseau en français ? (Pas simple, mais on pourrait penser à Falco, Merlin, Milan, Sterne...)

Les éditeurs de chez Gallimard Jeunesse, à qui reviennent ce genre de décision (le traducteur propose naturellement les adaptations qu'il juge pertinentes, mais c'est l'éditeur qui choiz) ont finalement jugé que non, il ne fallait pas adapter. Parce que, tout bien considéré :

  1. le public young-adult n'est pas aliéné par un nom anglophone. Il parle anglais en majorité, et (si des jeux de mots plus subtils peuvent lui échapper), à l'inverse, une adaptation frenchie risquerait de sonner faux dans un lycée aux États-Unis.
  2. Sans compter que le lectorat visé cherche l'exotisme particulier à la culture US lorsqu'il entre dans ce genre de roman.

On pourrait même ajouter que le nom " Finch ", dans son dynamisme et son ton unique, apporte beaucoup à la beauté du duo amoureux adolescent et américain " Violet et Finch " (tout à fait dans le genre d' Eleanor & Park).

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J'espère que cette introduction à la question vous a rendu curieux. La prochaine fois que vous avez envie de taper un traducteur ou un éditeur pour un mauvais choix d'adaptation, rappelez-vous que vraiment, c'est pas simple, et si ça se trouve, ils ont fait au mieux ;

Pensez à Sirius Lenoir,

Et bonne lecture !

Julia (aka Lupiot)

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* La manie bizarre des anglophones de s'appeler par leur nom de famille... Déjà dans Harry Potter je trouvais ça prodigieusement perturbant. À ce jour, je suis toujours à demi convaincue que Hagrid est le prénom de notre garde-chasse préféré, et Rubeus mais bah chépa, mettons c'est son surnom. #Déni

P.S. : Dimanche prochain, nouvel article sur les noms dans la littérature. Et le dimanche d'après aussi.


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois