Continuer Laurent Mauvignier Editions de Minuit

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 Inquiète du tournant violent que prend la vie de son fils Samuel, Sybille décide de l’emmener loin de tout. Au Kirghizistan plus précisément, au contact de la nature et des chevaux, leur passion commune. Elle est prête à tout pour aider son fils mais durant ce voyage, c’est elle-même finalement qu’elle sauvera.

 Au début, on la découvre fragile, dépressive, assise à sa table de cuisine après le boulot, fumant cigarette sur cigarette d’une main et tenant sa robe de chambre de l’autre. L’image qu’elle donne à son fils suscite le mépris de celui-ci. Qu’est-il donc arrivé à cette femme qui vient juste de divorcer et qui, par erreur, a décidé de refaire sa vie dans une ville où elle ne connaît personne ? Samuel, négligé par un père trop indifférent et élevé par une mère perdue, s’est endurci jusqu’à ce que le pire arrive et que sa mère décide de réagir en l’éloignant de ses mauvaises fréquentations.

Le voyage qu’ils entament tous deux est âpre, difficile, fait de dangers réels, de reproches étouffés, de silences et de regards en douce, mais peu à peu, une relation intime se noue sans qu’il y ait forcément de dialogues. Parfois, au détour d’une page, surgissent des instants de vérité : le plaisir de se retrouver au matin, quelques rires nerveux sans trop savoir pourquoi, des courses sauvages en toute fin de journée et surtout, le partage d’un quotidien tournant autour des chevaux. Tout cela tisse des fils ténus mais bien réels entre la mère et son fils.

Peu à peu, grâce au cahier que Sybille ne quitte jamais, on en apprend plus sur son passé. Comment donc cette jeune fille autrefois pleine d’énergie et de projets s’est-elle brisé les ailes ? Que lui est-il donc arrivé ? Plus on en découvre sur ce qui lui est arrivé, et plus on a le cœur chaviré.

J’ai été très touché par ce beau portrait de femme qui, malgré sa lassitude, décide de tout oser par amour pour son fils. Et lorsque l’on apprend à quel point elle est passée à coté de sa vie, on comprend pourquoi elle tient tant à l’aider à se réaliser. J’ai beaucoup aimé la voir à nouveau rire, s’étonner et danser. Chez Mauvigner, pas de sentimentalisme, pas de cinéma, le rapprochement entre les êtres se fait de manière infime, imperceptible, exactement comme dans la réalité. C’est aussi ce que j’ai aimé dans ce roman : la précision, la justesse des personnages.

J’ai vraiment adoré ce roman  particulièrement bien servi par une écriture magnifique qui donne envie de relire certains passages longtemps après avoir refermé le livre.

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Laurent Mauvignier

Editions de minuit

240 pages

17 euros

septembre 2016

EXTRAITS :

« Et Samuel, des pensées irrécupérables, il en a souvent. Il en a précisément en ce moment où il regarde sa mère en train d’essorer ses T-shirts. Alors elle se sent épiée, elle s’arrête et regarde son fils. En trois semaines, il a déjà physiquement beaucoup changé : il a perdu quelques kilos, ses cheveux ont repoussé et il perd cette tête de skin qu’il avait voulu  se donner pour plaire à ses copains. Il a encore une tête de bagnard, mais cette fois ça lui va plutôt bien ; son teint hâlé adoucit ses traits. Mais son expression, ses yeux restent sévères : cette fois encore il ne dit rien. Cette fois encore Samuel se renferme en glissant, presque sans rendre compte, ses écouteurs dans ses oreilles, appuyant sur la touche Play, lançant la musique pour s’éloigner de sa mère et de ses montagnes, de ces ciels, de ces heures de route à cheval où il ne fait qu’attendre qu’on en finisse, prenant son mal en patience parce qu’il n’avait pas eu le choix. Oui, dans son esprit c’est sûr : on ne lui a pas laissé le choix. »

 « Alors elle avait parlé des chevaux, des montagnes, d’une autre vie ; elle avait parlé de cet amour des chevaux qu’elle avait toujours eu et que Samuel aussi avait eu longtemps en partage avec elle, même si depuis un an ou deux c’était un peu passé, c’est vrai. Mais les chevaux pourraient l’aider à reprendre goût à la vie, à comprendre des choses qui semblaient ne plus le toucher ou le concerner. Elle voulait qu’il sache prendre le temps de regarder un ciel de nuit, de s’émerveiller devant une montagne, elle voulait qu’il sache respirer et souffler, parce qu’elle voulait qu’il entende comment on pensait par le souffle et que c’est par lui que la vie circule en nous. »

« Elle a fait ça pour se trouver formidable et sortir de sa propre merde, se disait-il, et si elle veut corriger des erreurs qu’elle a faites, eh bien, c’est trop tard, lui, ne lui pardonnerait pas. Et son père avait bien eu raison d’exiger d’elle qu’elle finance toute seule ce voyage. Son père avait eu raison de dire qu’il était contre, qu’elle n’en était pas capable, qu’il ne suffisait pas de savoir monter à cheval, de savoir dresser une tente, il faut un mental, une force dont Sybille était bien incapable.»

« Sa mère se faisait des illusions si elle pensait qu’elle pourrait changer quelque chose en lui, de lui, si elle croyait qu’il suffirait de prendre quelques semaines de grand air, accompagné de chevaux et de montagnes, de silence et de lacs, pour que soudain tout dans sa vie se déplie et devienne simple et clair, pacifié, lumineux, pour qu’il cesse de se sentir écrasé à l’intérieur de lui-même, comme si on allait arrêter un jour d’appuyer sur son cœur, sur son âme, sur sa vie, comme si l’étau pouvait un jour se desserrer. »

« Les mots sont ici comme tous ces poids morts dont on se débarrasse parce qu’ils ne servent qu’à alourdir des bagages. »


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