Alors qu’elle est engagée dans un protocole d’insémination artificielle, une femme revient sur son passé. Celui-ci est intimement lié à son pays d’origine, l’Iran, qu’elle a fui à l’âge de 10 ans par les montagnes enneigées du Kurdistan.

A la manière de son Oncle Numéro 2 qui aimait lui raconter des histoires , Kimiâ Sadr, nous emmène sur les traces de sa famille extraordinaire. Tout d’abord, le puissant arrière-grand-père Montazemlomok, à la tête d’un harem où naîtra la charismatique Nour qui donnera six fils à son époux avant d’apprendre à lire toute seule et de le quitter pour goûter à l’indépendance.

Kimiâ évoque aussi ses parents, Sara et Darius Sadr, deux intellectuels résolument modernes qui n’auront de cesse de combattre la tyrannie, unis d’abord contre le Shah puis contre Khomeny. Leur courage ne sera pas suffisant et ils devront fuir l’Iran pour la France, pays qu’ils vénèrent tous les deux. Cette fuite laissera une profonde cicatrice sur toute la famille et les parents ne seront plus que les ombres d’eux-mêmes. Négar Djavadi décrit avec un merveilleux talent le traumatisme de l’exil sur les êtres, la difficulté à vivre et à se construire après la perte de son pays d’origine, la mésentente qui se glisse entre les parents et les enfants.

Longtemps, Kimiâ, a tenu loin d’elle les souvenirs de sa famille et de son pays. Pour s’intégrer, elle a du se «désintégrer», dit-elle. A quatorze ans, elle découvre le punk et traîne avec des ados en rupture. Elle se re-construit par la musique jusqu’à en faire son métier et assume pleinement son homosexualité. Aujourd’hui, elle a trouvé un équilibre avec Anna et c’est avec elle qu’elle a décidé de devenir mère.

Ce livre est un énorme coup de cœur !  A la fois saga familiale sur plusieurs générations, conte oriental envoûtant et récit politique d’un pays, il mêle habilement les époques et les personnages. Mais c’est aussi, et c’est ce qui fait la réussite de ce récit, l’histoire intime d’une femme moderne.

Dans Désorientale, il y a toute l’histoire et la mélancolie d’un pays condamné à vivre sous le joug des dictateurs (souvent mis en place par les Occidentaux eux-mêmes). Mais il y aussi la chaleur, la solidarité, l’enthousiasme , la culture d’un peuple mal connu. J’ai adoré la galerie de portraits de cette famille  : Emma la grand-mère maternelle arménienne qui lit l’avenir dans le café, les oncles tellement nombreux qu’ils sont désignés par des numéros, les émouvants Sara et Darius, les sœurs de Kimiâ traumatisées mais courageuses et ambitieuses. Kimiâ est une héroïne touchante par sa singularité. Ni iranienne, ni française, juste une femme éprise de liberté. Elle qui refusait son passé devient celle qui transmet avec beaucoup d’humour l’histoire de sa famille pas ordinaire.

Désorientale est un  premier roman ambitieux et parfaitement réussi que je conseille sans l’ombre d’une hésitation. Le lire, c’est faire un long et beau voyage !

EXTRAITS

  « L’Iranien n’aime ni la solitude ni le silence- tout autre bruit que la voix humaine, même le vacarme d’un embouteillage, étant considéré comme silence. Si Robinson Crusoé était iranien, il se laisserait mourir dès son arrivée sur l’île et l’affaire serait réglée. »

 « Car pour s’intégrer à une culture, il faut, je vous le certifie, se désintégrer d’abord, du moins partiellement, de la sienne. Se désunir, se désagréger, se dissocier. » »

« Parfois, au milieu de la foule parisienne, assise dans un café ou sur le strapontin du métro, au cœur d’un siècle guidé par la technologie et les machines, je me surprends à penser que ma grand-mère est née dans un andarouni et a été propulsée dans ce monde au-dessus d’une bassine de terre. »

«Je sais combien il vous est difficile d’imaginer cet Iran-là. Cet Iran où les filles portent les cheveux courts et les garçons les cheveux longs (Mickjaggeri) ou bien les cheveux courts (Beatli) ; où les jeunes s’habillent indifféremment avec des tuniques amples et des pantalons pattes d’eph et se retrouvent à la tombée de la nuit dans les coins sombres de la ville pour fumer des Malboro et échanger leurs salives. »

« Le déracinement avait fait de nous non seulement des étrangers chez les autres, mais des étrangers les uns pour les autres. On croit communément que les grandes douleurs ressèrent les liens. Ce n’est pas vrai de l’exil. La survie est une affaire personnelle. »

Désorientale

Négar DJAVADI

Editions LIANA LEVI

Août 2016

349 pages

22 euros

L’auteur :

Négar Djavadi naît en Iran en 1969 dans une famille d’intellectuels opposants au Shah puis à Khomeiny. Elle a onze ans lorsqu’elle arrive clandestinement en France. Diplômée de l’INSAS, une école de cinéma bruxelloise, elle travaille plusieurs années derrière la caméra avant de se consacrer à l’écriture de scénarios. Elle vit à Paris. Désorientale est son premier roman.

 

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