Journaliste culturel: cet obscur métier...

Journaliste culturel: cet obscur métier...Parmi les métiers du livre, celui d'éditeur, de libraire ou de bibliothécaire nous sont plutôt familiers. Mais il y a des métiers plus «obscurs», dont celui de journaliste culturel. Si le titre est courant, le b.a.-ba de ce métier l'est beaucoup moins…

Caroline Fortin, chef de la section culturelle pour le magazine Châtelaine, a très gentiment accepté de répondre à mes questions, histoire d'y voir un peu plus clair.

Comment définirais-tu le journalisme culturel?
Couvrir l'actualité d'une ou des principales formes d'art – art visuel, cinéma, musique, théâtre, littérature, danse – pour un média en particulier. Dans un magazine, à cause des délais de production, il s'agit le plus souvent de présenter ce qui sera dans l'air à la sortie en kiosque au moyen d'entrevues, de courts portraits et de capsules.
Quelles sont les qualités d’un bon journaliste culturel?
Il doit se tenir au courant de ce qui se passe dans le milieu des arts, à l'échelle locale et internationale. Comme les journalistes d'autres secteurs, il doit mener des recherches pour nourrir ses entrevues. Savoir transmettre un maximum d'information en un nombre limité de mots. Être polyvalent: pouvoir s'entretenir avec un écrivain, un réalisateur, un metteur en scène, un sculpteur. Avoir un bon jugement, entretenir ses contacts. Savoir présenter l'information de manière à ce que son public se sente interpelé.
À quoi ressemble une de tes journées types? 
Passer au travers des communiqués, contacter des relationnistes ou agents d'artistes, affecter des sujets aux journalistes. Éditer (pimper) des textes. Parcourir les sections culturelles des grandes publications américaines, françaises et anglaises, sur une base hebdomadaire. Liker des pages Facebook, un bon outil pour dénicher l'information au lieu de dépendre des communiqués. Entamer des épreuves de romans à paraître afin de choisir le livre du mois qui sera lu par notre club de lecture. Colliger et envoyer des contacts à notre recherchiste photo. En semaine de production: voir ses mots mis en page avec des images, trouver ça beau (le dire à notre graphiste Marie-Ève), corriger, relire, recorriger, boire trop de café, douter, relire, lâcher prise. Manger du chocolat.
Quelle différence entre le journaliste culturel et le critique?
Ils doivent avoir la même rigueur, mais le critique est généralement spécialisé, et expert en son domaine. Surtout, il a vu l'œuvre (en cinéma, les projections pour les mensuels de films hollywoodiens sont moins nombreuses que celles des films québécois) et en donne son impression. Le sel sera dans son style et le sens qu'il produit. Le journaliste culturel de magazine évolue plutôt en mode calendrier: il doit faire des choix parmi les manifestations artistiques qui auront lieu au moment où sa publication paraîtra. Parfois écrire sur un film sans l'avoir vu, par exemple en parlant avec sa vedette. Ou présenter un CD en n’ayant entendu que trois titres. Sa plume doit être concise, accrocheuse.
La culture, c’est vaste! Comment fais-tu pour rester à jour?
Voilà mon grand drame. Je suis depuis toujours une amoureuse du cinéma et de bonne télé et j’ai le nez dans les livres depuis plus de trois décennies, alors je consomme déjà de la culture, populaire ou pas. Je lis les magazines spécialisés (Studio CinéLive, Première, 24 images, Urbania, Caribou), que j’achète, car je crois encore à la presse imprimée. En littérature, c’est impossible de me tenir à jour: trop de livres se publient! J’axe mes choix selon l’histoire, la notoriété de l’auteur, la découverte à faire, le style. Sinon, comme je couvre surtout la vie culturelle québécoise, j’arrive à gérer… et à accepter que je ne peux tout connaître.
Quels sont les aspects du métier que tu préfères?
L'édition. Éliminer les mots inutiles, les anglicismes, les tournures alambiquées, raccourcir. Et c'est beaucoup plus facile de remanier les textes des autres que les siens! La rédaction. Malgré le stress de la page blanche, l'angle à déterminer pour piquer la curiosité, LE titre à trouver, une chose ne faiblit pas de jour en jour: le plaisir de jouer avec les mots.
Et ceux que tu aimes le moins?
La quantité de courriels qui envahissent ma boîte de réception et le classement qui va avec. Devoir faire des choix: il se fabrique des choses intéressantes au Québec, mais il y a de moins en moins d’espace grand public pour en parler plus longuement, et ce, peu importe le support.
Parmi tous les ouvrages qui te passent entre les mains, comment arrives-tu à faire des choix?
Pour notre club de lecture, ce qui m'aide (et me donne de l'urticaire en même temps): la parution du « Livre du mois » en librairie doit plus ou moins coïncider avec celle du magazine. Ça restreint le choix. Ensuite, c'est l’histoire et le style, qui interpellent ou pas. Les maisons d'édition pointent en parallèle quelques titres qu'elles jugent d'intérêt. Je demande une dizaine d'épreuves (sauf l'été, ce désert de la publication romanesque), et d'habitude trois ou quatre me captivent. Je soumets cette liste à ma rédactrice en chef; la décision se prend selon le type d'histoire, l'origine et le sexe des auteurs, qu'il nous importe de varier. Et ce que les critiques de nos membres me rappellent, c'est que si tous les goûts sont dans la nature, on ne partage pas tous les mêmes*. C'est irréaliste de plaire à tous. J'achète du Kim Thuy sans en avoir lu une ligne, par contre!
Quels sont tes derniers coups de cœur littéraires?
Primeur: j'ai commencé Charlotte ne sourit pas, de Thomas O. St-Pierre (chez Leméac le 24 août), et son narrateur en en train de me conquérir. Delphine de Vigan, que j'ai découverte l'an dernier avec Rien ne s'oppose à la nuit, et dont j'admire la finesse d'écriture puis le tour de force qu'elle a réussi dans D'après une histoire vraie.David Goudreault: Labête et sa cage m'a tellement plu que j'ai couru acheter La bête à sa mère,son précédent (premier d'une trilogie à suivre).


Amoureux de la culture, ce métier fait particulièrement envie, non?

* Faisant moi-même partie du club de lecture Châtelaine, je suis à même de confirmer que tous les goûts sont dans la nature! Et en fait, c'est là que réside l'intérêt de faire partie d'un tel club.