Pottsville, 1280 habitants - Jim Thompson

Par Litterature_blog
A Pottsville, 1280 habitants, « il y a les pauvres petites filles sans défense, qui pleurent quand leur propre père vient se glisser dans leur lit. Il y a les maris qui battent leur femme, et les épouses qui les supplient à grands cris de les épargner. Il y a les gamins que la peur et la nervosité font pisser au lit, et leurs mères qui les forcent à avaler du poivre rouge pour les punir. Il y a les visages hagards des malades, rendus exsangues par l’anémie ou marbrés par le scorbut. Il y a la quasi-inanition, la sensation de n’être jamais rassasié, les dettes qui dépassent toujours les crédits ».
A Pottsville, 1280 habitants, il y a aussi un shérif nommé Nick Corey. Un spécimen à part. Du genre incapable, couard, lâche, feignant. Du genre à se laisser malmener et humilier en public. Du genre à ne jamais arrêter le moindre contrevenant. Du genre qui n’a pas avoir inventé le fil à couper le beurre. Sauf que les élections approchant, le spécimen à part se doute qu’il pourrait perdre sa place au détriment d’un candidat bien plus compétent. Il décide donc de prendre les choses en main et de faire le ménage…
Avec « Une femme d’enfer », Pottsville est le plus célèbre roman de Jim Thompson. Un roman qui, en France, a eu l’honneur de porter le numéro 1000 de la Série Noire en 1966 et d’être adapté au cinéma par Bertrand Tavernier (Coup de torchon). Cette réédition en version intégrale offre enfin à ce polar jubilatoire la traduction qu’il mérite (Maurice Duhamel ayant clairement bâclé le travail dans les années 60, se permettant même de tronquer le titre original).
J'adore Thompson parce qu'il possède cette faculté unique de mêler le pessimisme à un humour noir dévastateur. Ici, Nick Corey le shérif de prime abord crétin est d’un cynisme et d’un machiavélisme à toute épreuve. Cocu et lui-même queutard invétéré, il se révèle manipulateur, perfide, cruel, retors. Avec ce personnage, Thompson pose un regard sombre et désespéré sur la nature humaine dans un style inimitable. Comme toujours chez lui, les âmes sombres sont synonymes de bêtise crasse et les dialogues peuvent à tout moment déclencher une incontrôlable hilarité. Exemple type de cet humour décalé et ravageur que j’adore :
- Va te faire foutre ! Je ne te révélerai pas ce que j’avais décidé de te dire parce que j’ai le sens des convenances. Sinon, tu sais ce que je dirais ? Tu sais ce que je te ferais espèce d’ordure ? Je lèverais la jambe et je te pisserais dans l’oreille pour te vidanger le crâne de ce tas de merde puante qui te sert de cervelle !
Allons, Rose, un peu de retenue. Tu ferais mieux de peser tes paroles, tu vas finir par dire des horreurs.
Pas besoin de vous faire un dessin, Je suis sans doute un lecteur bien trop prévisible, mais il va de soi qui Jim Thompson est un écrivain qui me va comme un gant et que ce roman a été pour moi un régal de bout en bout.
Pottsville, 1280 habitants de Jim Thompson. Rivages, 2016. 272 pages. 8,00 euros.