Vongozero

VongozeroJ'attendais avec beaucoup d'impatience la parution en poche du premier roman de Yana Vagner, dont j'avais entendu grand bien. J'étais due pour un petit goût de fin du monde. Et ma foi, je n'ai pas été déçue.«Maman est morte le mardi 17 novembre.» D'entrée de jeu, Yana Vagner n'y va pas avec le dos de la cuillère. Ça se passe dans un futur proche (demain?), en Russie. Celle qui parle, c'est Anna.Anna vit dans une magnifique maison, en banlieue de Moscou, avec son ado Micha, et son mari Sergueï. Une famille recomposée tout ce qu'il y a de plus commun. Sergueï a un jeune fils, issu d'une première union avec Irina.Et puis voilà qu'à la télé, sur Internet, à la radio, les nouvelles sont mauvaises: Moscou est en quarantaine. Personne n'entre, personne ne sort. Un mystérieux virus s'est répandu.Les autorités ont minimisé la gravité de la situation. Si les scientifiques travaillent d'arrache-pied à la création d'un vaccin, ce ne sera pas pour demain. Il est trop tard… Le virus s'est propagé. La planète entière est touchée.Boris, le père de Sergueï, vient chercher sa famille. On se prépare à fuir, et vite, avant d'être rattrapé par le flot de citadins qui ne manqueront pas de venir trouver refuge en banlieue. Viennent se greffer au petit groupe un couple de voisins avec leur gamine, ainsi qu'Irina, l'ex de Sergueï, et leur fils.Des «personnes qui ne se seraient jamais retrouvées ensemble si on leur en avait laissé le choix, qui ne se seraient même pas réunies ainsi pour partir en vacances.»Pendant onze jours, ils vont remonter vers le nord, dans des véhicules à la queue leu leu. Direction Vongozero, sur une île d'un lac situé en Carélie, à deux pas de la frontière finlandaise. Là, ils devraient être à l'abri.La promiscuité, le manque d'intimité pèseront de plus en plus. Des tensions poindront. De grosses frayeurs aussi. Les problèmes pratico-pratiques (trouver du carburant, rationner la nourriture, tenter de dormir) seront leur pain quotidien. On progresse sur un fil tendu, en se rongeant les ongles.VongozeroSi la fin d'un monde est un thème largement rebattu, Yana Vagner parvient à le traiter de façon originale et à tirer son épingle du jeu. L'intérêt du roman vient de ce que tout passe par Anna. C'est par ses yeux qu'on voit les paysages d'une blancheur aveuglante, les forêts étouffantes et les villages dévastés. C'est par sa conscience qu'on ressent la crainte et la frayeur. Ici, il n'y a qu'une face à la médaille, pas de narrateur omniscient.Le rythme est lent, volontairement, ce qui amplifie l'impression de prendre part au périple. Une grande partie des scènes se déroule à l'intérieur des véhicules en route. Impossible de descendre avant d'être arrivé à port. Cette fin du monde progressive, presque banale, sans catastrophes spectaculaires, donne froid dans le dos précisément à cause de sa banalité. Reste un goût d'effroi: est-ce ce qui nous attend?Si certains personnages frôlent la caricature (l'ours mal léché, la carte de mode), j'étais vraiment curieuse de connaître leur sort, à défaut de m'être attachée à eux. J'ignore comment Yana Vagner a fait son compte pour me prendre au piège de son récit, mais il m'était impossible d'abandonner ses personnages à leur sort, et ce, même si a priori, aucun n'attire la sympathie.Le style de Yana Vagner est nerveux, clinique et froid, ce qui cadre bien avec l'atmosphère anxiogène du roman. Le lac, la suite de Vongozero, est temporairement manquant au Québec. De retour sur les tablettes le 23 mai. Je ferai le piquet devant la porte de mon libraire le 23 au matin!Vongozero, Yana Vagner, Pocket, 544 pages, 2016.