[Atelier d’écriture n°9] De la peinture à l’écriture… commentaire croisé.

Je voudrais commencer ce commentaire en rendant à César ce qui est à César. Je n'ai pas totalement inventé le sujet de cette session ; en effet, j'ai tiré la consigne d'un livre qui m'a été très utile lorsque j'ai décidé de me lancer dans l'aventure des ateliers : Ecrire et faire écrire, Manuel pratique d'écriture d'Eva Kaplan, aux éditions De Boeck-Duculot. Dans une présentation très intéressante du travail d'atelier et de ses différents objectifs, l'auteur s'arrête sur les matériaux qui vont nourrir l'imaginaire des participants, et lorsqu'elle parle des images, elle propose en exemple un sujet très proche de celui que je vous ai présentés. Outre que le choix des tableaux était restreint et que je vous ai laissés choisir librement votre inspiration, j'ai très légèrement reformulé et ajouté quelques petites indications. Je souhaitais que la clé de la consigne réside dans le travail du style : je ne voulais pas proposer un simple exercice de description, mais plutôt pousser chacun à tordre un peu son style et ses habitudes d'écriture.

Représenter la peinture par les mots.

La première chose qui frappe lorsqu'on découvre les texte, c'est, tout simplement, la variété des formes choisies. Est-ce étonnant, pourtant, sachant que les tableaux choisis sont très différents les uns des autres ? Si l'on en croit nos choix, il y aurait donc des peintres-poètes et des peintres-prosateurs. Voyons cela de plus près.

Peinture et poésie.

Les Mangeurs de pommes de terre de Van Gogh inspire un sonnet tout à fait dans la tradition du genre à . Dans un ton qui m'a rappelé le Rimbaud des Pauvres à l'église (je fais des comparaisons osées), le poème s'adresse à la petite - silhouette au centre du tableau formant un écho, presque un refrain, au poème. Patrick Lucquiaud, participant de dernière minute, aura également choisi Van Gogh, qu'il transpose également en poésie dans Avant d'être en pots... de peinture, avec une succession de cinq quatrains.

Peut-être l'impressionnisme, qui donne à voir le monde par touches de couleurs, se prête-t-il également à la poésie, puisque c'est dans des vers particulièrement épurés, inspirés par la tradition japonaise, que BreamGappy a choisi d'évoquer un tableau de Monet.

Enfin, Margaret Zennaro a choisi de travailler sur une peinture de son frère : dans , elle décrit la femme représentée dans des vers libres. La forme épurée, le rythme du texte, avec deux vers qui apparaissent visuellement plus longs en début et fin de texte, figurent bien le regard entre les deux bandes de tissu noir du tableau d'origine.

Phrases à l'ancienne et style expérimental : la peinture en prose.

Mais les texte en prose ne sont pas en reste. Plusieurs ont fait le choix d'essayer d'abord de coller un minimum à l'époque du peintre choisi. Évoquer le temps de Turner, de Robert ou de Courbet, c'est, d'une certaine façon, déjà toucher au style du peintre. Ainsi Le Rêveur, dans Le Feu du Parlement, use-t-il d'un vocabulaire volontairement désuet et de tournures de phrases complexes. Avant même que l'objet du tableau n'apparaisse, on sait qu'on est parti quelques centaines d'années en arrière :

À l'emplacement d'où je me tiens, en cette fin de soirée étonnamment dépourvue de brume, la température ambiante découragerait le moins frileux des gentlemen, et le petit vent humidifié par la Tamise me transpercerait le corps si j'avais commis l'imprudence d'oublier ma redingote en sortant.

C'est ce que j'ai modestement essayé de faire avec Hubert Robert dans Les Châteaux meurent aussi, en tordant un peu mon style habituel pour lui donner un air plus ancien, même si j'ai davantage cherché l'illusion d'ancienneté qu'un réel style historique, que je suis bien incapable de reproduire. De même, il me semble que J. Eyme use dans d'un vocabulaire que n'aurait pas renié un contemporain de Courbet :

Douce béatitude mêlée à la corruption de son être.

Mais l'époque ne fait pas tout. Comment représenter le style du peintre sans parler de sa peinture ? Et, surtout, quelle facette chaque participant a-t-il choisi de représenter ? Ce n'est pas tant la folie de Dali qui ressort du Cabinet anthropomorphique d' Orchidoclaste, mais une réflexion personnelle, un retour sur soi que la toile a toujours évoqué à l'auteur. Ce n'est pas le réalisme et l'anti-académisme de Courbet que J. Eyme met en avant dans Modèle, mais l'érotisme que dégage la toile, notamment dans l'attitude de doux abandon de la femme nue.

Parfois, la façon d'évoquer une peinture semble s'imposer. Hoffmann livre un portrait ultra-réaliste, sans concession, d'une danseuse, et c'est un portrait au style hâché que propose Jonas dans portrait pour portrait, rudesse du style pour remplacer l'hyper-réalisme.

Dans Un bar sur les quais, en mai, Yves pousse l'exercice à son extrême : le tableau ne devient plus qu'un cadre ; c'est l'ambiance du texte, légère, lumineuse et colorée qui va l'évoquer plus que son image. A un seul instant, comme en clin d'oeil, la toile d'Albert Marquet apparaît :

Je ne vous cache pas que je me sentis encore mieux lorsque ce fût elle qui prit en charge la suite de la conversation, légère et gaie comme le clapotis des vagues contres les coques blanches des bateaux du port de La Rochelle.

Mais elle n'a été qu'un point de départ, comme le la que l'on donne au début d'un morceau de musique pour accorder ensemble les instruments.

Les pistes, en ce sens, étaient nombreuses. Mais comment les participants ont-ils réussi à parler de la toile... sans parler de la toile ?

Décrire ou ne pas décrire, telle est la question.

Bien sûr, la consigne indiquait qu'il ne fallait pas décrire le tableau en tant que tableau (cela dit, je vous invite fortement à aller lire Soulages ou le noir de la lumière de Lynda Guillemaud, parce que même s'il contrevient à cette restriction, c'est un très beau texte !) - mais nous avons été nombreux à travailler sur ce que représente ledit tableau : décrit par Margaret Zennaro ; la femme nue de J. Eyme ; le café feutré de CM Le Guellaf et bien d'autres !

Certains passeront par la description : c'est le choix qu'a fait Le Rêveur, par exemple. Turner sera évoqué par des mentions de couleur ( reflets orangés très vifs, bleu sombre de la nuit tombante, monstre d'or et de rouge) qui permettent au lecteur d'imaginer la vivacité et le contraste qui apparaissent initialement sur la toile. Jonas ayant fait le choix du portrait, Alana rentre également dans cette catégorie.

Mais plusieurs textes choisissent une autre voie. A cette occasion, j'ai envie de m'attarder sur l'un d'eux en particulier. Cela tombe bien puisque je ne l'ai pas encore cité : il s'agit de d' Alice, inspiré du tableau du même nom d'Egon Schiele. Au départ, le texte pourrait sembler assez classique : on y décrit les débuts d'une mère au nourrisson " difficile " mais, peu à peu, le récit se pare d'une inquiétante étrangeté : c'est la chute, saisissante, qui rappelle que l'on avait affaire à un tableau de Schiele. Lorsque j'ai cherché le tableau d'origine (que je ne connaissais pas) pour l'ajouter au récapitulatif, j'ai trouvé que la toile correspondait tout à fait à l'angle choisi par Alice : elle est moins troublante que d'autres du même artiste, où les visages et les corps apparaissent bien plus torturés, mais l'angoisse néanmoins est là, dans le traitement des angles, les tons sombres du fond et la posture étrange de la mère. Le tour de force d' Alice, c'est qu'elle aura mis ce que la toile dégage à ses yeux au cœur même de sa logique et de sa progression narrative.

D'autres encore font figure d'exception : Il me semble qu' Orchidoclaste se détache assez volontiers du tableau de Dali évoqué, au bénéfice des sentiments que ce dernier lui évoque. Mais surtout, comme on l'a vu, Yves a pris la consigne au pied de la lettre et a choisi de ne pas représenter le paysage d'Albert Marquet. Il tente au contraire d'en saisir l'énergie, la couleur. Pour tout dire, j'avais espéré que quelqu'un tente un tel défi. La consigne y encourage, et j'ai moi-même essayé, avec Robert, de me détacher de ce que représentait la toile... en vain. Le texte d'Yves nous rappelle que c'est possible, et cela peut être, à mon sens, une piste très intéressante pour continuer à travailler la consigne hors atelier, dans le but d'intégrer les textes produits à une oeuvre plus générale (alors qu'un texte trop étroitement accroché à son tableau de référence aura plus de mal à s'intégrer dans un univers donné ou exister pour lui-même).

Parler du tableau... en parlant du peintre.

Nous avons été plusieurs à tenter de répondre à la consigne en parlant du peintre. Il s'agit moins de décrire le tableau que de donner une voix à son auteur : c'est alors par le prisme de l'individualité du créateur que l'objet représenté sur la toile apparaît. Cette méthode a été choisie dans notamment trois textes, où le " je " est d'ailleurs présent à chaque fois : dans celui de J. Eyme, déjà cité plus haut ; chez CM Le Guellaf ; et dans ma propre proposition.

D'ailleurs, j'ai eu l'impression que la démarche nous avions tous deux choisi se plaçait dans une même logique : nous avons tous deux fait référence à des éléments de biographie du peintre, de manière plus évocatrice que descriptive, avant d'essayer de retranscrire une vision du monde, un tour d'esprit particulier. Chez CM Le Guellaf, l'atmosphère feutrée des tableaux de Hopper fait en sorte qu'au silence répond l'immobilité. La réflexion sur le caractère éphémère des choses, sous-jacente dans beaucoup de toiles de Robert, qui a connu les bouleversements et destructions révolutionnaires, est au centre de mon propre texte.

L'on notera cependant que si ma proposition s'attarde volontiers sur l'effroyable passage du temps, elle n'est pas la seule. Réfléchir sur la peinture, image, représentation fixe, sert de memento mori à d'autres. Ainsi peut-on lire dans Modèle :

Ce qu'il a pu me faire ressentir ne sera pour moi plus qu'un souvenir vite oublié, alors que mon expression continuera de vivre sur la toile.

Mais écrire à la place de peintre, c'est également une façon de s'interroger sur le travail créateur. On peut lire dans Fenêtre sur... de CM Le Guellaf :

Demain, je rêverai à d'autres teintes, d'autres nuances, d'autres couleurs, d'autres reflets : ceux qui vous transpercent et vous élèvent ou vous rendent transparents.

Demain, c'est certain : je peindrai ce que j'écris.

L'interrogation n'est pas absente non plus du texte du Rêveur :

Il faudrait au moins que l'enfer s'ouvre devant moi pour éclipser pareille sensation...

En guise de conclusion

Malgré ses difficultés apparentes, le sujet de cette session devait nous pousser à travailler notre style en douceur. Cela nous a amené, je crois, à nous interroger sur la manière que l'on a de représenter tel ou tel objet : je n'ai pas parlé des ruines pour les ruines, mais pour le sentiment qu'elles semblent créer chez Robert, comme Lala n'a pas parlé des mangeurs de pommes de terre pour eux-mêmes, mais pour ce qu'ils lui font ressentir ; comme CM Le Guellaf ne décrit pas un simple café, mais tout ce qui tremble dans le vide assourdissant des toiles de Hopper... et je pourrais continuer pour chacun d'entre nous. En ce sens, s'il y a quelque chose que la peinture, notamment moderne, nous a appris, c'est que représenter quelque chose et choisir comment le faire, c'est déjà porteur, et que ces choix, rien que ces choix-là, sont déjà signifiants dans un texte.

Pour ma part, je suis assez contente de l'exercice, et je pense réitérer sur d'autres tableaux, pour me forcer à nouveau de sortir de mes tics d'écriture habituels... et pour apprendre à poser, peu à peu, d'autres ambiances que celles que je sais déjà décrire.

J'espère que cet atelier vous a plu, et je vous dis à très bientôt pour la prochaine mouture.

N'hésitez pas à commenter les textes des autres, à donner votre sentiment sur mes interprétations (tout à fait subjectives, je le rappelle ! ;))... et, surtout... écrivez avec vos pinceaux, peignez avec vos plumes ![Atelier d’écriture n°9] peinture l’écriture… commentaire croisé.