Meursault, contre-enquête

Meursault, contre-enquête

" Meursault, contre-enquête "

DAOUD Kamel

" En vérité, il aurait fallu tout reprendre depuis le début et par un autre chemin, celui des livres, par exemple, d'un livre plus précisément, celui que tu prends avec toi chaque jour dans ce bar. Je l'ai lu vingt ans après sa sortie et il me bouleversa par son mensonge sublime et sa concordance magique avec ma vie. "

Le livre. " L'Étranger " de Camus. Donc Meursault. Camus avec lequel le Lecteur peine à s'y retrouver. Surtout pour ce qui concerne l'Algérie et la question coloniale. A tout le moins les dérobades de Camus en ces années de la Guerre.

L'autre livre, celui de Daoud. Haroun, le narrateur, par touches successives, s'essaie à rendre vie à celui qui avait été assassiné soixante-dix ans plus tôt sur une plage d'Alger. De courts paragraphes, tels des monologues qu'écoute ou n'écoute pas celui qui, dans le bar, lui tient compagnie. L'homme qui tient le livre. Le livre de Camus. Une vie mutilée se raconte et renoue avec " l'Arabe ", le frère assassiné d'Haroun. Un cadavre anonyme auquel Haroun veut rendre une existence.

Hommage à Camus ? Le Lecteur n'en est pas convaincu. Le roman ne peut de toute évidence se réduire à ce genre de clin d'œil. Camus beaucoup trop ambigu sur la guerre d'Algérie et (surtout !) sur le colonialisme. Même si " L'Étranger " s'étudie dans les écoles françaises. Daoud fait usage de l'œuvre de Camus pour construire un récit à cheval sur le temps de l'avant et celui de l'après. Le temps de la colonisation qui s'achève avec l'indépendance de l'Algérie. Le temps de l'après où l'Algérie se débrouille avec l'héritage puis s'englue dans des politiques qui amalgament violence et corruption. Haroun n'étant, au bout du compte, que le reflet de ces deux temps-là. Mais ce qui confère à ce roman toute sa force. Fusse au prix de la désillusion et (peut-être ?) de la rancœur.

( " Les bars encore ouverts dans ce pays sont des aquariums où nagent des poissons alourdis raclant les fonds. On vient ici quand on veut échapper à son âge, son dieu ou sa femme, je crois, mais dans le désordre. Bon, je pense que tu connais un peu ce genre d'endroit. Sauf qu'on ferme tous les bars du pays depuis peu et qu'on se retrouve comme des rats piégés sautant d'un bateau qui coule à un autre. Et quand on aura atteint le dernier bar, il faudra jouer des coudes, on sera nombreux, vieux. Un vrai Jugement dernier que ce moment. Je t'y invite, c'est pour bientôt... ")


wallpaper-1019588
Du fond des Âges (Le Halo des Ombres – Cycle 2)