Les saisons de la solitude

Les saisons de la solitudeWill, vieux loup solitaire et alcoolique, est plongé dans un coma profond. Gisant dans son lit d'hôpital à Moosonee, dans le nord de l'Ontario, il se raconte. Comment en est-il arrivé là?De retour d'un long et pénible voyage, sa nièce Annie est assise à son chevet. Sur les conseils d'Eva, sa meilleure amie infirmière, elle parle à son oncle, lui raconte ses infructueuses tentatives pour retrouver sa soeur Suzanne, partie jouer les mannequins à Montréal, Toronto et New York. Suzanne n'a pas quitté Moosonee seule. Elle s'est enfuie avec Gus, le plus jeune du clan Netmakers, une famille de méchants vendeurs de drogue. Depuis un temps, impossible de suivre leurs traces.Les voix de Will et d'Annie se font écho, d'un chapitre à l'autre. Dans le dialogue silencieux qui les unit, leurs histoires les plus secrètes se dévoilent. Une magnifique fresque individuelle, familiale et culturelle prend alors forme.Avec une main de fer, Joseph Boyden empoigne des destins qui se tiennent à califourchon entre deux mondes. Il entrecroise les souvenirs de Will, rongé par la culpabilité, et la quête éperdue d'Annie, à la recherche de sa sœur.Will incarne la vieille génération, celle qui essaye de maintenir en vie un mode de vie traditionnel. Annie, elle, incarne cette génération qui aspire aux mirages d'une vie trépidante, loin du Nord. À Toronto, Montréal et New York, sur les traces de sa sœur, elle est prise au piège de la jungle urbaine. Elle plonge dans un monde de paillettes: la mode, les boîtes de nuit, la drogue. Elle délaissera vite son nouveau statut de princesse indienne pour revenir à Moosonee, accompagné d'un jeune indien sans abri rencontré à Toronto.De l'immensité sauvage des forêts canadiennes aux gratte-ciel de Manhattan, c'est le choc de deux mondes, de deux cultures, que décrit Joseph Boyden. C'est aussi la noblesse et la solidarité des autochtones dispersés sur les trottoirs des grandes villes.Les saisons de la solitudeTantôt d'une poésie vibrante lors d'échappées dans une nature brutale, tantôt traversé d'une tension digne d'un polar, Les saisons de la solitude abordent avec une profonde humanité la quête de l'identité, la perte des repères et la culpabilité, le tiraillement entre tradition et «civilisation». Il se dégage de ce périple un souffle puissant, unique. Le style est direct, la langue va droit à l'essentiel, envoûtante et rocailleuse – comme les paysages qu'elle décrit.Deux petits bémols, mais de ceux qui ne gâchent pas le plaisir: très près de la fin, l'intrigue plonge dans le mélodrame, livrant une finale doucereuse qui ne rend pas justice à l'ensemble du roman. Par ailleurs, le manichéisme est un peu trop surexposé à mon goût: le mauvais monde civilisé s'oppose aux valeurs ancestrales, la méchante ville s'oppose à la nature magnifiée. Ça manque un tantinet de nuances. Reste que Joseph Boyden se révèle un fabuleux conteur lorsque vient le temps de décrire le Nord, tant sa beauté, sa sauvagerie, que sa désolation.Je n'ai pas encore lu Le Chemin des âmes, le premier volet du clan Bird, ni Dans le grand cercle du monde, le dernier volet du triptyque. Mais je vais y venir, ça ne fait aucun doute.Les saisons de la solitude, Joseph Boyden, Livre de poche, 480 pages, 2011.

Si le roman vous intéresse le moindrement, il faut vite lire le magnifique billet d'Electra. Vous ne saurez résister. Et elle, la fin, elle l'a aimée!