Il était une ville

Il était une villeHier capitale mondiale de l'automobile, berceau de la musique soul et fief du taylorisme, Detroit n'est plus que ruines.À elle seule, cette ville cristallise la mort du rêve américain. Ses habitants ont préféré abandonner leurs maisons devenues sans valeur, ou les incendier pour toucher l'assurance. Certains sont restés, souvent faute d'autres alternatives.

Dans Il était une ville, Thomas B. Reverdyautopsie la ville à l'agonie par l'entremise de quatre destins. Chaque personnage est prétexte à une sous-intrigue.C'est un décor d'apocalypse qui s'offre à Eugène, l'ingénieur français parachuté à Detroit par la multinationale qui l'emploie pour superviser un projet automobile foireux. Le projet de l'Intégrale, une gamme inédite de voiture, ne verra jamais le jour. Mort d'ennui dans sa banlieue d'expatriés, Eugène préfère risquer sa peau et louer un deux-pièces en plein cœur de Detroit. L'entreprise se désintéresse de plus en plus du projet, ne donne plus de nouvelles et abandonne Eugène à son sort. Sa rencontre avec la belle Candice, la serveuse du bar où il prend vite ses habitudes, lui ouvre de nouvelles perspectives d'avenir.Pas loin de là, Charlie et sa bande de copains noirs fuient la misère en s'inventant des vies. Charlie, lui, est né à Detroit. Il ne connaît rien du reste du monde. Avec ses potes Stro et Gros Bill, il traîne son désoeuvrement et fait les quatre cents coups. Jusqu'à ce qu'il décide de rejoindre, avec ses amis, une école désaffectée où des centaines d'enfants vivent en communauté sous les ordres de Max.Il était une villeCharlie est élevé parGeorgia, sa grand-mère. C'est elle qui l'a recueilli après le départ de sa mère. Depuis la disparition de son petit-fils, elle fait des pieds et des mains pour le retrouver. Il est tout ce qui lui reste.Le lieutenant Brown, le policier aux bottes fatiguées, découvre que des dizaines de dossiers, jusqu'alors non reliés entre eux, ont pour objet des disparitions d'enfants et d'adolescents. De tous les flics de Detroit, il reste le seul, à des milliers de miles à la ronde, à s'intéresser à ces cas de disparition. C'est avec opiniâtreté qu'il s'attelle à la tâche.Si certains fils de ces quatre sous-intrigues finissent par s'entecroiser, c'est de loin, de bien bien loin. Quatre mois à Detroit, aux côtés d'une galerie de personnages auxquels je ne suis pas arrivée à m'attacher. Je suis restée sur le bord de l'autoroute! En voulant ratisser trop large, Reverdyeffleure ses personnages, les laissent dans le flou. J'ai trouvé que l'ensemble manquait cruellement de chair. Au final, pas grand chose à se mettre sous la dent, sinon le décor. Là, le rendu est palpable. L'écriture s'incarne et prend vie.

Bien sûr, il avait déjà entendu parler du déclin de Motor City, c'était quelque chose qui couvait depuis les années 1970, la crise du pétrole puis l'arrivée des Japonais sur le marché avec leurs petites caisses rondes bien équipées qui consommaient si peu. Après les émeutes de 1967, beaucoup de Blancs étaient partis vers les banlieues. Des usines aussi, si bien que la classe moyenne afro-américaine avait eu tendance à suivre le mouvement, abandonnant le centre à la pauvreté et au crime. Ce fut le cas de nombreuses villes aux États-Unis. Il avait entendu parler de Detroit comme de Baltimore, de Washington ou de Cincinnati. Des villes dangereuses, autant que des zones de guerre du point de vue des statistiques, mais circonscrites à des quartiers où, de toute façon, il n'était pas censé mettre les pieds.D'anciens sièges de sociétés, d'anciens hôtels de luxe et d'anciens centres commerciaux exhibaient leurs ruines encore fraîches, monumentales et solitaires, au milieu de la grisaille ordinaire de la ville.Dans les zones désertées de la ville on coupe l'adduction d'eau, vétuste et ruineuse. Trente mille foyers se retrouvent dans une situation digne du tiers-monde à quelques kilomètres des Grands Lacs – la plus grande réserve d'eau douce au monde.Il était une villeL'écriture de Reverdy, tout en délicatesse, chargée d'images, décrit bien l'état de délabrement de la ville. Dommage que les sous-intrigues tournent à vide, que les fils de l'histoire peinent à se lier. Le lieutenant Brown qui arrive comme un cheveu dans la soupe. Prétexte à l'intrigue policière? L'idylle entre Eugène et Candice? Prétexte à l'histoire d'amour?L'amour qui pousse sur les ruines, la fin à l'eau de rose… Trop arrangé avec le gars des vues. Que la vie reprenne ses droits malgré tout, que l'espoir surgisse dans le tournant, je veux bien. Mais pas à n'importe quel prix.L'histoire de Charlie et celle de sa grand-mère sont les plus abouties, les plus incarnées. Celles qui sonnent le plus vrai. Pour le reste…Avec Fordetroitd'Alexandre Friedrich, Il était une ville est l'un des deux romans français de la rentrée à mettre en scène Detroit. Hasard? Le roman de Reverdy est en lice pour le prix Goncourt et le Prix du Roman Fnac. Ses aficionados y trouveront assurément leur compte. Quant à moi, c'est déçu que j'ai tourné la dernière page, pas tentée pour deux sous de découvrir Les évaporés, son précédent roman tant encensé. La magie ne peut pas toujours opérer! Dans ce cas-ci, je le regrette fortement.Il était une ville, Thomas B. Reverdy, Flammarion, 271 pages, 2015.

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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois