Ce qui vient

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« Ce qui vient »

STANGL Thomas

(Editions du Sonneur)

Il s’agit là d’un roman attendu par le Lecteur, pour des raisons qu’il n’explicitera pas dans cette note. Son attente ne fut pas déçue. Thomas Stangl, auteur autrichien, est publié pour la première fois en France par ce qu’il est convenu d’appeler « une petite maison d’édition ». L’opinion du Lecteur est faite : « les grandes maisons » ont raté un grand rendez-vous. Elles sont passées à côté d’une œuvre rare, une œuvre forte, une œuvre originale.

Il serait trop facile de faire d’emblée référence à un autre écrivain autrichien, Thomas Bernhard. Même si Thomas Stangl n’accomplit rien dans son roman qui puisse laisser accroire qu’il se distancierait du Maître, bien au contraire. « L’acte » littéraire ne se nourrit-il pas, en effet, des multiples substrats apportés par ceux dont chaque écrivain « naissant » fit nécessairement la rencontre ? Thomas Stangl assume de toute évidence la filiation, pour mieux prendre son élan et frayer des voies qui lui soient propres.

Voilà donc un roman qui surprend, qui étonne, qui oblige à se tenir en éveil, à s’interroger. Car s’il s’inscrit dans un cadre spécifiquement autrichien (la plupart du temps réduit au seul périmètre de Vienne, la capital), S’il paraît relever d’une facture classique (unité de lieu), il induit dès les premières pages un questionnement « universel ». « … elle voit de larges routes, les façades vitrées des cafés, des regards qui ne semblent ni traqués ni humiliés, entend des phrases d’une autre langue, étrangère, pas d’une langue propre devenue étrangère, divisée en une langue académique officielle mensongère et un dialecte opprimé mensonger… »

Deux voix se conjuguent, se superposent, s’entremêlent. Celle d’une adolescente, femme en devenir. Celle d’un adolescent, déjà amputé d’avenir. A plus d’un demi-siècle de distance, les deux voix, à travers la narration faussement anodine des menus faits qui jalonnent deux vies (presque) ordinaires, racontent la continuité de ce qui devient l’Histoire. Les années de l’instauration du nazisme, pour elle, qui vit dans un contexte social et familial plutôt privilégié. Les années aux apparences paisibles, pour lui, celles de la gouvernance d’un chancelier social-démocrate. Avec d’étranges analogies, des récurrences, et ce morne ennui, cette grisaille à travers laquelle il est bien difficile d’entrapercevoir ne serait-ce que de fragiles lueurs d’espoir. Autant d’ingrédients qui ne débouchent cependant pas sur un roman « désespéré », mais sur une œuvre interrogative. Pourquoi ? Pourquoi cette continuité, cette incapacité à se délivrer du fardeau d’une culture qui paralyse les élans ? Ce roman-là se situe bel et bien au cœur de problématiques contemporaines qui concernent tout le continent européen. Il serait donc dommage de le négliger.