Le roman s’ouvre sur un décor impérial qui impressionne par sa précision : le palais du Japon, ses codes, son poids politique, et un souverain — Razan — dont l’autorité vacille sous le poids des attentes. Ses pas le mènent pourtant plus loin que ses obligations officielles : jusqu’aux souterrains du palais, là où se cache un héritage occulte. Déjà, quelque chose se fissure. Déjà, l’histoire bascule vers le secret et le spirituel.
À quelques centaines de kilomètres et plusieurs siècles de décalage stylistique, Yuudai apparaît. Chasseur d’esprits émérite, il traverse Kyoto avec cette posture de héros qui n’a rien demandé à personne, mais qui assume tout, malgré les regards méfiants ou admiratifs. Dans ses chapitres, l’action et la tension dominent : la neige craque sous les pas, les flèches filent, les esprits dorment pour être étudiés — et peut-être, un jour, maîtrisés. Yuudai n’est pas qu’un combattant : il est le témoin d’une rupture entre humains et esprits. Cette ambivalence donne à son personnage une profondeur déjà tangible.
Et puis vient Hanaé. C’est elle qui fait basculer Emazora dans le sublime. Dans le Mokuzaï, immense bibliothèque où reposent les souvenirs humains, elle classe, soigne, préserve ce qui constitue l’âme du monde. Elle a oublié sa propre histoire, mais porte en elle une sensibilité dangereuse : une capacité à absorber les émotions humaines que sa fonction interdit. Elle est lumière dans un endroit où l’ombre menace. Et le lecteur tremble pour elle lorsque l’œil se tourne vers la division Sud, territoire des mémoires brisées, des existences écroulées.
À travers ces trois voix, Claire Ivacci orchestre une montée en puissance remarquable. Les enjeux politiques, spirituels et personnels se superposent sans jamais se contredire. Chaque scène a une couleur, une odeur, un poids qui la distingue. On pense parfois au cinéma d’animation japonais pour son imaginaire spirituel ; parfois à la dark fantasy pour ses promesses d’affrontements à venir ; parfois, simplement, à un roman de grande ampleur qui prend le temps de respirer.
Si Emazora est une réussite, c’est aussi grâce à sa plume. Sensible, méticuleuse, elle prend soin de chaque détail. Le lecteur n’est jamais simple spectateur : il ressent, il s’inquiète, il espère. Et derrière chaque péripétie, c’est la question de la mémoire — de ce que l’on garde, de ce que l’on perd — qui affleure avec une poésie inattendue.
En refermant ce premier tome, on n’a qu’une envie : connaître la suite. Voir Razan s’approcher du point de non-retour. Comprendre ce que Yuudai chasse vraiment. Découvrir ce que Hanaé a oublié. Et suivre, encore et encore, les esprits couronnés de fleurs qui hantent Emazora.
Une œuvre envoûtante, généreuse, et surtout pleine de promesses. Claire Ivacci signe ici un lancement de saga à la hauteur de ses ambitions : grand, mystérieux, et profondément touchant.
Disponible aux éditions Pyrélion : www.pyrelion.fr