Eka Ashate ne flanche pas

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Naomi Fontaine raconte la naissance de son roman © Production Éditions Mémoire d’encrier

Les premières pages du livre
« PROLOGUE
Je voudrais dire que cette histoire sera lumineuse, forte et solide. Le bouleau du nord, le bois franc qui ne se laisse ni couper ni fendre. J’ai tant voulu écrire la résistance comme on chante le patriotisme. Des histoires de héros, de bravoure. Des chants forts interprétés a cappella qui n’ont besoin ni d’orchestre ni de cymbales. Pour faire vibrer. Les chants de la mémoire et du devoir. Des hymnes à ma culture. J’avais tant besoin que mon peuple soit invincible. Soit irréprochable. Soit dans l’extrême don de soi. J’ai espéré que l’on ferait la leçon aux grands. Et que les philosophies de nos grands-pères soient citées, comme on cite Socrate, Aristote, Platon. Au-delà des livres d’histoire, une mémoire hautement sélective. Je n’ai pas reçu de nos aînés ces discours que j’ai ardemment désirés. Quand je me suis assise devant eux. Sur les divans en cuir de leur salon, sur les chaises en bois de leur cuisine, dans un coin de leur chalet, sur la galerie derrière leur maison, la vue sur la baie et l’aluminerie. Leur regard balayant la mer, les vagues des grandes marées, les clapotis de mai, la forêt d’épinettes qui n’est plus, l’odeur vide d’une cuisine propre, la télévision éteinte, notre reflet sur l’écran de télévision. Sans visiteurs, sans oreilles pour nous épier. Quand je me suis assise devant eux pour écouter les histoires du passé.
Les aînés m’ont donné des paroles tout autres. Une tout autre vision.
À tour de rôle, ils m’ont raconté l’histoire du petit. De la petite cabane qui abrite la petite fille, ses petites sœurs, ses petits frères. Du petit amas de farine qui fera le pain sans levain. Du sable brûlé dans lequel il cuira au matin. De la soif et de la faim au creux du ventre du petit homme. De la petite pensée. Du grain d’espoir. De la brindille qui se tortille dans la neige. De la graine d’audace que la peur fait naître quand tout bouge autour de soi. Gravée là. Dans le cœur du petit homme. De la petite fille. La moindre parcelle de courage grappillée dans une avalanche d’insécurité, de doute et de mépris.
Et cette idée qui me pénètre, qu’un geste tout petit, le moindre des moindres gestes. Celui qui n’a jamais été raconté. Ni célébré. Celui qui a bercé mon enfance. C’est peut-être celui-là, le geste que je cherche à écrire.
Le geste de la résistance.

Parce qu’elle est la plus ancienne des formes d’art pratiquées sur le territoire, le chant exprime parfaitement la pensée innue et tout ce que nous considérons comme important. Autrefois, les joueurs de teuaikan chantaient leurs rêves, leurs visions. Ils imprégnaient les lieux qu’ils occupaient de leurs voix et du battement du tambour. Ainsi, ils oraient leurs prières au Créateur. Aujourd’hui, les artistes, les musiciens, les compositeurs, les interprètes chantent dans la langue de leurs pères.
Ils chantent leur résistance, leurs peines, leurs amours, leur enfance, leurs supplications, leur fierté. Le chant innu est le chemin le plus direct entre notre cœur et le vôtre.

Mishta-shashish apu uapamatan
Apu tshissenitaman eshininakushin
Ashtem tshiue, nikaui Ashtam naapam

Il y a longtemps que je ne t’ai pas vue
J’ai oublié les traits de ton visage
Reviens, maman
Reviens me chercher
BRYAN ANDRÉ

Je suis née de deux rivières. Ma mère est descendante des Tshemanipishtikunnuat, les Innus de la rivière Sainte-Marguerite. Mon père est descendant des Mishtashipuinnuat, les Innus de la rivière Moisie. À travers les siècles qui ont précédé la colonisation, ces deux clans ont donné naissance à deux communautés distinctes : Uashat et Apituamiss.
En 1950, le gouvernement provincial, appuyé par le gouvernement fédéral, a instauré les réserves sur tout le territoire nordique québécois. Ce territoire qui, jusqu’à cette date, avait été négligé. Trop éloigné. Trop sauvage. Lorsqu’il a instauré les nouvelles réserves, l’objectif était d’en réduire le nombre au maximum. Instinctivement, le gouvernement a fusionné la communauté de Uashat et d’Apituamiss et a créé la bande numéro 80 : Maliotenam, « la ville de Marie ». La nouvelle réserve a été construite sur un territoire qui n’était ni traditionnel ni desservi par aucune route-rivière. Le gouvernement a instauré un seul conseil de bande pour administrer ces deux clans. Un seul lieu pour les assimiler au mode de vie sédentaire.
Toutefois, les Innus, ces éternels insoumis, ont résisté à la fusion physique des deux communautés. Ils ont refusé de délaisser leur lieu de rassemblement traditionnel pour accommoder un gouvernement qui n’était pas le leur. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, lorsque l’on parle de là d’où je viens, on dit Uashat mak Maliotenam. Le gouvernement considère nos deux communautés comme une seule, bien qu’il existe deux villages, établis à seize kilomètres l’un de l’autre. Bien qu’il existe deux histoires, deux clans, deux rivières. Celle de mon père et celle de ma mère. Je suis descendante de ces deux clans  : les Tshemanipishtikunnuat et les Mishta-shiupiunnuat. Ceci est mon histoire.

Depuis qu’elle était toute petite, ma mère avait grandi avec une croyance : être indienne était moins bien que d’être blanche. Cette idée était née là. Un jour de son enfance. Elle avait observé sa maison. Une cabane en mauvais état. Trop petite pour elle et ses nombreuses sœurs et ses frères. Des planches en bois que le vent et la pluie n’avaient pas épargnées. De l’herbe folle tout autour. Des arbustes pas taillés. Un bouleau chétif que son père venait de planter.
Née là, quelque part, au bout du chemin qui menait à son école primaire, en passant devant les maisons des Blancs, plus belles, plus modernes, en briques et avec des clôtures tout autour. Là, quand elle regardait son père, Nikshan, qui ne parlait pas français. Parlait très peu. Il ne s’adressait à son entourage que dans la vieille langue de la forêt. Une langue désuète, même dans la réserve. Son père avait travaillé une partie de sa vie comme menuisier, pour un salaire de misère. Maintenant qu’il fabriquait des tambours, des raquettes, il était toujours aussi pauvre. La babiche imprégnait la maison d’une odeur de cuir mouillé, impossible à aérer.
Dans le sous-sol, Nikshan sculptait le bois. Des retailles de bouleau inondaient le plancher. Un fouillis. Il était vieux, s’habillait comme un vieil Indien sorti tout droit de la forêt. Avec ses mocassins longs, ses chemises à carreaux, ses pantalons usés, trop grands, qui tenaient par des bretelles, Il traînait derrière lui une odeur de Vicks, quelque chose d’ancien, de révolu. La térébenthine, le thymol, l’épinette.
Une mauvaise grippe pas soignée. Là, quand elle observait sa mère. Une femme fatiguée, brune, qui criait beaucoup. Qui ne possédait pas les bonnes manières, celles que les professeurs enseignaient à l’école. Qui ne parlait pas la bonne langue. Qui ne s’excusait jamais. Ne disait pas merci. Qui respirait fort. Une vieille femme aux cheveux courts. Toutes ses années de grossesse avaient alourdi son corps. Des couches dont il n’était plus possible de se débarrasser. La dureté de sa vie d’Indienne se lisait sur chaque trait de son visage.
Là, quand elle se comparait aux autres élèves de sa classe. Les filles blanches qui portaient des jeans neufs, qui leur allaient si bien. Leurs chemises roses, beiges ou bleu pâle. Leurs cheveux blonds parfaitement peignés par une maman qui avait du temps pour ça. Leur façon de rire: insouciantes, confiantes. Quand elle comparait ses t-shirts usés, ses jeans raccommodés, son manteau démodé qui avait appartenu à sa sœur Caroline avant d’être le sien. Quand elle entendait les autres filles de sa classe se moquer de sa timidité, de ses lunettes rondes, de ses mitaines trouées.
Quand elle ne trouvait jamais le mot juste pour se défendre. Quand elle pleurait, confuse, seule dans les toilettes.
C’est là que cette idée était née. Avait pris racine au fond de son ventre. S’était étendue dans toute sa conscience, jusqu’à devenir une certitude. Elle en était persuadée. Ça affectait tous les domaines de sa vie, ceux qu’elle considérait comme importants : l’éducation, l’église, la maison, la nourriture, l’argent, sa manière de parler, de s’habiller, de vivre, d’être. Lorsqu’elle comparait sa situation à celle des Blancs, invariablement, elle en concluait que les Blancs étaient supérieurs.
Et tous les jours, cette croyance la faisait souffrir. »

Extraits
« Ils vivaient quelques mois par année sous les tentes. Ils vivaient quelques mois par année dans des cabanes en bois que leurs pères avaient bâties. Ils connaissaient le froid terrible de l’hiver et la douce marée de la mer en juillet. Ils connaissaient par cœur les chants du grand-père, lorsqu’il frappait le tambour et que le sol vibrait sous leurs pieds. Ils discernaient les cris du huard et de l’outarde, du phoque et des loups marins, qu’il fallait imiter pour attirer l’animal et le chasser. Chaque jour, ils apprenaient comment survivre sans la peur. Comment nourrir l’esprit et le corps. Et lorsqu’ils étaient fatigués de la marche et du portage, leurs corps d’enfant à bout de force, c’est sur les épaules de leurs pères, dans les bras de leurs mères, qu’ils fermaient les yeux, quelques instants. Pour sentir la chaleur de leurs peaux, le rythme de leurs cœurs, leurs souffles sur leurs joues. Et ils retrouvaient l’énergie de marcher à nouveau.
Il avaient des parents. Mais ils ont vécu en orphelins. Ils ont été abandonnés. Ils ont regardé leurs parents, impuissants, les abandonner. Ils les ont quittés sans savoir où ils allaient. Ils ont eu peur dès qu’ils les ont quittés. Ils ont été amenés dans un pensionnat. C’était à Maliotenam, village tout juste construit.
Ils ont été séparés de leurs frères, de leurs sœurs, dés qu’ils ont mis les pieds au pensionnat. Certains n’ont revu leurs frères que des mois après leur internat. Certains lé ont croisés dans la grande salle à manger, sans pouvoir leur parler, leur dire qu’ils s’ennuyaient de leurs parent ils voulaient savoir s’ils se souvenaient de la légende que leur grand-père avait racontée sous la tente et qui les aidait à s’endormir quand il faisait noir. » p. 30

« Quitter cette maison c’était tout quitter. Tout ce qu’elle possédait. En amenant avec elle ses quatre enfants, et son cinquième encore au chaud dans son ventre. Un trésor volé.
À la fin de l’année scolaire, elle nous a entassés dans la vieille Ford grise, cinq places, parmi les valises, les coussins, le lunch qu’elle avait préparé la veille. Elle a fait la route en deux jours. Nous avons dormi à Pessamit une nuit, chez Philomène, son amie. Puis, elle a continué à rouler sur la 138. Il y avait Cabrel qui jouait en boucle dans la machine à cassette. C’était la voix de l’ennui, la mélodie inconsolable. La voix la plus triste du monde. » p. 84

« À l’intérieur, elle livrait une lutte incessante. Contre cette croyance qui la dévorait. Celle de ne pas être à la hauteur. Comme un roseau cassé, un lumignon qui fume. De toutes ses forces, le cœur en mode survie. Elle combattait sa honte d’être indienne. Son sentiment d’infériorité. Quand elle remettait un travail dont elle n’était pas satisfaite. Quand elle n’osait pas lever la main pour poser une question au professeur sur une notion qu’elle ne saisissait pas. Quand elle entendait les autres étudiants, plus jeunes, plus frondeurs qu’elle, intervenir en classe. Quand elle s’assoyait à la table de la cuisine le soir, épuisée par ses nombreuses tâches de mère, pour lire et relire ses notes de cours, pour les mémoriser, les apprendre par cœur, en fermant les yeux.
Dix ans plus tard, elle a obtenu son baccalauréat en travail social. Dans l’un de ses travaux finaux, elle a écrit : Dans la recherche de mon bien-être intérieur, j’ai compris Que le fait d’avoir perdu notre identité en tant que peuple distinct avec sa culture et son mode de vie a eu comme conséquence de rire notre dignité, En fait, je suis convaincue que c’est de la perte notre identité que découlent tous nos maux. Et le contraire est vrai. La guérison viendra par la reconnaissance identitaire.
Le titre de son travail était De la honte à la fierté. » p. 107

« La scène était digne d’un film des années 1950. Un vieil Innu à la barre des accusés. S’exprimant difficilement en français. Une chemise brune rayée, les boutons de sa chemise tendus au niveau du ventre, de vieilles bottes en caoutchouc brun, des cheveux gris en broussaille, un nez marqué par une cirrhose trahissant d’anciennes années d’alcoolisme. L’aîné à l’ouïe fatiguée.
Il a dit :
J’ai reçu les papiers à remplir et je n’ai pas su quoi en faire. J’ai demandé de l’aide autour de moi, et personne n’a pu m’aider. J’ai rempli de mon mieux. Je suis un homme âgé et je me suis senti comme durant mes années de pensionnat. Ignorant.
Je vis de la discrimination. Je ne parle pas bien le français, je ne peux pas lire en français. On m’a dit que ‘étais analphabète. On m’a humilié à cause de ça.
Je veux seulement travailler et offrir du travail à mes Petits-enfants qui, eux aussi, ont des difficultés à l’école.
Mon père était un transporteur lui aussi. Il transportait sur son traîneau. Il faisait du commerce lui aussi. Je veux avoir le droit de faire comme lui.
Je veux que les formulaires qu’on me demande de remplir soient écrits dans ma langue maternelle. La première langue à avoir été parlée sur ce territoire. Je ne veux plus être discriminé.
Puis il s’est tu. La juge l’a laissé parler jusqu’au bout. Il était reconnaissant pour ça. » p. 125

« Elle faisait de la traduction simultanée. Au fur et à mesure qu’elle tournait les pages, elle inventait des mots qui n’existaient pas dans notre langue. Elle nommait le dragon atshinepik ka shishtikuatak ishkuteunnu, le serpent cracheur de feu. Les châteaux ka ashiniut shashish utshimautshuap, la vieille maison des rois toute en pierres.
Forcément, de là est née mon envie d’écrire, de créer. Dans les mots inventés par ma mère, pleins de couleurs et de textures. Pleins de liberté et d’images. » p. 133

« Et ce livre est ma manière à moi de le lui dire. De lui dire que je reconnais chaque geste, petit et grand, qu’elle osé pour nous élever. Je reconnais les combats qu’elle a menés, comme une tshishe-usthemashkueu, une reine. Pour moi. Pour nous. Pour elle.
Et je voulais que le monde entier le sache.
Toute sa vie ma mère s’est battue. Elle s’est battue contre le regard des autres qui cherchaient à la diminuer. Elle s’est battue contre elle-même, contre ses propres certitudes. Parce qu’elle était innue. Parce qu’elle était veuve. Parce qu’elle était monoparentale. Parce qu’elle était une femme. Elle s’est battue et je peux affirmer, en jurant sur la tête de ma grand-mère Alice, qu’elle a gagné.
Ceci est mon histoire. » p. 177

À propos de l’autrice
Ashate flanche

Naomi Fontaine © Photo Maxyme G. Delisle

Naomi Fontaine est l’autrice d’une œuvre de première importance, publiée chez Mémoire d’encrier. Acclamés par la critique et traduits en une dizaine de langues, ses livres ont été adaptés au théâtre et au cinéma. Naomi Fontaine vit et écrit au sein de sa communauté à Uashat. Eka ashate ne flanche pas est son quatrième roman ». (Source : Éditions Mémoire d’encrier)

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