
Après l’apocalypse céleste et infernale, l’univers de Spawn traverse l’une des métamorphoses les plus audacieuses de son histoire récente. De son histoire tout court, même ! Delcourt profite de l'occasion pour revoir sa politique de publication. Désormais, chaque album portera le nom de son année de parution VF et contiendra douze numéros, pour autant de mois. Le fait est qu'en mettant un terme à la guerre entre le Paradis et l'Enfer, Todd McFarlane a fait tomber un rideau sur l'intrigue principale qui avait été mise en place dès le tout premier numéro de la série, depuis devenue franchise. En 2024, Spawn renonça au trône des damnés et finit par convaincre Nyx de prendre sa place, à cause d’un constat simple : aucun camp ne méritait de régner. Cette décision bouleversa l’équilibre cosmique et déclencha une onde de choc inattendue. Sans super pouvoirs, sans Hellspawn et sans anges célestes aux ailes rutilantes, la Terre devint une gigantesque zone d'ombre. Autrement dit, le terrain de jeu idéal pour redéfinir intégralement la série. Dans ce nouvel ordre mondial, Spawn évolue comme un soldat revenu à ses principes militaires : lutter pour survivre, à la dure. Avec cependant une mission, chercher un remède au vampirisme, à cause de la montée en puissance de Bludd, souverain des suceurs de sang qui profite du chaos post-guerre pour verrouiller les accès aux royaumes célestes et infernaux et imposer sa caste sur toute la planète. Ce virage scénaristique fonctionne plutôt bien : ramené à sa simple humanité, Al Simmons redevient une bête de combat tactique. C’est un retour aux fondamentaux, presque une redécouverte du personnage, tandis que l'ascension des vampires renvoie tout le monde dos à dos, avec en joker surprise une hybride ange-démon, qui a elle conservé ses pouvoirs…

Cette histoire, ce renouveau, gagne en densité lorsqu’il aborde le cas d’Eddie Frank, devenu mi-ange, mi-vampire. Cette transformation, tragique et imprévisible, sert de moteur émotionnel et confère à Spawn une motivation limpide : sauver un ami en train de glisser vers une monstruosité qu’il n’a jamais désirée. Dans un univers où les frontières morales étaient autrefois écrasées par des enjeux cosmiques, voir Spawn se battre simplement pour protéger quelqu’un à qui il tient redonne à la série un parfum d'intimité et de camaraderie qu'on pensait perdu. Cette nouvelle phase vampirique s’impose ainsi comme un laboratoire narratif : Spawn apprend à fonctionner dans un monde où la magie ne règle plus rien, où les alliances se font dans l’urgence, et où les monstres sont parfois ceux qui souffrent le plus. En se recentrant sur la relation entre Spawn et Eddie Frank, la série retrouve ce qu’elle a toujours su faire : raconter des destins brisés dans un univers en ruines, avec une noirceur qui ne renonce jamais à une forme d’humanité. Certes, il ne faut pas s'attendre à ce que cet étrange statuquo perdure plus de quelques mois. L'album sobrement nommé 2025 est le récit d'une longue parenthèse intrigante, mais une parenthèse tout de même. L'ensemble forme une porte d'entrée pas si idéale que ça pour les nouveaux lecteurs, car il y a beaucoup de personnages, de retours venus parfois de nulle part, et c'est le fin connaisseur chevronné qui appréciera pleinement ces épisodes. Néanmoins, ça peut se comprendre et se tenter. Rory McConville et Todd McFarlane écrivent et développent le titre comme aux grandes heures des années 1990, avec l'apparition quasi systématique d'un nouveau protagoniste en fin de chaque numéro, pour faire monter les enchères ou développer une situation tendue. C'est gothique des pieds à la tête, sanglant, avec un Brett Booth qui démontre être toujours un des plus grands spécialistes de ce genre de récits. Les poses iconiques abondent, pour la plus grande joie de vos rétines. Spawn, l'incarnation d'une noirceur qui ne renonce jamais à une forme d’humanité, et ne semble jamais vouloir vraiment vieillir, depuis plus de trois décennies, pour le meilleur et pour le pire.

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