Tambora

Par Henri-Charles Dahlem @hcdahlem

En lice pour le Prix Goncourt 2025 (première sélection)
En lice pour le Prix Wepler 2025
Finaliste du Prix Blù Jean-Marc Roberts 2025

En deux mots
Une mère évoque ses deux filles, comparées à des villes en expansion. Elle raconte le choc de la maternité, rythmé par les grossesses compliquées, les hospitalisations, une fausse couche. Entre questionnements sur l’avenir de ses enfants et angoisse climatique, elle interroge le désir d’enfanter dans un monde qui vacille.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

« Je voudrais tellement pouvoir croire à la tendresse »

Hélène Laurain signe un roman radical sur la maternité. Après Partout le feu, elle poursuit sa réflexion sur l’angoisse de l’avenir et livre dans un texte choc un témoignage saisissant sur le corps des femmes qui enfantent.

« C’est ça être mère, traîner sa grossesse, être ouverte en deux pour l’accouchement, allaiter au-dessus de la plaie qui s’ouvre, lait pus pisse, selles, la maternité est une superposition de phases aqueuses, d’odeurs irritantes, de questions permanentes, d’insuffisances maternelles martelées jusqu’au fin fond du crâne, le quidam le pédiatre, l’amie proche la passante, la voisine et ton oncle. » On l’aura compris, il n’est pas question ici de se voiler la face, de parler du bonheur d’enfanter, de créer une famille, mais de dire, souvent dans sa violence, ce que peut être la maternité aujourd’hui.
Hélène Laurain ouvre son roman par une métaphore saisissante. Ses deux filles sont des « mégapoles, bruyantes jusque là-bas, au-delà des gratte-ciel ». Des villes en expansion qui « construisent leurs immeubles, réparent leurs ponts, envisagent un parc au sud ».
Cette image file tout au long du récit. Elle dit l’énergie des enfants, leur capacité à grandir malgré tout. Mais aussi la confrontation entre leur monde intérieur infini et « l’étriqué de l’univers parental ».
Car ces filles grandissent dans un monde menacé. Tambora, c’est le nom de ce volcan indonésien dont l’éruption de 1815 fut « la plus violente jamais enregistrée ». L’énergie dégagée équivalait « à soixante mille bombes d’Hiroshima ». Les cendres firent « plusieurs fois le tour de la Terre, durant trois ans environ ». N’allons-nous pas assister à la même apocalypse ?
Au cœur du roman, une question lancinante : devient-on mère à la naissance de l’enfant ou dès qu’on le porte ? L’autrice raconte sa fausse couche avec une précision chirurgicale. Cette « perte sans corps », cette « évaporation d’un possible enfant ».
La phrase tombe, brute : « Madame je vais vous contrarier il n’y a pas d’activité cardiaque. » Le parcours médical qui suit est fait de « pénétrations » successives. « Doigts, spéculums, seringues, perfusions, aiguilles. » Les fausses couches deviennent des « accouchements de silence ». Le statut de mère se transforme en souffrance, « une souffrance de séparation devant l’absence de l’enfant ».
Les autres grossesses, celles qui se déroulent « normalement », sont un mélange « de crise, de couches et de merveille ».
Hélène Laurain choisit une prose crue, parfois brisée mais toujours précise et exploite tous ses artifices : calligrammes, vers libres, listes d’impressions qui lui permettent, comme un sismographe, d’enregistrer ses états d’âme. Ainsi par exemple, quand elle énumère pour sa fille les phases successives dont elle se souvient : « La phase où j’étais enceinte de toi et vomissais cinq fois par jour; la phase où je t’allaitais et hurlais de douleur, tu encaissais en silence.
La phase où cette folie s’est arrêtée, et à la place de la souffrance entre nous, il y a eu des biberons.
La phase où j’ai repris le travail, où tu te dressais sur tes maigres jambes, tétanisées et tremblantes, quand je rentrais. La phase où tu répétais tout avec une aisance étonnante, mélodies, interjections, grognements. La phase où je partais plusieurs jours par semaine, où tu revêtais tes griffes les plus acérées à mon retour.
La phase où ton rire était inoubliable, perçant, explosant, une dégringolade de galets humides.
La phase où tu te réveillais à 4 h 30, celle où tu te réveillais à 6 heures. En hurlant, pleurant, chantant.
Les années où nous avons fini les nuits avec toi entre nous, où tu gazouillais dans la pénombre.
Où tu te réveillais en fou rire, les joues roses, le duvet de la nuque collé par la transpiration, la couche chargée d’urine. »
Oubliant les stéréotypes sur la maternité rose bonbon, on ressent ici « cette impression de vivre un peu de paradis en enfer ». Une référence assumée à Sylvia Plath et sa Cloche de détresse, qui décrit la dépression avec la même franchise.
Dans un monde secoué par le réchauffement climatique et les conflits qui se rapprochent, que transmet-on à ses enfants ? Quelle planète leur laisse-t-on ? L’autrice écrit pour ses filles, pour qu’elles « décident en toute connaissance de cause leurs futures vies de femmes ».
Mais ce roman sur la transmission porte d’abord regard caustique sur la condition féminine contemporaine. Après Partout le feu, Hélène Laurain confirme son talent pour saisir l’angoisse de notre époque. Sélectionné pour le Prix Goncourt 2025, ce roman s’impose comme l’un des textes les plus marquants de cette rentrée littéraire. Prenant et nécessaire.

Tambora
Hélène Laurain
Éditions Verdier
Roman
192 p., 18,50 €
EAN 9782378562588
Paru le 00/08/2025

Où ?
Le roman est situé principalement en Lorraine ainsi qu’à Berlin.

Quand ?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Une mère nous parle de ses deux filles, qu’elle voit amples comme des villes en expansion. La première est déjà là quand le récit commence, la seconde naîtra bientôt, après la perte d’un autre enfant lors d’une fausse couche. Ici, la temporalité de la maternité domine : celle de grossesses compliquées, d’hôpitaux et de services des urgences, la temporalité d’un corps qui produit, parfois sans qu’on le veuille, la temporalité de la naissance, celle des soins, ou des désirs trop souvent empêchés.
Mais d’autres réalités existent aussi, se faufilent et tentent de prendre leur place : un manuscrit qui intéresse un éditeur, des confinements, qui ne changent pas grand-chose lorsqu’on doit rester alitée, la catastrophe environnementale qui se déploie, gigantesque, et fait songer à la fin du monde que l’humanité a cru vivre en 1815 quand l’éruption du volcan Tambora plongea une partie de la Terre dans le froid et l’obscurité.
Hélène Laurain écrit avec cela, et écrit tout cela, avec crudité parfois. Son livre conjugue récit, réflexions et poésie, et nous emmène à la rencontre d’un monde incertain.

Les critiques
Babelio 
Actualitté (Christian Dorsan) 
Transfuge (Lucien d’Azay) 
France Culture (Le Book club) 
En Attendant Nadeau (Tiphaine Samoyault) 
Mare Nostrum (Suzanne Menard) 
Blog Mémo Émoi 
Blog La Maison des Feuilles 

Les premières pages du livre
« Je regarde mes filles, amples comme les villes. Des mégapoles, bruyantes jusque là-bas, au-delà des gratte-ciel, quand on ne voit que le silence en elles. Des villes dans le brouillard, des villes du petit matin, celles des grues qui piquent le bleu, le blanc.
Elles fonctionnent en douce, ces mécaniques fourmillantes aux règles tacites, elles construisent leurs immeubles, réparent leurs ponts, envisagent un parc au sud, un plan d’eau pour la fraîcheur.
Elles concentrent le tout plein tendu vers la croissance, l’effervescence, se débarrassent du passé en un battement de cil, le déjà-vécu ça les ralentit, c’est un truc de vieux. Elles sont jetées vers l’avant, abruptes et douces, leur vie c’est un échafaudage invisible, chaque jour elles gagnent des millimètres contre le monde, et dedans, on ne les entend pas, les marteaux-piqueurs, les clous, les glus du corps qui ne se suffit pas à lui-même, qui veut élargir son étoffe, conquête infinitésimale sur la vastitude du reste.
Mes filles aux milliers de fenêtres qui s’allument et s’éteignent en syncope, qui s’ouvrent pour aérer ou se ferment pour conserver.
Mes filles sont ces villes en expansion, confrontées à l’étriqué de l’univers parental, de cette chose qu’ils appellent la vraie vie, le dehors si peu ample, délimité comme la bêtise, comparé aux confins de la vie intérieure. Mes filles bourrines, mes filles crados, aux muscles secs, à l’obstination grave, des villes.
Toi, la Grande petite, la première, tu me demandes parfois ce dont je me souviens. De notre vie, l’une dans l’autre, l’une à côté de l’autre.
Je n’ai pas pris de notes de ces sept ans de maternité, comme je m’étais imaginé le faire. Je n’ai pas consigné les phrases savoureuses (je me souviens de certaines), les remarques éclatantes de sagacité, les questions à vous fendre le cerveau. Les doutes, les remords, la rage impuissante. Je ne me souviens de rien car je me souviens de tout. C’est sûrement pour ça qu’il y en a peu, des livres de parents sur la petite enfance : écrire dessus, c’est s’en décoller pour regarder. Écrire dessus, c’est en avoir la force. Cette force ou cette envie, je l’ai eue pour les accouchements. Le reste, je l’ai seulement vécu.
Mais il y a des traces. La trace non pas comme substrat de ce qui a compté, mais, d’après les définitions trouvées :« vestige que quelqu’un laisse à un endroit où il est passé » « impression qui demeure dans l’esprit » « quantité très faible d’une substance qui demeure » « chemin qu’on se fraye dans la forêt vierge »
Je ne me souviens pas assez de toi car je ne me souviens pas que de toi. Tu dois partager ces souvenirs avec d’autres : notamment le Calme, la Petite.
Je me souviens de ce qui a été et je me souviens de ce qui aurait pu être.

Le Calme
L’embryon me boit. Mon cocon : une chambre au fond de la maison de mes parents, dans le noir complet et le silence absolu. Mon temple. J’y dors quatorze heures par jour, diminuée, faible, comblée. Nous sommes confinés. Je suis horizontale.
Le matin, nous allons nous balader dans l’automne, optimistes, chanceux, seuls au monde. Mes parents gardent la Grande petite, privée d’école par le Covid. Je monte les pentes avec difficulté, soufflant, fière. Je dois me boucher le nez, l’odeur d’humus, de feuilles humides et de décomposition me donne la nausée. Tu prends une photo de moi, radieuse, devant un buisson orange.
L’utérus est plein d’un œuf, puis d’un embryon. L’estomac, lui, plein de bile : les hormones mangent l’énergie, la redirigent méchamment vers les seins, l’utérus, tout le travail est là. Il le faut, il faut accepter de ne plus pouvoir lire ne plus pouvoir travailler, le labeur est ailleurs. Il faut y consentir quelques mois, en vue : le trophée-bébé.
Coupe molle, prix du meilleur espoir.
Je m’évanouis. En balade. Sur le canapé. Dans le lit. La peur des vomissements est permanente, comble mes journées. Cohabite la joie de ce que ça dit : des hormones surexcitées de reprendre le pouvoir, sadiquement efficientes.
Nous comptons les jours. La grossesse est une addition d’attentes aux confins limités.
Je reçois des nouvelles de la publication de mon premier livre : c’est en bonne voie. Mes nausées diminuent. Les miracles se suivent, notre chance est indestructible, nous sommes ensorcelés de puissance. Notre monde est blindé de sens.
J’y suis arrivée. Je suis arrivée. Enfin, je peux me laisser aller à la torpeur, au trop-plein de l’autosatisfaction.
C’est le jour de la première échographie. Le deuxième mois de grossesse touche à sa fin. La diminution des nausées m’enchante et m’inquiète. Mais les pensées sombres ont une fonction simple, tout ça fonctionne très bien : conjurer le pire.
Nous, les deux magiciens, plus malins que le sort, insolents, fendant la bruine, sommes en route vers la continuité de notre bonheur. Sur le chemin, des nausées encore : je dis, il me les envoie pour me rassurer. Je sais (impossible) que c’est un garçon. Nous le nommons déjà, pas superstitieux, sûrs de nous : ce nom veut dire « calme » en arabe. Cette langue, le père l’a entendue enfant de son père, puis nous l’avons apprise ensemble; entre deux verbes, nous nous étions embrassés, à peine sortis de l’adolescence, maigres et perdus, chaotiques.
Dans la salle d’attente, nous dansons silencieusement, heureux de ce rendez-vous avec notre futur enfant. D’après mes calculs, je tiendrai notre bébé neuf dans la chaleur du mois de juin. J’imagine les anniversaires à venir, les guirlandes aux arbres secs, les lampions, les couleurs et le vin pétillant. Nous arrêtons notre danse alors que nous apercevons une caméra de vidéosurveillance. Les parents filmés, le bébé filmé bientôt, une solidarité étrange se noue si tôt entre nous.
Nous sommes dans le bureau métallique de la sage-femme. Première écho premier contact première photo première image, futur enfant flottant.
Je suis allongée, surplombée de mon ventre-bateau; la sonde froide et humide s’y pose. Loin à ma gauche, masqué lui aussi, l’accompagnant, spectateur au premier rang.
L’embryon est là déjà, paillette anthropomorphe, en 16/9e sur le mur d’en face, grand comme un bébé né il flotte, calme. Nous sourions sous les masques.
Il a la taille d’être pris dans les bras.
Léger comme une bulle il flotte. Je dois changer de sonde madame, il flotte, le calme, il devrait s’agiter et là dans ce qui sera une poitrine ça devrait, ça devrait onduler, la deuxième sonde s’enfonce dans mon ventre coupable, en face l’ectoplasme perceur d’espoir, qui va parler va dire oser interrompre la rêverie tuer?
Madame je vais vous contrarier il n’y a pas d’activité cardiaque.
La gêne en place de la compassion, les couleurs du jour changent.
La nuit d’avant, j’ai rêvé.
Je me rends à l’échographie, dans un bâtiment de vieille pierre, monacal et froid, qui propose aussi des cours de yoga et de japonais. La lumière n’agresse pas, la pièce est agréable, elle a à la fois quelque chose du sous-sol humide et de la maison de vacances.
La sage-femme m’accueille. C’est un rêve, elle n’a pas de visage, simplement une épaisseur, une densité, des contours. Sa présence est rassurante. Elle me précise qu’elle est sorcière. Elle peut nous faire entrer en contact avec les morts.
Après notre accord silencieux, elle se met à tournoyer autour de la table d’examen, qui s’avère être un berceau. Elle scande des formules entêtantes, et la lumière du cabinet, sorcièrement, s’est fortement tamisée. Dans le berceau apparaît un bébé de six mois environ, ou plutôt un hologramme de bébé : non pas une image mais un volume; un volume intangible, inaccessible. Près et loin. Ses traits se précisent. C’est lui, il ressemble tellement à ma fille aînée : sa tête parfaitement ronde, les cils sombres et voluptueux, le regard sûr. Calme. Je le reconnais.
Ce genre de contrariété se règle aux urgences. Nous nous y catapultons, nos têtes traversées de vide, hébétés devant la baraque des tests Covid.
Si vous souhaitez porter un bébé, si vous le portez ou ne le portez plus depuis peu, votre parcours médical est une litanie de pénétrations; après le coït originel, les copies en gants blancs; doigts, spéculums, seringues, perfusions, aiguilles; le Covid ne fait qu’ajouter un orifice à la liste des plaisirs.
À peine sortis du rendez-vous, l’instinct de survie nous dicte d’acheter des macarons. Nous les tenons par la gorge, asphyxiés dans le plastique crissant. Sur le chemin, nous mâchons les douceurs pâteuses, entre deux reniflements.
Je ne sais plus comment nous nous rendons aux urgences. C’est là que commence l’amnésie qui poinçonne ma vie, ou plutôt ce que je m’en raconte, depuis quelques années.
Arrivés à l’hôpital, un parcours de médecins, de secrétaires, de salles d’attente rose bonbon (gynécologie) nous attend. Au contact des larmes, le masque cartonne.
Dans le bâtiment de gynécologie, entre les posters cancer, les femmes inquiètes attendent qu’on décide de leur sort, à l’aide (VAGIN) d’outils divers on les explore compresse fouille (SEINS) les femmes de vingt à soixante-dix ans attendent (UTÉRUS) on inspire à moi
La Mort est une médecin platine, elle dit, je résume : vu la taille, ça fait quelques semaines qu’il ne se développe plus. Les fausses couches c’est une femme sur trois haussements d’épaules. C’est trop tard pour un cachet, l’embryon est trop grand. Dans deux jours on va opérer.
Ainsi, depuis quelques jours j’accouche.
Depuis deux semaines. Je portais. Un·e mort·e.
Ce sera une aspiration. L’aspiration, c’est le mot moins raclant, moins raclée que curetage. C’est clean.
En attendant, c’est la coloc avec le vaisseau coulé, c’est la pitié c’est du dégoût. Plutôt béante que porter ça. Est-il pourri calcifié, homoncule dans le formol? Moins, il rayonne moins depuis la sentence. »

Extraits
« Dans la perte d’un enfant mort-né, il y a la matérialité révoltante du petit corps sans vie, il y a la preuve d’une vie avant la mort. Il y a une rencontre, sublime, déchirée.
La fausse couche des trois premiers mois, à l’inverse, c’est une perte sans corps : une disparition. L’évaporation d’un possible enfant qui formait, plutôt qu’un agrégat de cellules, une succession de mots dans la bouche de ceux qui l’attendaient. Un possible fait de phrases, rayées comme si elles n’avaient jamais été dites, ni même pensées.
C’est vrai que cela n’a rien à voir, et c’est faux. Ce sont des peines différentes, mais des souffrances cousines. Derrière cette comparaison, cette minoration de la fausse couche précoce, il y a l’idée que le deuil, ça se pèse au kilo. Qu’il y a une frontière invisible à partir de laquelle le lien avec cette personne désirée a une valeur.
Dans le domaine médical, on appelle fausse couche un arrêt spontané de la grossesse avant le seuil de viabilité du fœtus, fixé par l’OMS à vingt-deux semaines d’aménorrhée (environ cinq mois de grossesse) et cinq cents grammes. » p. 48

« Toi, la Grande petite, quand tu me demandes ce dont je me souviens, après un court silence, je te réponds que je me souviens de phases. La phase où j’étais enceinte de toi et vomissais cinq fois par jour; la phase où je t’allaitais et hurlais de douleur, tu encaissais en silence.
La phase où cette folie s’est arrêtée, et à la place de la souffrance entre nous, il y a eu des biberons.
La phase où j’ai repris le travail, où tu te dressais sur tes maigres jambes, tétanisées et tremblantes, quand je rentrais. La phase où tu répétais tout avec une aisance étonnante, mélodies, interjections, grognements. La phase où je partais plusieurs jours par semaine, où tu revêtais tes griffes les plus acérées à mon retour.
La phase où ton rire était inoubliable, perçant, explosant, une dégringolade de galets humides.
La phase où tu te réveillais à 4 h 30, celle où tu te réveillais à 6 heures. En hurlant, pleurant, chantant.
Les années où nous avons fini les nuits avec toi entre nous, où tu gazouillais dans la pénombre.
Où tu te réveillais en fou rire, les joues roses, le duvet de la nuque collé par la transpiration, la couche chargée d’urine. » p. 89

« En avril 1815, un peu plus un an d’avant, avait eu lieu l’éruption la p’us violente jamais enregistrée : le Tambora, volcan de l’île de Sumbawa, dans l’actuelle Indonésie, se décapitait lui-même alors qu’il vomissait des colonnes de feu des jours durant. L’énergie qu’il dégageait alors équivalait à soixante mille bombes d’Hiroshima.
Pluie de pierres ponces et d’arbres, nuages titanesques de cendres plongent immédiatement la région dans l’obscurité totale. Une soixantaine de centimètres de cendre et de boue encroûtent l’île et ses habitants. Raz-de-marée, tsunamis, choléra en font probablement l’éruption la plus meurtrière de tous les temps, tuant environ dix mille personnes de ses conséquences directes. Le nombre total de victimes au niveau mondial est controversé : les conséquences indirectes de cette éruption s’étendent sur plusieurs années. Certaines sources évoquent un chiffre proche de cent mille, d’autres évoquent des millions. Catastrophe diffuse, invisible, incalculable,
Les cendres et aérosols qui résultent de l’éruption feront plusieurs fois le tour de la Terre, durant trois ans environ. Elles bloqueront en grande partie les rayons solaires, avant, enfin, de retomber. » p. 106-107

« C’est ça être mère, traîner sa grossesse, être ouverte en deux pour l’accouchement, allaiter au-dessus de la plaie qui s’ouvre, lait pus pisse, selles, la maternité est une superposition de phases aqueuses, d’odeurs irritantes, de questions permanentes, d’insuffisances maternelles martelées jusqu’au fin fond du crâne, le quidam le pédiatre, l’amie proche la passante, la voisine et ton oncle. » p. 125

À propos de l’autrice

Hélène Laurain © Alexander Abdelilah

Née à Metz en 1988, Hélène Laurain a étudié les sciences politiques ainsi que l’arabe en France et en Allemagne, puis la création littéraire à Paris-VIII. Elle vit dans le Grand Est avec sa famille et y travaille en tant que traductrice de l’allemand. Elle anime actuellement un groupe de lecture au Fonds régional d’art contemporain de Lorraine autour du thème de l’émancipation. Elle s’intéresse notamment à ce qui a trait au vivant, au féminisme, à la maternité, et s’attache à trouver des formes qui disent le contemporain. (Source : Éditions Verdier)

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