Folie entre mes doigts

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RTS (Qwertz) 

Les premières pages du livre
« Dehors, j’aperçois du mouvement sur la branche d’un arbre. Je reste attentive. C’est peut-être un écureuil. Il faut signer chaque fin de page à droite. De ce fait, vous décidez de votre plein gré d’être hospitalisée. Il faudra aussi remplir une feuille pour votre assurance-maladie, puis je vous expliquerai rapidement le suivi médical dont vous bénéficieriez dans notre établissement. Vous disposez d’une assurance privée ou publique ? Il me regarde avec ses cheveux plaqués au gel. Quelques minutes avant, ses yeux cherchaient dans la salle d’attente. Avant de m’asseoir sur sa chaise Kartell, il avait tendu sa main moite. Paume contre paume. Je reprends rapidement ma main. Monsieur Queur, je me charge des inscriptions au sein de la clinique. Il a parlé et je suis partie regarder la vie du jardin par la fenêtre. Je lui tends le dossier aux mille signatures et la fiche pour l’assurance. Une chambre publique s’est libérée hier. C’est une chance, c’est la seule chambre publique qui n’est pas partagée avec un autre patient. Il me sourit quelques secondes. Le petit déjeuner est servi de huit heures à neuf heures trente. Pour les menus du déjeuner et du dîner, vous avez la possibilité de les modifier, vous trouverez une feuille près de l’infirmerie pour cela. Chaque matin et soir vous devez vous présenter à l’infirmerie pour prendre vos traitements. D’abord, vous vous entretiendrez avec le psychiatre docteur Céleste. Il s’occupera de votre suivi médicamenteux. Puis, dès qu’un ou une psychologue se libérera, vous aurez deux à trois rendez-vous par semaine. Malheureusement, les assurances privées sont prioritaires et aucun psychologue n’est disponible pour le moment. Vous connaissez la différence ? Le psychiatre s’assure des médicaments, c’est le médecin de la tête. Tandis que le psychologue se charge uniquement d’échanger sur votre état. Il soigne les maux avec les mots ! Il est fier de sa trouvaille. Vous ne pouvez pas sortir actuellement. Cependant, je vous invite à vous balader dans notre magnifique jardin que vous regardez depuis tout à l’heure ! Il se lève. Notre entretien est terminé. Une infirmière m’attend devant la porte de son bureau. Bonjour, je m’appelle Marie, je vais vous accompagner jusqu’à votre chambre.

Je ne suis pas sortie de la chambre depuis mon arrivée. La veille, on m’a donné des médicaments. Une infirmière toque en rentrant. Le petit déjeuner n’attend pas les dormeuses. Je vais vous accompagner jusqu’au restaurant. Derrière l’infirmière, encore en pyjama, je me demande si j’ai bien entendu « restaurant ». Les bruits de vaisselle et l’odeur de pain s’ouvrent avec la porte. Déjà, la plupart des patients et patientes ont mangé. Des tables défaites aux tasses vides. Une jeune femme regarde sa solitude par la fenêtre. Une serveuse lui apporte une assiette. Excusez-moi, je dois attendre qu’on me serve ? Le serveur Quentin regarde la jeune femme. Non, à moins que vous ayez une prescription du psychiatre. Il répond à mon étonnement. Les buffets peuvent être un système délicat pour les personnes ayant des troubles alimentaires, souvent angoissant. C’est votre cas ?

L’assiette dans la main gauche, je me saisis aléatoirement de viennoiseries avec une fourchette-pince en métal. Devant moi, la jeune femme à la fenêtre coupe un quart de pomme en quatre. Puis, recoupe chaque morceau en deux. J’ai le temps de finir mon assiette alors qu’elle entame son troisième petit morceau. Je connais la disparition. Ma sœur l’essaye. Son corps est devenu des angles d’os. Ça coupe les yeux. Le soir avant de venir ici, prise dans mes bras, mes doigts caressent son dos. La peau étirée, chaque côte menace de déchirer sa peau. Demain, je vais à l’hôpital. Elle me regarde. Je peux venir ? J’évite ses mots et m’encouble dans ses habits au sol. Viens prendre un bain et je te lave les cheveux comme t’aimes. Le jet d’eau remplit la baignoire. Une serveuse débarrasse la table à ma droite.

Je sors fumer dans le jardin. J’entends une voix murmurer. Que tu es vaillant. Une femme dans la soixantaine émiette un morceau de pain. Le petit oiseau et elle paraissent accomplir un vieux rituel. Absorbée, elle me remarque en entendant le bruit de la chaise tirée. Ses yeux se lèvent en sursaut. Quelque chose de sauvage et d’apeuré dans son regard. Je la salue. Je m’appelle Josie, me dit-elle mécaniquement avant de retourner à son occupation. À la hauteur d’un souffle, je réponds. Alice, je m’appelle Alice… Son petit corps se repositionne face au mien. Il est difficile de me faire une idée de sa corpulence, ses vêtements sont trop larges pour apercevoir sa silhouette. Elle sort une cigarette et me demande un briquet. En l’allumant, des mèches de cheveux gris aux filaments blancs lui tombent sur le nez. Ce nez crochu, trop grand pour son visage. Elle aspire et recrache la fumée sans l’avaler. J’aperçois ses dents qui s’entrechoquent, teintées d’une couche brunâtre. Puis, elle referme sa bouche et ne dit rien. Le moineau s’envole. Elle se lève avec peine, aidée par les accoudoirs de sa chaise.

Ici, la solitude et le silence ne ressemblent à rien que je connaisse. Les bruits de l’équipe médicale préparant la journée résonnent. Ma présence elle aussi n’a rien de familier. Une sensation d’incarnation minuscule et de grande souffrance.

Dans l’après-midi, j’erre sans savoir où déposer mon corps. Les quelques mots échangés avec Josie ont été ma seule interaction. La clinique est un ancien manoir. Une propriétaire sans héritier en a fait don à la ville. Mettre fin à sa lignée, soigner la folie. Y a-t-il un lien ? Soigner la folie en mettant fin à sa lignée ? Je défais mon chignon, mon crâne tire. Un long couloir vitré rejoint une autre unité de soin. Le côté de la folie des addictions. Les lieux sont vides. Il y a plusieurs portes autour de moi, mais elles sont toutes fermées à clé. Je retourne sur mes pas. Dans le grand salon, derrière le comptoir de l’accueil, une femme me suit du regard. Vous cherchez quelque chose ? Son chemisier blanc est trop serré pour elle. Sa poitrine manque de faire sauter les boutons. Non, je visitais. Elle soupire en souriant, ça me déstabilise. L’infirmière vous a montré les lieux que vous devez connaître et auxquels vous avez accès, merci de vous en contenter, ce n’est pas un musée. Le téléphone sonne. Bonjour, ici la clinique privée, que puis-je faire pour vous ? Je m’éloigne de son manque d’amabilité. Hier, avant d’entrer, je ne m’étais pas demandé comment faire pour sortir d’ici. Je traîne les pieds jusqu’à l’extérieur. Le temps est vide. L’infirmière m’avait prévenue que je n’aurais pas d’activité la première semaine pour m’habituer au lieu. Sans savoir si l’ennui guérit ou rend malade. Je m’en vais fumer une énième cigarette, emmitouflée dans ma grande écharpe. L’hiver se fait piquant et moqueur.

Lorsque j’arrive sur la terrasse, une femme d’une cinquantaine d’années est assise et mâchouille un de ses faux ongles fuchsia en laissant sa cigarette se consumer. Elle porte un jeans slim, très serré sur ses jambes trop maigres avec un chemisier à motif plumes et tête de mort. L’élément-clé : un long et massif sautoir en perles. T’aimes bien ? Je n’ai pas le temps de me perdre en balbutiements. Elle poursuit. C’est moi qui l’ai fait ! J’ai toujours eu une âme d’artiste, mais bon fallait élever les gamins et faire à bouffer à ce toquard ! Je t’en ferai un si t’es gentille, elle dit en m’adressant un clin d’œil. Elle croise et décroise ses jambes. J’aperçois ses baskets à talons. Mon silence la rend nerveuse. Je me présente et remarque sa coupe de cheveux qui façonne radicalement son style. Une coupe courte, dégradée, sans aucune mèche de la même longueur. Christelle, mais appelle-moi Cricri, tout le monde m’appelle comme ça ! Son bras se fraye un chemin entre ses mots. Elle sort une nouvelle cigarette de son paquet. Hésite sur la pastille à clipper… menthe ou framboise… en quelques secondes, son regard bascule. Un trop-plein de silence. Christelle me raconte. Son visage mime ses paroles.

Elle se dit mariée, deux enfants. Elle dit son ivresse qui durait depuis des années. Et son éveil, un jour ; sa vie détruite. Elle dit la colère de ses enfants, l’infidélité de son mari avec la voisine. Une salope briseuse de couples, parce que, oui, c’était pas son premier couple ! Les tentatives de reconstruction, du couple, du lien maternel et l’échec absolu, en tout point. Alors je me suis pendue ! Comme une conséquence évidente. La désinvolture de sa déclaration me décontenance. Elle prend les devants en me montrant la trace de la corde sur son cou. Et cette merde ne va jamais partir, ça me fait encore plus une peau de vieille, elle rit et allume sa cigarette, clippant finalement sur la pastille framboise. Oh putain ! Il est seize heures, je dois filer à l’ergo, faut absolument que je finisse mon cendrier en cœur, à plus, ma belle ! Elle s’éloigne au pas de course, dans l’immense jardin, disparaissant à travers les grands sapins. Mon lapin blanc a perdu l’heure.

Je n’avais eu qu’une journée pour préparer ma valise avant d’être internée. Sans avoir la moindre idée du lieu ni de la durée de mon séjour. J’avais mis plusieurs livres dans mon sac, dont Alice au pays des merveilles. Josie se tient debout derrière moi. Je ne l’avais pas vue sortir. Elle porte un jogging délavé, des basanes roses et un T-shirt avec des paillettes. Tout ça emmitouflé dans une doudoune défraîchie. Sans sourire, elle s’assoit à côté de moi. Ses petits pieds tapotent le sol de façon irrégulière. Elle joint ses mains sur ses genoux, une petite fille timide. Elle est différente. Ce sont ses cheveux ; un brushing pimpant. Ça fait tout drôle de la voir bien coiffée avec ses habits de l’abandon. Quand elle voit mon regard sur sa coupe, elle m’explique qu’avec son assurance-maladie privée, la clinique lui offre un rendez-vous chez le coiffeur par mois. Le salon est juste à côté de la salle de sport, dit-elle en fixant l’horizon des branches. C’est quoi l’ergo ? Un atelier d’art, d’ailleurs les assurances publiques y ont droit, c’est un atelier où on peut dessiner, peindre ou sculpter. L’important ce n’est pas le rendu final, simplement de finir, son regard se perd encore. Moi, je n’y vais pas, ça m’ennuie, moi, je n’arrive pas à sortir de chez moi, souffle-t-elle. L’angoisse des gens, du bruit, du monde qui bouge et ne s’arrête pas devant une vie qui est devenue trop épaisse pour elle. La journée s’éteint finalement.

Le lendemain, je retrouve Josie assise sur la même chaise parlant à son petit oiseau.
Que tu es vaillant. Elle s’excuse de ne pas lui avoir apporté un casse-croûte cette fois-ci. Sa beauté réside dans son pardon. Elle se justifie auprès du moineau, de l’avoir oublié. Qui de ses amies, de ses amants, de ses enfants ne l’a pas oubliée, elle ?

Je crois qu’elle n’attend plus rien, ni guérison ni horizon. Si simple et inextricable que ça paraisse, le monde ne la concerne plus. Être ici est une manière d’être moins seule, pas de redessiner des perspectives. Elle se hisse avec peine sur les quelques marches qui surélèvent la terrasse du jardin. Elle est drôle avec ses dents tordues, son visage fatigué et son brushing de star. Où se place exactement ce moment, à combien d’événements, à combien de temps, la limite de l’abandon est-elle franchie ? Celui qui détourne de la vie, du mouvement. C’est peut-être à force de rester assise ?

Je regarde les journées de la semaine défiler. Les bruissements du jardin me font sursauter. La tête compressée entre mes yeux et mon cœur. Le mouvement m’aplatit, le silence infecte mes pensées. Mon regard accroché quelque part, peut-être devant, peut-être derrière moi. Une couche de glace s’est formée sur ma rétine. J’aimerais dire que c’est l’hiver, je n’en suis pas certaine. Je ne tremble pas. Éparpillée un peu partout. Au milieu de la semaine, l’infirmière me restitue mon portable. L’hiver et moi sommes toujours face à face, mon téléphone vibre contre ma polaire. Où es-tu ? Appelle-moi ! Papa. Et l’écran s’éteint mort d’hypothermie. Bien entendu, j’ai enregistré son contact, pourtant il signe son message. Comme pour me rappeler qui il est ou se le rappeler à lui, sans doute les deux. Je ne peux pas répondre. Il accélère ma chute, rajoute des kilomètres au compteur à chaque signe. Je me cache et ne lui réponds pas. C’est tout juste s’il reste assez de moi pour former une seule personne. L’infirmière vient me chercher. Il faut rentrer maintenant, il fait trop froid. Depuis quelques jours, à la même heure, elle me ramène par le bras au salon. Un thé chaud m’attend sur la table basse. Sans rien dire, elle sourit et s’en va.

Aujourd’hui elle me regarde plus longuement. Pourquoi restez-vous assise dans ce froid glacial ? Je cherche une réponse sans détour. À tout à l’heure, je verrai avant le dîner pour discuter du programme de la semaine prochaine. Je suis toujours muette. Une femme passe. Salut, dit-elle en souriant la bouche ouverte. Chacune de ses dents est séparée par un petit espace. Petite, j’avais un crocodile avec la même dentition. Il était en plastique et faisait du bruit si l’on appuyait sur un de ses crocs. Croc-odile. Je m’appelle Vicky et toi ? Avant que je ne puisse répondre, un infirmier marche vers elle. Nous vous attendons pour votre entretien. De dos, je remarque sa démarche boiteuse.

Le froid me donne un contour, me rappelle que j’ai une peau. Mais l’infirmière est partie depuis longtemps et la nuit tombe sur l’après-midi. Voici le programme de la semaine prochaine. Les activités commencent lundi, le week-end, il n’y a rien dans la clinique. Les visites des proches ont lieu le dimanche. Parfait, alors c’est dans le bâtiment tout au fond du jardin, où vous trouverez aussi la salle de sport et le salon de coiffure, en annexe les massages et les bains chauds. Pour y avoir accès, il faut avoir une assurance-maladie privée. Même ici, l’argent est un patient.

Oui, vous avez une assurance publique, donc vous aurez le droit à la salle de sport et à l’atelier d’ergothérapie. Chaque dimanche soir, vous trouverez dans votre chambre le planning de votre semaine. Le groupe de parole, c’est tous les matins, sauf le week-end ! Elle part. Une sensation étrange d’être dans une retraite de riches, une thalasso aux goûts d’angoisses et de pleurs. Est-ce propre aux bourgeois de décorer la merde ? Un homme d’une cinquantaine d’années entre en trombe dans le salon. Ouvre le couvercle du piano et cogne sa tête au clavier.

Au bout d’une semaine, je commence à m’acclimater au lieu. Les heures des repas et les blouses blanches deviennent familières. Mouvements quotidiens : les vingt pas qui me séparent du salon à la terrasse. L’ennui visse mon corps. Vicky revient de la salle de sport. Elle est arrivée quelques semaines avant moi, elle avait déjà séjourné dans la clinique des mois plus tôt. Vicky et sa jambe plus longue que l’autre. Elle fait de grands gestes avec ses bras. Comme si nos retrouvailles étaient une surprise. Je la connais depuis quelques jours et déjà nous échangeons des banalités familières. Tu n’as pas froid dehors ? Je vais me chercher un thé, tu en veux un ? Un léger sourire suffit avec elle. Tu as de la visite ce week-end ? Mon téléphone vibre. L’écran affiche Papa. Tu ne réponds pas ? Un silence s’élève avec la fumée de nos thés. Je n’arrive pas. Un peu gênée, elle cherche dans ses poches. Pardon, ça ne me regarde pas, moi non plus je n’ai pas de visite ce week-end. J’ai oublié mon paquet de cigarettes, tu m’en roules une ? La cigarette terminée, elle reprend les deux tasses vides.

Très vite je me suis sentie à l’aise de la lui poser ; la question. Pourquoi tu es là ? Une autre TS, elle comprend à mon visage désordonné. Aah… C’est vrai tu es une petite nouvelle toi : Tentative de Suicide. J’apprends un nouveau mot du jargon de la folie. Une langue qui compatit avec mes nouvelles doses, qui partage les douleurs invisibles. Des phrases sans forme, parce qu’aucune règle ne peut s’inscrire sur nos corps éparpillés. Nos chutes comme unique dénominateur commun. Après un silence, Vicky rajoute, ça m’fait vraiment chier d’être revenue. Elle a un accent qui roule les « r ». C’est drôle quand elle dit des gros mots, ça sonne faux. Sensation qu’ils ne lui appartiennent pas. C’est tellement fort de parler quotidiennement une langue où les mots se cherchent. Vicky, elle, parle dans une langue étrangère tandis que parler, ça lui donne la nausée. Double peine. Tu peux me passer le… le… pour la clope, tu sais, je lui tends le cendrier. Elle sait les initiales de « tentative de suicide ». L’ordre n’est pas le bon. C’est peut-être ça qui fait tomber, une suite d’événements désordonnés.

Le vide s’est tendu à son maximum ce week-end. Certains patients et patientes ont la permission de rentrer chez eux. La majorité du personnel médical s’en va et les activités ne reprennent pas avant le lundi. Il neige la nuit du samedi soir. Le lendemain, la température est insupportable. L’angoisse tire les viscères de ma cervelle. Affalée sur le canapé, je regarde Vicky jouer au UNO avec un vieux monsieur. Il l’insulte en espagnol chaque fois qu’il perd, mais elle ne le comprend pas.

La semaine débute et je porte mon corps avec difficulté à chaque activité. Les voix sont toujours distantes et retentissent en écho selon leurs volumes. Espérant que le temps se fera moins long. Sans savoir ce que je fais ici, à ne rien attendre. Vicky n’est jamais très loin. Elle pleure en fin de semaine parce que sa sculpture en terre n’a pas tenu. L’ergothérapeute lui laisse les clés de l’atelier pour y retourner ce week-end. Ce week-end non plus, elle n’a pas de visite. Moi, je rentre en moi-même.

Carl me disait, l’amour c’est deux solitudes qui se rencontrent. Je n’avais pas compris que sa solitude étranglerait la mienne. Dès le début, l’amour a été mon premier accident sémantique.

Bonjour, Alice, je me présente, je m’appelle psychiatre docteur Céleste. Nous travaillerons ensemble une fois par semaine pour commencer. Tu sais ce qu’est un psychiatre ? Permets-tu que je te tutoie ? J’ai pris connaissance de ton dossier médical avant notre rendez-vous, mais j’aimerais que tu m’en dises un peu plus. Ce qui va me permettre que nous décidions ensemble d’un traitement adapté. Revenons à ton dossier, tu étais à l’étranger, en voyage ? Et tu as pris de la drogue. Prends-tu fréquemment de la drogue ? Penserais-tu qu’un suivi en addictologie serait intéressant ? Oui, j’ai lu que c’était occasionnel, mais entre nous ? Il est important de dire la vérité. Tu vois, si tu as un problème d’addiction nous devons l’envisager dans tes traitements, tu comprends ? Alors, revenons à ton dossier, donc sur cette île tu as pris de la drogue, treize heures de bad trip, ça n’a pas dû être très drôle, les jours suivants des symptômes physiques et psychologiques sont apparus. Des vomissements, des diarrhées, des hallucinations visuelles et auditives. Est-ce la première fois que tu entendais des voix ? Non, des cris, mais avais-tu déjà entendu des cris avant ? D’accord, ensuite, tu commences à faire des crises de panique, beaucoup d’angoisses… Mmh… Et tu te souviens du bad trip ? Et les pensées de ta maison d’enfance étaient plutôt rassurantes ou inquiétantes ? Tu as perdu neuf kilos en quinze jours, c’est beaucoup. As-tu des troubles du comportement alimentaire ? Pour les angoisses il serait bien de prendre des calmants et de dormir. Chaque soir, tu passeras à l’infirmerie où tu prendras un anxiolytique, peut-être du Temesta ou du Xanax. Pour les angoisses et la panique, tu bénéficieras aussi durant la journée d’anxiolytique en réserve. Il semblerait que tu aies fait une décompensation psychotique… est-ce un premier épisode schizophrénique, un trouble bipolaire ou plus simplement une crise borderline, ce qui me semble le plus probable… nous nous verrons la semaine prochaine. Je pense qu’un antidépresseur à… disons cent milligrammes fera l’affaire. Bonne fin de journée, Alice.

Extraits
« Le soir du nouvel an est moins triste que Noël. Le couvre-feu est retardé à une heure du matin. Nous regardons la télé, les foules célèbrent le passage de l’année de ville en ville. Nous, l’étrange troupe au bord de l’écran, de l’autre rive. Je suis endormie pour le décompte. Je n’ai jamais été aussi proche du temps. Le compter n’a plus rien d’extraordinaire. Les jours passent mécaniquement. Le sport, l’ergothérapie, la thérapie de groupe en alternance.
Ma sixième semaine commence sans que mon état s améliore. Le psychiatre docteur Céleste m’annonce le changement de mes doses. Je prendrai deux pilules le matin et quatre le soir. Notre rendez-vous dure quinze minutes. Un record de longévité, Le lendemain, je passe prendre mes nouveaux traitements. Devant la salle d’attente de l’infirmerie toujours occupée, les patients viennent prendre leur médicament en réserve. Celui que le médecin laisse pour les mauvaises journées. Chaque jour, la même femme, ses yeux en billes, colorés et sans vie. Je ne l’ai jamais vue debout. » p. 41

« Comme une couverture trop lourde dont je voudrais brusquement me dégager. Je lave mes mains. Habitude de lever le nez devant le miroir. Mains mouillées, je retire le tissu, y découvre mon visage. Je ne l’ai pas oublié. Je ne l’ai juste jamais compris. Ma gorge se visse. Mes sanglots sortent comme les crapauds que crache la sorcière dans Peau d’Âne. Gluants, étouffants. Je vomis des bouts de vie. J’essaye de me dégager. Je retire tous mes habits. Je ne peux pas enlever ma peau. J’enclenche la douche. L’eau fume, en quelques minutes le miroir disparaît de nouveau. L’eau brûle mon corps. L’eau est plus chaude que mes larmes, tout coule, se confond. Je repense à Carl, je repense à ce que j’ai perdu. Eux qui sont restés au seuil du terrier, me regardant tomber. Il m’a quitté en disant, ta douleur prend trop de place et moi je ne peux pas exister. Je coule sous la douche. Moi non plus, ma douleur ne me laisse pas exister. J’ai passé ces derniers mois à vivre ce chagrin d’amour sous les médicaments, les angoisses, les cris et les folies. Mon père m’aime comme sa femme. J’aime Carl comme mon père. Je brûle d’aimer ces hommes. » p. 69

À propos de l’autrice

Alice Botelho © Photo Francesca Mantovani

Alice Botelho a vingt-cinq ans et vit en Suisse. (Source : Éditions du Mercure de France)

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