Vol de nuit • Antoine de Saint-Exupéry

Par Bénédicte

Éditions Gallimard, 1981 (170 pages)

Ma note : 14/20

Quatrième de couverture …

– Appelez-moi l’escale au téléphone. 
Cinq minutes plus tard, il s’informait : 
– Pourquoi ne nous passez-vous rien ? 
– Nous n’entendons pas le courrier. 
– Il se tait ? 
– Nous ne savons pas. Trop d’orages. Même s’il manipulait nous n’entendrions pas. 
– Trelew entend-il ? 
– Nous n’entendons pas Trelew. 
– Téléphonez. 
– Nous avons essayé : la ligne est coupée. 
– Quel temps chez vous ? 
– Menaçant. Des éclairs à l’ouest et au sud. Très lourd. 
– Du vent ? 
– Faible encore, mais pour dix minutes ; les éclairs se rapprochent vite. 
Un silence. 
– Bahia Blanca ? Vous écoutez ? Bon. Rappelez-nous dans dix minutes. 
Et Rivière feuilleta les télégrammes des escales sud. 
Toutes signalaient le même silence de l’avion. Quelques-unes ne répondaient plus à Buenos Aires et, sur la carte, s’agrandissait la tache des provinces muettes, où les petites villes subissaient déjà le cyclone, toutes portes closes, et chaque maison de leurs rues sans lumière aussi retranchée du monde et perdue dans la nuit qu’un navire. L’ombre seule les délivrerait.

La première phrase

« Les collines, sous l’avion, creusaient déjà leur sillage d’ombre dans l’or du soir. »

Mon avis …

Paru en 1931, Vol de nuit constitue l’un des premiers romans d’Antoine de Saint-Exupéry. Il nous fait rencontrer Rivière, chef d’une compagnie aéropostale en Amérique du Sud. Nous sommes aux balbutiements de l’aviation commerciale, et ce personnage central tente de prouver que l’aviation constitue le moyen le plus rapide pour acheminer du courrier. Afin de gagner encore de précieuses minutes, il impose à ses employés de voler de nuit, jusqu’à mettre des vies en danger : c’est pour nous une question de vie ou de mort, puisque nous perdons chaque nuit, l’avance gagnée, pendant le jour, sur les chemins de fer et les navires. Courte et intéressante, la préface signée André Gide nous permet alors d’avoir des détails sur les dangers des courriers postaux de nuit. Les avions de l’époque ne disposaient par exemple aucunement d’éclairage, nécessaire pourtant à assurer un minimum de sécurité.

Le lecteur est amené à rencontrer Fabien, un jeune pilote de l’Aéropostale qui assure le transport de courrier entre la Patagonie et Buenos Aires. Marié et heureux, c’est pourtant sa vie professionnelle qui semble l’animer. En véritable passionné, il aime observer les nuages et assister aux scintillements des étoiles. Alors qu’on annonce des orages à la radio, et qu’une tornade se forme du côté de la cordillère des Andes, le voici contraint de poursuivre sa tournée, ne parvenant pas à se poser.

Après avoir ouvert et adoré Le Petit Prince (lu en 2015), il me tardait de découvrir d’autres écrits de Saint-Exupéry. J’apprécie en effet sa plume poétique, qui fait réfléchir sur la condition humaine. Malgré sa tonalité plus sombre, Vol de nuit ne déroge pas à la règle. La brièveté du récit m’a empêchée de m’attacher véritablement aux protagonistes (je pense surtout au personnage de Fabien). Mais il m’est impossible de vous dire que je n’ai pas aimé ce roman tant je l’ai trouvé étonnant, et profondément humain. Vol de nuit est donc un roman sur l’humain, dans tout ce qu’il a de plus beau, et de complexe.

Le monde de la nuit est ici mis en avant. Dans ses ténèbres les plus profondes. La beauté de la lumière (celle des villes, des étoiles) fascine, mais peut être dangereuse, source de mirages. En véritable papillons de nuit habitués à l’obscurité oppressante, les pilotes se doivent de conserver leurs repères au risque d’y laisser des plumes.

Tout au long de ce récit, Rivière se montre dur, exigeant, inflexible. Il fait subir à ses équipes des cadences infernales, non dans le but de les dominer ou de les écraser mais avec cette idée que le monde de l’aviation ne peut souffrir d’aucune erreur, même minime. Les mécaniciens ne peuvent donc faire preuve de relâchement, au risque de faire capoter son plan : prouver au monde entier que l’aviation est un mode de transport rapide, mais aussi fiable et sûr. On le découvre en tout cas sensible au sort des équipes, même s’il ne s’autorise pas forcément à le montrer ouvertement.

Vol de nuit aura donc été l’occasion de faire plus ample connaissance avec Saint-Exupéry. Cette édition propose de plus, en fin d’ouvrage, des photographies d’un ami de l’auteur : Henri Guillaumet, notamment connu pour avoir survécu miraculeusement au crash de son avion (survenu en 1930). Bloqué par une tempête de neige, il passera les deux premières nuits enveloppé dans un parachute, avant de creuser un abri dans la neige. L’occasion de nous prouver, si besoin est, que les pilotes de cette époque étaient des hommes de courage et de véritables aventuriers.

Extraits …

« Et maintenant, au cœur de la nuit, comme un veilleur, il découvre que la nuit montre l’homme : ces appels, ces lumières, cette inquiétude. Cette simple étoile dans l’ombre : l’isolement d’une maison. L’une s’éteint : c’est une maison qui se ferme sur son amour. »

« Trop beau, pensait Fabien. Il errait parmi des étoiles accumulées avec la densité d’un trésor, dans un monde où rien d’autre, absolument rien d’autre que lui, Fabien, et son camarade, n’était vivant. Pareils à ces voleurs des villes fabuleuses, murés dans la chambre aux trésors dont ils ne sauront plus sortir. Parmi des pierreries glacées, ils errent, infiniment riches, mais condamnés. »

« Aimez ceux que vous commandez. Mais sans le leur dire. »