Zephyr, Alabama – Robert McCammon

Aujourd’hui, on vous parle d’une excellente lecture avec Zephyr, Alabama de Robert McCammon. Et pour une fois, ce n’est pas une lecture que nous avons réalisée dans le cadre du challenge 30 livres pour nos 30 ans… CHAMPAGNE !

C’est cependant une lecture que nous avons eu le plaisir de faire avec nulle autre que L’Ourse bibliophile. Les LC avec L’Ourse, toujours certifiées bon moment même quand le livre est mauvais… Alors quand le livre est excellent… !

Vous pouvez retrouver la chronique de L’Ourse sur Zephyr, Alabama en suivant ce lien.

Zephyr, Alabama, ça parle de quoi ?

Zephyr, Alabama Robert McCammon

Zephyr, dans l’Alabama, est une ville idyllique pour Cory Mackenson, onze ans. Un lieu rassurant où, en 1964, la vie est encore simple ; on travaille à l’usine de papier ou à la laiterie, les familles aussi différentes soient-elles sont unies, les amitiés sont éternelles et même si parfois les comètes zèbrent le ciel, des bolides hurlants filent sur les routes et certains habitants font preuve d’excentricité, c’est un incroyable terrain de jeu pour un enfant à l’imagination étincelante qui souhaite devenir écrivain.

Malheureusement, un froid matin de printemps, alors que Cory accompagne son père dans sa tournée, ils sont témoins d’un accident : une voiture finit dans les eaux sombres et insondables de Saxon’s Lake. Malgré une tentative de sauvetage désespérée, le malheureux conducteur ligoté derrière son volant plongera inévitablement dans les profondeurs obscures et le père de Cory dans l’horreur qui se tapit toujours trop près de nous.

Mélanger les genres

Le prologue donne tout de suite le ton du roman. C’est de son enfance dans l’Alabama que Cory Mackenson, le narrateur, va nous parler. Il nous annonce immédiatement toute l’ambiguïté que pourra comporter cette narration a posteriori, écrite par un homme adulte mais qui portera aussi toutes les marques de l’enfance.

« Mon reflet est celui d’un homme mais ces mots sont ceux d’un enfant. »

Zephyr, Alabama, Robert McCammon, Editions Monsieur Toussaint Louverture, 2022, p.5

Oscillant entre remarques portées par l’homme adulte, qui connaît la suite des événements, et regard plein de malice d’un enfant de 12 ans sur les événements en train de se faire, ce roman est un savoureux melting pot temporel mais aussi de genres littéraires. De fait, si Zephyr, Alabama démarre comme un thriller, il a vite fait de devenir autre chose, faisant passer le mystère au second plan pour laisser place à un tableau particulièrement prenant de cette petite ville américaine qu’est Zephyr. Ainsi ce roman se fait tour à tour thriller, roman de mœurs, récit d’apprentissage emprunt de réalisme magique, récit horrifique, drame, etc.

Dit comme ça, ça peut paraître fouillis mais en réalité il y a dans Zephyr, Alabama tous les ingrédients pour vous donner envie de lire encore un chapitre, encore un chapitre et encore un chapitre. La meilleure façon de résumer ce roman est, selon moi, de reprendre les mots de la mère de Cory au sujet du roman de Vernon, un personnage secondaire écrivain :

« Le plus étrange, c’est que ces passages scabreux arrivaient là où on les attendait le moins. Sans tous ces meurtres, ça aurait fait un bon roman sur la vie d’une petite ville. »

Zephyr, Alabama, Robert McCammon, Editions Monsieur Toussaint Louverture, 2022, p.334

Tout comme Vernon dans la diégèse, Robert McCammon nous livre un roman qui n’est absolument jamais là où on l’attend, créant un effet de surprise et d’étrangeté qui, s’il n’est pas constant, reste très fréquent. Et c’est pour moi ce qui fait toute sa force.

Le surgissement de l’horreur

C’est sous le titre Le mystère du lac que ce roman fut publié en poche originellement dans la collection Pocket Terreur (dans cette délicieusement hideuse couverture). Une collection dans laquelle il a toute sa place tant certaines scènes découlent directement du genre horrifique. Dans ces moments précis, on pense à Stephen King, R. L Stine, Michael McDowell, Dan Simmons et compères. Ces scènes d’horreur sont encore renforcées par le fait qu’elles nous sont contées du point de vue d’un enfant nous donnant à nous aussi, en tant que lecteur.ices, l’impression d’avoir à nouveau 12 ans ! L’horreur repose tour à tour sur des mécanismes de tension, de gore et d’étrangeté et s’entremêle avec des horreurs, elles, bien plus réelles.

De fait, comme nous le disions plus haut, Zephyr, Alabama, c’est aussi un roman de mœurs et un récit d’apprentissage. On y découvre alors l’Alabama des années 60 ségrégationniste dans tout ce qu’elle a de plus dégueulasse.

« Le soir, le ciel de Zephyr s’illumina de gerbes bleues, blanches et rouges et, plus tard dans la nuit, une croix brûla devant la maison de la Dame. »

Zephyr, Alabama, Robert McCammon, Editions Monsieur Toussaint Louverture, 2022, p.204

L’auteur parvient parfaitement à traiter de ce sujet en décrivant le climat raciste qui règne dans cette bourgade, entre peur et présence du Ku Klux Klan.

« Je hochai la tête. Au journal télévisé, j’avais vu certains de ses membres, cachés sous leurs toges blanches et leurs grands capuchons pointus. Ils tournaient autour d’une croix en flammes, brandissant des carabines et des fusils. Leur porte-parole avait retiré son masque et offrait à la caméra un visage aussi visqueux qu’une motte de saindoux. […] La rage boursouflait ses joues et ses paupières. Derrière lui, le feu continuait de ronger la croix tandis que les silhouettes blanches se livraient à leur danse macabre. »

Zephyr, Alabama, Robert McCammon, Editions Monsieur Toussaint Louverture, 2022, p.206

Robert McCammon parvient à foutre bien la honte aux gros racistes du KKK tout en créant également des personnages plus nuancés qui sont plus évolués mais conservent une forme de racisme ordinaire reposant sur la peur de l’autre (je pense au père de Cory).

« Je ne suis pas d’accord avec ça, Gerald, lui dit papa. J’aime pas les gens qui font brûler des croix. Pour moi, c’est de la lâcheté. »

Zephyr, Alabama, Robert McCammon, Editions Monsieur Toussaint Louverture, 2022, p.219

Ainsi, il dresse un tableau qui n’est ni tout noir ni tout blanc de l’Alabama au mi-temps des années 60, rappelant le chemin alors parcouru et tout celui qu’il reste encore à faire. À ces horreurs racistes se mêlent aussi toutes les violences intra-familiales que pourra constater Cory au fur et à mesure de l’avancée du roman.

« Il y a pire que les monstres des films. Il y a des horreurs, toutes tordues et grimaçantes, qui s’échappent des écrans et des pages pour venir envahir votre vie et s’immiscer derrière le visage de ceux que vous aimez. »

Zephyr, Alabama, Robert McCammon, Editions Monsieur Toussaint Louverture, 2022, p.61

Au fil des chapitres, le jeune garçon fera l’apprentissage de ce monde « qui craint ce qu’il ne comprend pas » (p. 194) en découvrant ses horreurs, bien réelles : la mort, la haine, la cruauté.

Heureusement, il reste tout de même à Cory son regard décalé sur ce monde parfois pourri. Un regard emprunt de magie qui n’a eu de cesse de nous charmer.

« C’est fou ce qu’un enfant peut imaginer. »

À lire ce début d’article, vous devez vous dire que ce roman est vraiment sombre. Ça démarre avec un cadavre au fond d’un lac, se poursuit avec le KKK et un univers violent qui « dévore les enfants » (p. 505), en voilà une bonne lecture bien plombante. Eh bien figurez-vous que pas du tout !

Déjà, comme nous le disions un peu plus haut, c’est une lecture pleine de nuances, tout n’est jamais tout noir ou tout blanc. Ensuite, Cory est un narrateur très agréable à suivre de par le regard qu’il pose sur ce monde d’adulte dont il ne comprend que progressivement le fonctionnement. Cory voit les choses d’une manière souvent décalée, saupoudrée d’une espèce de magie qui nous maintient en tant que lecteur.ices dans un état d’incertitude permanent quant à la réalité de ce que l’on lit.

« Je voulais coucher mes souvenirs sur le papier, pour les conserver. Vous savez, je crois en la magie. Je suis né et j’ai grandi à une époque magique, dans une ville magique, entouré de magiciens. Oh, la plupart n’avaient pas vraiment conscience de vivre dans cette toile de magie reliée par des filaments argentés tissés de chance et de circonstances. Mais moi, je savais. »

Zephyr, Alabama, Robert McCammon, Editions Monsieur Toussaint Louverture, 2022, p.8

On frôle souvent le réalisme magique dans Zephyr, Alabama, que ce soit lors de ce premier jour de l’été qui donne des ailes aux enfants, de cette crue qui fait remonter à la surface une créature légendaire et terrifiante, de ces objets qui semblent doués d’une vie et d’une volonté propre, ou encore de cette créature du monde perdu dont la nature restera indéterminée, etc.

« Des ailes soyeuses, d’un brun roux, frémirent dans son dois et il monta comme s’il nageait. Je savais qu’il n’avait pas peur de voler, ça ne l’avait pas effrayé, les étés précédents. C’était le premier saut dans l’inconnu qui l’angoissait, celui qui exige la foi, celui qui vous fait décoller. »

Zephyr, Alabama, Robert McCammon, Editions Monsieur Toussaint Louverture, 2022, p.154

Mais c’est aussi un regard plein d’innocence que Cory pose sur cette ville, refusant parfois de voir le mal dont il connaît pourtant désormais la nature, détournant la tragédie en farce :

« Je crus sentir à nouveau les relents de la croix brûlée, en train de répandre sa honte sur notre ville. Je décidai que c’était sans doute quelqu’un en train de faire griller des saucisses. »

Zephyr, Alabama, Robert McCammon, Editions Monsieur Toussaint Louverture, 2022, p.215

Zephyr, Alabama est d’ailleurs un roman qui est loin d’être dénué d’humour. D’un humour scatologique tournant en ridicule un révérend très très conservateur à un humour reposant sur les petits drames de l’adolescence, ce roman nous a parfois fait rire, souvent sourire et aussi un peu fait pleurer (première fois de notre vie qu’un roman nous fait pleurer en public, c’est pas rien on vous dit !) Bref, avec ce roman on oscille entre rire, larmes et profonde nostalgie.

« […] ils avaient volé un morceau d’été à Johnny, plus jamais il ne connaîtrait de mois de juin où il aurait douze ans. »

Zephyr, Alabama, Robert McCammon, Editions Monsieur Toussaint Louverture, 2022, p.193

Et en tournant avidement ses pages, vous n’aurez pas fini de vous le répéter : « C’est fou ce qu’un enfant peut imaginer. » (p. 175)

« […] Alors à quoi pouvait-on se fier dans ce monde? »

C’est avec délice qu’on laisse cette narration nous berner, nous faire douter de notre narrateur, de la réalité de ce qu’il est en train de nous raconter, entre surnaturel et magie de l’enfance. Mais c’est aussi un univers dans lequel on aime se prendre au jeu du détective car si notre narrateur n’est pas toujours fiable car il voit le monde de ses yeux d’enfants, personne ne semble vraiment fiable dans ce monde en réalité. Tout comme Cory, vous finirez rapidement par vous demander « à quoi [peut]-on se fier dans ce monde ? » (p. 489)

Tout au long de ce roman, Robert McCammon brouille les pistes, nous conte le quotidien de Zephyr tandis que l’enquête autour du mort du lac piétine. On en oublie ponctuellement cette histoire d’enquête qui ressurgit dans la narration comme dans la vie de Cory, par petites touches. Les pièces du puzzle s’assemblent lentement, au gré des jours et des saisons qui s’égrènent, et cette enquête vient former une sorte de fil rouge au sein de cette grande fresque qu’est Zephyr, Alabama.

Chaque portrait d’habitants renforce cette sensation que Zephyr est un lieu où l’on ne peut se fier à personne, entre habitants biens sous tous rapports finalement membres du KKK, parents qui paraissent aimant mais sont abusifs, maire au comportement étrange, etc. On a ponctuellement pensé à Twin Peaks ou encore au jeu vidéo Harvester (en moi perché quand même, vous attendez pas à pareilles dingueries !) pour leurs univers de petites bourgades où mensonges, bizarreries et secrets sont élevés à hauteur de sports régionaux. Bref, il se dégage également de Zephyr, Alabama une sorte d’inquiétante étrangeté. Un sentiment encore renforcé par le fait que même les adultes les plus insoupçonnables peuvent présenter une menace pour notre narrateur et protagoniste âgé de seulement 12 ans.

En bref, Zephyr, Alabama, fut, vous l’aurez compris, une magnifique aventure aux côtés de Cory. Malgré une fin, trop précipitée à mon goût, qui vient donner une résolution au fameux mystère du lac, ce roman reste une de mes meilleures lectures de l’année.

Je souligne d’ailleurs toute l’intelligence des éditions Toussaint Louverture qui, en renommant ce roman Zephyr, Alabama, en souligne tout l’intérêt et l’essence même. De fait, le mystère du lac n’est pas, selon moi, ce qui fait le sel de ce roman. Ce qui compte, comme dirait un philosophe de comptoir foireux, c’est plus le voyage que son arrivée. Et ce voyage, c’est celui qui nous plonge dans la communauté de Zephyr avec toute sa magie, ses bizarreries et ses contrariétés.

J’aurais pu vous parler encore longtemps de ce roman aux mille facettes, une lecture hors norme qui m’aura fait passer par toutes les émotions, mais je vais me contenter de conclure en vous disant : lisez Zephyr, Alabama de Robert McCammon.