Rêve d’une pomme acide

Par Henri-Charles Dahlem @hcdahlem

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Notre mère est partie. Elle n’est pas revenue

Avec son troisième livre, Justine Arnal confirme son talent pour radiographier les mécanismes familiaux les plus sombres. « Rêve d’une pomme acide » nous plonge dans l’intimité étouffante d’une famille où les non-dits tuent à petit feu.

Nous sommes en Lorraine, à la frontière avec l’Alsace. D’un côté du Hohneck, la famille paternelle et de l’autre la branche maternelle. D’un côté celle d’Élisabeth Witz et de l’autre celle d’Éric Richard. Mais pour la narratrice, l’aînée des trois filles, le choix est clair : elle préfère l’Alsace, ses paysages, ses traditions et sa culture. À commencer par cette langue qu’elle devine plus qu’elle ne la comprend, mais qui cache bien des trésors. Chaque voyage de l’autre côté de la montagne est une fête.
Pourtant le poids des traditions et les règles patriarcales restent solidement ancrées sur ces terres que l’histoire n’a pas épargnées. Les femmes y pleurent et les hommes y comptent.
Éric Richard règne en maître absolu sur son foyer. Justine Arnal le croque avec une précision féroce : « Éric Richard est un homme qui boit du lait mélangé à du Nesquik au petit déjeuner, reste chaque matin sous la douche brûlante jusqu’à ce que le ballon d’eau chaude soit vide et que sa femme se plaigne, mange trop, renouvelle sa foi chaque dimanche à la messe de onze heures, témoigne de son affection en faisant semblant de casser un œuf sur la tête de ses filles avec ses poings. »
Ces détails du quotidien, que l’autrice a parfaitement su rendre, révèlent la mécanique implacable de la domination masculine. L’homme s’approprie l’espace, le temps, les décisions. Il impose ses matchs de foot, ses horaires, ses obsessions. Les femmes de son foyer ne cherchent plus à le contredire. « Par lassitude, désintérêt, résignation – un peu tout cela à la fois – elles ne se battent pas. »
Élisabeth Witz incarne le désenchantement féminin poussé à son paroxysme. Face à son évier, elle regarde « la nuit tomber sur vingt ans de mariage ». Cette suffocation progressive, cette érosion lente de l’âme féminine dans un univers saturé de petites règles et de frustrations larvées va conduire au drame.
Élisabeth sent qu’elle n’a plus sa place, qu’elle perd toute considération aux yeux de sa belle-famille. Elle se sent accablée de reproches lors des repas de famille qu’elle met pourtant un point d’honneur à bien préparer. « Elle passe beaucoup de temps à ça : faire en sorte que les choses ne se dégradent pas. Limiter l’usure. »
Puis survient l’irréparable. Le jour où la mère ne revient pas. Un suicide qui laisse ses filles hébétées, confrontées à l’incompréhensible. « Longtemps je me suis demandé ce que tu m’avais laissée. Longtemps j’ai pensé : seulement l’abandon. Toutes mes pensées à ton sujet étaient des plaies infectées. »
La narratrice interroge avec une lucidité bouleversante : « Qu’est-ce que cela signifie d’être la fille d’une suicidée ? » Cette question traverse tout le récit, révélant combien leur vie a été bouleversée par ce geste ultime. « Par ta mort, tu m’as montré que tu ne m’aimais pas à l’excès. Je vis avec ton fantôme, que je chasse ou appelle. »
Justine Arnal offre un texte étouffant, d’une précision cruelle, où le dérisoire côtoie l’essentiel. Son écriture acide décortique les travers familiaux et tous ces petits riens accumulés qui construisent des êtres bancals. « Combien d’histoires de femmes ont été écrites sur des ordonnanciers ? »
Il y a quelque chose de magnétique dans ce roman qui ausculte sans complaisance les héritages toxiques, la place des femmes, le pouvoir des corps. Suivant « l’angle avec lequel on s’observe soi et les autres », on découvre des subtils mécanismes de domination.
Après Les corps ravis et Finir l’autre, Justine Arnal confirme son talent pour explorer les zones d’ombre de l’intime. Son regard clinique sur les violences ordinaires fait d’elle une héritière de Christine Angot et d’Annie Ernaux.
Cette psychologue clinicienne et psychanalyste transforme la douleur en beauté, l’étouffement en respiration.
Rêve d’une pomme acide touche au cœur par sa vérité impitoyable. « Tu ne te souviens pas, tu imagines qu’elle disait cela. Et pourtant c’est vrai. Tu vois, nous partageons les mêmes souvenirs dont nous n’avons plus la mémoire. Tu possèdes ce que j’ai définitivement perdu. Je détiens ce que tu as oublié avoir traversé. C’est cela, être sœurs d’enfance. » Bouleversant.

Rêve d’une pomme acide
Justine Arnal
Quidam Éditeur
Roman
228 p., 20 €
EAN 9782374914275
Paru le 22/08/2025

Où ?
Le roman est situé principalement en Lorraine, sur un versant du col du Bonhomme, et en Alsace, sur l’autre versant. On y évoque aussi Œutrange, La Rochelle, Biarritz et Ajaccio.

Quand ?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Une famille. Plusieurs générations de larmes et de calculs. Des femmes pleurent et s’en remettent aux médicaments. Des hommes comptent, aimantés par les chiffres.
Depuis longtemps, une enfant se souvient qu’elle a regardé.
« L’enfance sait toujours, et elle ne comprend rien. Il y a toujours quelqu’un pour lui bander les yeux, prétexter un jeu débile, grimer une réponse, et la déboussoler en la faisant tourner sur elle-même jusqu’à ce qu’elle ne se souvienne plus sur quel pied elle dansait. Les adultes passent leur temps à faire oublier à l’enfance ce qu’elle désirait savoir. Ils n’aiment pas les questions qui lui brûlent les lèvres. Pourquoi est-ce que grandir consiste si souvent à apprendre à feindre et ignorer ? ».

Les critiques
Babelio 
La Viduité 
Actualitté 
Diacritik (Jean-Philippe Cazier) 
remue.net (Jacques Josse) 
Blog Nyctalopes 
Blog Julie à mi mots 

Les premières pages du livre
« La journée d’été s’épuise dans une langueur presque immobile, bleutée et pleine d’ennui. Bientôt viendra l’orage. Il a fait lourd toute l’après-midi, les corps ont gonflé ; partout, les gestes s’égarent, les têtes s’oublient. Le ciel est une nasse électrique prête à se décharger.
Quelque part une femme hurle « baisse le son on n’est pas sourd » en déposant une pile de vaisselle dans l’évier. Elle s’appelle Élisabeth Witz. La Marseillaise répand dans le salon, la salle à manger, la cuisine. Il y a un match à la télévision.
Dès le réveil, les paupières à peine déprises de la nuit, son mari l’a annoncé : « Ce soir le match est décisif. » Hier aussi, il l’était, et après-demain il y en aura un autre qui le sera aussi, mais aujourd’hui c’est différent car tout se joue dans le match de ce soir, Éric Richard ne veut pas rater ça. Il a averti sa femme et ses trois filles : « Ce soir, c’est moi qui ai la télé. » D’habitude il ne prévient pas, mais cela ne l’empêche pas de l’avoir (sauf exceptions – rares, âprement négociées).
Éric Richard s’y connaît en télé, il sait ce qu’il faut regarder. Les femmes de son foyer ne cherchent pas à le contredire. Par lassitude, désintérêt, résignation – un peu tout cela à la fois – elles ne se battent pas. Elles savent : quoi qu’elles disent, l’homme est prioritaire pour la télé. Elles préfèrent faire autre chose, même si autre chose n’est rien. Parfois Éric propose à sa femme, à ses filles : « Tu peux regarder ça avec moi si tu veux. » Parfois, aussi, il impose : « Il faut absolument que tu viennes voir ça, c’est un chef d’œuvre. »
Éric Richard autorise, contraint ou empêche. C’est l’homme. C’est le père.
Affalé sur le cuir noir élimé, les pieds sur la table basse où s’entassent pêle-mêle quelques numéros de La Vie, le voilà déjà tout entier tendu vers l’écran.
Éric Richard aime les footballeurs. Non seulement « ils se font des couilles en or », mais en plus ils en sont fiers. Généralement, quand on a des couilles en or, on les palpe discrètement sous la table ou sur le compte secret d’un paradis fiscal. Qui d’autre que les footballeurs assument leurs couilles en or devant les caméras ? Hein, qui d’autre ?
Chaque fois qu’Éric Richard va quelque part, il se demande : Y-a-t-il, par ici, une paire de couilles en or ? À force de passer son temps à chercher comment s’en faire, il finit par en voir partout.
Lorsqu’il va se coucher, des petites boules d’or brillantes et ailées s’agitent derrière ses paupières. Il imagine qu’il s’envole dans les airs pour les suivre, les saisir. Mais les petites boules d’or sont trop vives. Certaines ont des dents, elles n’hésitent pas à mordre les mains avides qui veulent s’en emparer. L’homme finit par s’endormir, ses mains refermées désespérément sur elles-mêmes.
Éric pense qu’ils sont nombreux, ceux qui se font des couilles en or sans mouiller le maillot. Chaque fois qu’il rencontre un autre homme, il le suspecte de se faire des couilles en or. Hier, c’était le boulanger. Aujourd’hui, son oncle plombier. Demain, qui sait ? Cela pourrait être le voisin, garagiste, ou le cousin, qui fait des travaux par-ci par-là à son compte. Après quelques minutes d’observation, Éric Richard délivre son verdict : « Celui-là, c’est sûr, il doit se faire des couilles en or. »
Sa femme ne comprend pas quelles sont les preuves sur lesquelles il s’appuie. Ses filles non plus. Personne ne saurait expliquer comment le père devine que par ici, ça chiffre.
Éric Richard est parfois envahi par le sentiment que ceux qui se font des couilles en or se les font sur son dos. Il ne comprend pas, il sent que quelque chose lui échappe. Il se demande ce qui lui manque. Il formule des hypothèses. Il se plaint. Il voudrait tant percer le mystère.
Les autres ont bien essayé de le détourner de son obsession : « Il n’y a pas de secret, pour se faire des couilles en or faut travailler. Tu en connais beaucoup, toi, des personnes qui ont plein de fric et qui ne travaillent pas ? » Éric reste imperméable à ces paroles. Il travaille déjà beaucoup. Il continue de penser qu’on lui cache quelque chose.
Quand il était petit, à Pâques, les œufs en chocolat emballés dans de l’aluminium doré étaient ses préférés. Ses frères en amassaient dix tandis qu’il en trouvait un.
Éric Richard est un homme qui boit du lait mélangé à du Nesquik au petit déjeuner, reste chaque matin sous la douche brûlante jusqu’à ce que le ballon d’eau chaude soit vide et que sa femme se plaigne, mange trop, renouvelle sa foi chaque dimanche à la messe de onze heures, témoigne de son affection en faisant semblant de casser un œuf sur la tête de ses filles avec ses poings, « mais n’importe quoi, ça ne t’a pas fait mal, arrête un peu ton cinéma tu veux bien », revient sans cesse sur les règles des jeux de stratégie, conduit comme il écoute de la musique, à fond la caisse, intervertit toujours les prénoms de ses filles et de sa femme, se trompe souvent dans ses calculs mais aime enseigner les mathématiques aux enfants.
Le match a débuté, dans la cuisine Élisabeth Witz plonge ses mains dans la mousse, en essayant de chasser l’image des chaussures à crampons qui courent sur le gazon. Peine perdue, son mari a poussé le volume du son qui se propage partout. Verdammi 1 !
Un jour je balancerai une caillasse dans sa télévision, pense-t-elle. Et le lave-vaisselle, quand est-ce qu’il sera réparé ?
En attendant, Élisabeth se demande ce qu’elle cuisinera demain. Elle n’a pas d’idée. Elle n’a plus d’idées. Elle en a marre de devoir avoir des idées. Comment est-il possible d’avoir plusieurs fois par jour des idées ? Quatre bouches à nourrir en plus de la sienne. Verdannewald 2, comment se retrouve-t-on dans ce tunnel d’obligations sans même s’en apercevoir ? Elle ne se souvient plus du moment où elle a signé pour ça. C’est flou. Elle devait être un peu absente d’elle-même. Elle aime ça, s’absenter d’elle-même. Enfin, elle aime… Disons que ça lui arrive de plus en plus souvent, sans qu’elle s’en rende toujours compte. Elle se souvient vaguement de ce que lui a demandé son mari tout à l’heure, avant que le match ne commence : « Demain c’est le dernier jour de l’opération Gros Volumes Petits Prix chez Cora, ce serait bien qu’on en profite. »
Élisabeth Witz déteste les gros volumes, ça lui donne la nausée ; et puis, elle se sent idiote et vulgaire chaque fois qu’elle pousse un caddy. Elle préfère faire le marché avec un panier en osier.
Vivement la rentrée : il y aura à nouveau la cantine le midi pour les filles. Élisabeth rêve d’une petite pilule qui suffirait à nourrir tout le monde. Une pilule toute prête, avec tout ce qu’il faut dedans. Quelles seraient les occasions autour desquelles la famille se réunirait si la petite pilule existait ? Peut-être qu’il n’y en aurait pas. Et peut-être que ça ne manquerait à personne.
Élisabeth Witz lave la vaisselle en pensant à tous ceux qui dorment dans la mer. Cette après-midi, elle a fini le livre, avalé la fin du drame, si banal et singulier. Une tempête, le naufrage d’une famille, les journées passées à tenter de survivre sur un radeau de fortune, et finalement la mort du père, puis la mort de l’enfant, une petite fille, juste avant que la mère ne soit secourue in extremis par un bateau.
Élisabeth pense que dans ces conditions, elle n’aurait pas aimé survivre. Mais elle pense aussi l’inverse. Pouvoir tout recommencer sans être responsable du désastre. A-t-elle plus honte de s’imaginer perdre toute sa famille d’un coup ou de ne pas savoir ce qu’elle ferait si cela lui arrivait ?
Elle se dit que de toute façon toutes les familles finissent par faire naufrage, même si ce n’est pas en mer. Et puis ses pensées s’égarent par la fenêtre entrouverte.
Élisabeth regarde la nuit tomber sur le jardin. Tomber sur le pommier, le figuier. Tomber sur la balançoire. Tomber sur le bac à sable en forme de coquillage. Tomber sur le nichoir vide. Aucun oiseau n’a jamais voulu faire son nid chez nous. Élisabeth regarde la nuit tomber sur l’arrosoir. Tomber sur la bêche et le râteau. Tomber sur vingt ans de mariage. Tomber sur le crépi. Tomber sur la table bleue en plastique, encerclée de cinq chaises du même plastique bleu. Elle soupire. Sa fille aînée avait promis d’empiler les chaises et de recouvrir la table avec la toile cirée, elle ne l’a pas fait. La cadette n’a pas ramassé les figues. Elle le lui a pourtant demandé plusieurs fois. À présent les guêpes se régalent de leur pulpe éclatée, surie, pourrissante. Et la petite a encore laissé traîner ses jouets dehors, et oublié de refermer le bac à sable. Il va pleuvoir, tout sera trempé. Ça fait négligé, pense Élisabeth Witz, les mains gonflées par l’eau chaude. Où s’en va le bleu des tables d’été ?
Et les promesses des filles envers leur mère ? Elle est exténuée ce soir. Comme bien des soirs, elle sent qu’elle suffoque. Pourtant c’est l’été. Elle aurait voulu partir, mais à cinq il faut beaucoup d’argent, ce n’est plus si simple.
Elle repense aux dormeurs dans la mer. Lorsqu’elle ne supporte plus le comportement de son mari, lorsqu’elle ne supporte plus les manières des filles, elle pense à toutes celles et ceux qui dorment en mer. Et ça la soulage, un peu.
Elle ne parle jamais de politique, regarde rarement les informations. Et même lorsqu’elle les regarde, comme elle pense si facilement à autre chose, elle ne les entend pas vraiment. Avec Éric, la télé est allumée chaque jour de longues heures, et les nouvelles quotidiennes du monde extérieur ne manquent pas de se propager au milieu du salon sans qu’elle ne les ait conviées. Mais plus les années passent, mieux elle parvient à ignorer leur existence. À présent elle sait se couper de presque tout, et en éprouve une certaine satisfaction. Il y a les sujets qui l’intéressent, et ceux qui ne l’intéressent pas. C’est comme ça. C’est comme ça pour tout le monde, non ?
Élisabeth Witz imagine souvent à quoi ressemble la vie des autres femmes lorsqu’elle prend son bain. Elle imagine la vie de Colette. De Marguerite Duras. Et celle de Sandrine Bonnaire depuis qu’elle l’a vue dans Sans toit ni loi. Il y a si peu à rêver dans la vie des femmes qu’elle connaît. Mais elle n’en fréquente plus tant que ça de près, des femmes. À part ses belles-sœurs, par la force des choses… Pour avoir des amies, il faut avoir du temps à leur consacrer. Elle s’est bien essayée aux réunions Tupperware à domicile il y a quelques années, ouvrant son salon à ses collègues, ses voisines, et aux mères des amies de ses filles rencontrées à la sortie de l’école… Enfin, Tupperware, c’est une façon de parler. Elle n’aurait pas fait tout ça pour des boîtes en plastique.
Non, elle a fait venir quelqu’un qui vendait des bougies parfumées, naturelles et fabriquées en France. Il y avait beaucoup de choix, un grand nombre de parfums et de couleurs. Mais les soirées PartyLite n’ont pas été de grandes réussites. Elle a bien eu du mal à ramener assez de monde pour satisfaire la démonstratrice, rentabiliser son déplacement. À chaque fois, elle a dû mettre au bout, pour atteindre la somme minimum de vente requise – pourtant peu conséquente. La démonstratrice lui a vite conseillée d’espacer les soirées, « je pense que pour vous le bon rythme c’est plutôt une réunion par an, pas plus, ce sera déjà très bien. » Élisabeth s’est sentie un peu humiliée. Et puis, c’est passé. De toute manière, il lui reste encore beaucoup de bougies à écouler. Elle n’a pas l’occasion d’en allumer tous les jours.
Les hommes non plus, Élisabeth Witz ne les fréquente plus vraiment. Hormis ceux qui gravitent dans sa famille. Le goût des amants est en train de lui passer. Le goût de tout finit-il par passer, comme le bleu des tables d’été ou des bacs à sable en forme de coquillage ? se demande Élisabeth en changeant l’eau de l’évier pour rincer la vaisselle. Et les goûts qu’on n’a jamais eus ? Si seulement on pouvait faire venir le goût des choses. Cela fait déjà vingt ans qu’elle vit avec cet homme-là. Mais elle n’aime toujours pas les matchs de foot. Ni la pétanque, les jeux de cartes et les barbecues. Trop de réunions de famille et de barbaque… Tant de choses lui donnent le haut-le-cœur. Avec le temps, encore une chose qui ne s’arrange pas.
Elle aurait bien aimé que le goût des amants ne s’étiole pas.
Une image de la nuit dernière lui revient, soudain. Elle était déjà une vieille femme, qui coupait des tiges de saule dans un grand jardin avec un tout petit couteau. Elle essayait de les tresser entre elles, pour en faire un panier. Mais les tiges lui résistaient. Elles se cassaient l’une après l’autre entre ses mains ridées. Depuis quand n’a-t-elle pas rêvé d’une pomme acide ? Rêvera-t-elle à nouveau un jour d’une pomme acide ?
Élisabeth soulève son tablier vichy rouge et blanc, son gilet, son soutien-gorge. Doucement, elle glisse deux doigts sous son sein droit, les retire, les renifle, grimace. L’orage va bientôt éclater. Elle aime l’orage. Elle imagine que le ciel est une pièce montée renversée, dont un morceau se détache chaque fois qu’un orage éclate.
Un rectangle de jardin comprenant un figuier et un pommier, une balançoire, un bac à sable, une table et cinq chaises bleues, et puis, au fond, la palissade des voisins : le périmètre délimitant le paysage de la femme face à son évier. Le périmètre où la nuit se déverse dans les rétines de la femme lasse aux mains rougies et enflées par l’eau chaude.
Soudain, Éric Richard crie. Son corps plonge vers l’avant, ses fesses se soulèvent quelques secondes
— Allez, oui, vas-y, mais oui, vas-y… Nonnnn !Depuis la cuisine, Élisabeth Witz murmure :
— Tu sais, ils ne t’entendent pas.
Puis elle se reprend, se répond :
— Lui non plus, il ne m’entend pas.
Élisabeth aime regarder comment la nuit tombe. À quel moment exact se perdent les contours. L’avancée des ombres qui gagnent toujours. Elle voit jusqu’à la haute palissade en bois qui sépare leur terrain de celui des voisins. C’est une chance : tous les éviers n’ont pas de vue. Elle s’imagine les femmes dont l’évier ne donne sur rien, et elle en pleurerait presque. Et elle en pleurerait presque, de voir tous les soirs cette vue qui est si peu du monde.
Derrière la palissade il y a une piscine. Cela doit être beau, pense-t-elle, de voir chaque soir la nuit tomber sur l’eau. Élisabeth aime les piscines mais elle ne voudrait pas en avoir une. Trop d’entretien. Elle a tant de choses à entretenir. Les tapis, les coussins et les rideaux de la maison. Le canapé en cuir. Tant de choses à nettoyer et à laver. Les vêtements, les chaussettes et les chaussures de tout le monde. Les cheveux de sa mère. Les taches que font les filles. Les placards de la cuisine, ceux de la salle de bains. Tant de choses à surveiller. Les dents de la petite. Les racines blanches de ses propres cheveux, qui reviennent si vite. Et les poils noirs de plus en plus nombreux sur les grains de beauté de son visage. Elle craint tant de choses. Elle passe beaucoup de temps à ça : faire en sorte que les choses ne se dégradent pas. Limiter l’usure.
Cela lui suffit, d’avoir des voisins qui ont une piscine. Entendre les éclaboussures lorsque leurs corps plongent, c’est déjà quelque chose. Ils auraient pu repeindre leurs volets dans une autre couleur, tout de même – qu’est-ce qu’il est laid et criard ce vert.
Élisabeth Witz ne se plaint pas, elle n’a pas de raison de se plaindre. Même si elle ne peut pas voir comment la nuit tombe sur les voisins, ce qu’elle creuse d’ombre dans leurs visages, cela la rassure de savoir qu’elle tombe chez tout le monde. Qu’elle n’épargne personne. Chaque jour Élisabeth espère la tombée de la nuit autant qu’elle la craint.
Elle voudrait bien allumer son poste à elle, écouter la radio, mais à cause du match elle ne peut pas. La maison, dont le plan a été conçu par son époux, a été pensée pour la circulation de la lumière. Il y a des baies vitrées partout et aucune porte entre la cuisine et la salle à manger. Il n’y en a pas non plus entre la salle à manger et le salon. Elle entend tout ce qui s’y passe, même sans y être.
Élisabeth n’a pas de quoi se plaindre, c’est une belle maison. La plus belle, la plus haute et la plus grande de tout le lotissement. « Les murs chez nous sont constitués d’un matériau mieux que la brique, c’est de la roche volcanique », ne manque-t-elle pas de préciser dès qu’elle en a l’occasion. Les autres maisons se ressemblent toutes à cause de leur couleur beige sale. La sienne, colorée, se trouve au sommet de la colline. De loin, on aperçoit le château. Même s’il a brûlé il y a quelques années, ce que Voltaire disait à son sujet continue d’être rapporté avec satisfaction : « On ne croyait pas avoir changé de lieu, quand on passait du château de Versailles à celui-ci. »
Éric Richard est fier de sa maison, Élisabeth Witz aussi. Ils sont d’accord : il ne faut surtout pas que le terrain de derrière devienne constructible. Ils sont tous les deux fiers de cette belle bâtisse dans laquelle chaque jour leur vitalité s’altère.
Bien sûr le terrain de derrière finira par devenir constructible.
Presque tous les soirs, vers la fin du repas, Élisabeth retente sa chance auprès de son mari : « Est-ce que ce soir tu viens te coucher avec moi ? » Et presque toujours, il lui répond : « Non pas ce soir, j’ai un autre programme. »
La plus petite en profite pour aller jeter le reste de son assiette à la poubelle, la cadette pour filer dans sa chambre, tandis que l’aînée traduit silencieusement dans sa tête : « Est-ce que ce soir tu couches avec moi ? » L’aînée traduit la proposition de sa mère et le refus de son père, et elle se demande s’ils savent ce qu’ils disent. Si elle est la seule à penser que les phrases prononcées en recouvrent d’autres, plus essentielles. Si elle est la seule à entendre. Elle se dit que si tous deux savaient, ils ne pourraient pas se permettre de dire ça devant elle. Ça la dégoûte, alors elle file à son tour dans sa chambre à l’étage.
Au fil des années l’aînée a compris. Il ne faut pas dire directement les choses. C’est comme ça qu’on parle autour d’elle. Il faut dire l’inverse, le contraire, ou même tout autre chose. Les trois sœurs le savent, chacune à leur manière. Elles ne réclament plus à leur mère de venir les border. À la place, elles se mettent à crier dans le noir de leur chambre. À crier, à parler à voix haute, ou bien à raconter n’importe quoi, pour que la mère entre dans leur chambre, s’inquiète. Elles cherchent à susciter l’inquiétude, façon de demander l’amour sans le nommer.
C’est la mi-temps, et Éric Richard a les nerfs en pelote. Ça ne se passe pas comme prévu. Vient la publicité, vite, il s’empare de la télécommande. Il n’y a pas de temps à perdre, la publicité c’est fait pour rattraper tout ce qui n’a pas pu être regardé.
Élisabeth Witz a vidé l’évier. Elle a attendu écouté savouré le borborygme d’air et d’eau de la bonde puis elle est montée en silence à l’étage. Elle avait le projet de lire, mais la fatigue et la chaleur le lui ont fait oublier. Ses jambes sont si lourdes. Elle devrait les frictionner avec la lotion spéciale à la lavande du Docteur Valnet qu’elle conserve au frigo, ça lui ferait du bien ; mais non, elle n’a pas envie, ça lui fait trop penser à sa mère, de devoir se frictionner les jambes. Et puis en réalité, la sensation de fraîcheur est de courte durée avec le Docteur Valnet, et ça ne la soulage pas tant que ça.
Toutes les portes des chambres des filles sont fermées, elle va s’écrouler dans la sienne.
Dans la chambre verte, la plus petite s’est endormie seule et sans faire d’histoire et sans en réclamer. Son corps tremble. Elle rêve qu’elle est allongée dans l’herbe avec ses sœurs. Elles ont pris chacune l’un de ses pieds dans leurs mains. Elles jouent avec ses orteils, tirent doucement dessus, lui racontent des choses farfelues, et ses pieds gonflent. Chaque orteil est un personnage. C’est un jeu que ses sœurs ont inventé pour elle. Elles y ont joué toute l’après-midi pendant la sieste de la mère au soleil. Dans le rêve aussi il y a du soleil. Un énorme soleil qui s’étend et coule dans le ciel, chassant tous les nuages jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’une immense nappe rouge, orange et mauve. Les trois sœurs entonnent ensemble la chanson des petits petons :
Hallux, secundus, tertius, quartus, quintus
Nous sommes unis comme les doigts de la main
Elles l’entonnent de plus en plus fort pour attirer l’attention de la mère allongée à côté d’elles, mais celle-ci ne répond pas.Et l’enfant qui rêve s’approche de sa mère et comprend qu’elle est en train de fondre. Effrayée, elle essaie de la couvrir, court chercher des parasols, des couvertures réfrigérées, des pains de glace, appelle ses sœurs à l’aide, « venez vite, maman est en train de fondre », et les trois sœurs couvrent leur mère de parasols colorés, des dizaines de parasols surgissent, un champ de parasols chamarrés et mouchetés au-dessus du corps de la mère, cela ne suffit pas, elles lui mettent des glaçons dans la bouche et les oreilles, mais cela ne suffit toujours pas, la mère continue de fondre à toute allure à cause de ce ciel sans nuages.
Les sœurs comprennent qu’elles ne vont pas s’en sortir, qu’elles ne vont pas réussir à rendre à leur mère sa solidité. La plus petite crie « il faut la récupérer il faut la récupérer ». Ses deux sœurs se précipitent, l’une revient avec une bassine, l’autre avec trois louches. Ensemble, elles entreprennent de rassembler leur mère dans la bassine qui se remplit à toute allure.
« Ça ne va pas suffire, il en faut une autre, allez chercher des seaux, vite, vite », s’époumone à nouveau la petite. Les aînées repartent, reviennent, il faut se dépêcher, le soleil est si fort, si gros, si rouge, les traits et les courbes du corps de la mère s’estompent et s’effacent, elle se liquéfie de plus en plus vite.
Les trois sœurs font de leur mieux, et à la fin ce qu’il reste de leur mère tient dans quatre seaux et une bassine. Les filles observent les derniers morceaux d’elle qui résistent aux effets du soleil.
Dans la chambre jaune, qu’une mince cloison sépare de la verte, la cadette frissonne tandis que l’orage éclate au-dehors. Elle entend sa petite sœur donner des coups dans le mur ; c’est le signe pour qu’elle vienne.
Mais ce soir la cadette n’a pas le goût de l’autre. Elle a mal à la tête. Elle a volé un livre ce matin. Moins par désir de lecture que pour susciter l’intérêt de sa grande sœur, trouver un moyen de faire taire ses continuelles menaces : « Continue de regarder la télé comme tu le fais, et tu es bien partie pour finir idiote. C’est ça que tu veux ? » Sa mère n’a pas voulu lui offrir un livre, alors elle s’est servie à la maison de la presse. Elle a glissé le livre sous sa robe et puis elle est sortie de la boutique les mains collées contre son ventre pour l’empêcher de tomber. C’est seulement une fois rentrée à la maison qu’elle a lu le titre sur la couverture : Les Quatre filles du docteur March. Elle a choisi le livre au hasard, attrapant le plus gros. Elle entend déjà les railleries de son aînée, auxquelles celles de sa mère ne manqueront pas de s’unir : « Toi qui ne lis jamais, tu crois vraiment que tu vas réussir à aller au bout de ce pavé ? »
Elle regrette son choix. À présent, le livre est caché sous son matelas. Elle n’ose pas l’ouvrir, de peur que quelqu’un rentre dans sa chambre. Dans cette maison tout le monde rentre tout le temps dans la chambre des autres sans crier gare. Elle doit attendre que tout le monde dorme. Mais sa tête lui fait si mal. Que pourrait un livre contre cela ? Elle en veut à sa grande sœur. Elle sent bien qu’elle passe son temps à ne pas lui dire ce qu’elle sait.
Dans la chambre bleue, l’aînée est allongée sur son lit suspendu, les yeux grands ouverts. Elle voudrait bouger mais elle ne le peut pas. C’est ce qui lui arrive chaque fois qu’elle se retrouve allongée seule dans sa chambre. Elle regarde les éclairs agiter sa tapisserie maritime. Cela fait comme une tempête. Elle compte les secondes entre deux illuminations. Elle essaie de ne pas penser à ce qu’il y a derrière la frise depuis l’été dernier. Elle ne pense donc qu’à ça. Ces centaines de minuscules virgules noires. La pièce est infestée de milliers d’insectes minuscules.
Des bêtes de chaleur qui ont colonisé sa chambre. Des bêtes d’orage qui se sont immiscées partout sans qu’elle s’en rende compte. « C’est de ta faute, tu n’aurais pas dû laisser les fenêtres ouvertes, a dit la mère face à ses yeux embués de larmes. D’kleine Dierle han noch nie d’grosse gfresse 3, alors maintenant arrête d’y penser. »
L’aînée essaie d’oublier, mais, contrairement à sa mère, elle ne peut pas ne pas y penser. Pourtant elle a tout nettoyé : elle a vidé chaque tiroir, chaque boîte de jeu, inspecté les livres un à un, épousseté jusqu’à l’intérieur des cadres. Mais les bêtes mortes sont restées engluées entre l’épais papier peint et la frise. Elles sont là. Elles ne partiront pas.
Depuis un an elles hantent son esprit. Il faudrait tout arracher mais la tapisserie a tant coûté, il n’en est pas question. Le père a dit non. La mère a dit non. Si seulement la chambre pouvait prendre feu ; que brûle ce cimetière à bestioles, pense l’aînée, qui sanglote sans bouger ni faire de bruit.
Peut-être que ce n’est pas l’été. Cela pourrait tout aussi bien être le printemps. Les jours se ressemblent, ce n’est pas une région où l’on différencie tout à fait les saisons. Au printemps aussi les jambes sont lourdes. À l’automne aussi il y a de l’orage, des matchs et des enfants qui s’endorment ou qui gardent les yeux ouverts.
Dans la chambre rouge, Élisabeth Witz s’est endormie immédiatement. Cela fait déjà si longtemps qu’elle préfère le sommeil à tout.
Tout a déjà eu lieu. Rien de nouveau n’arrivera dans ce qui aura encore lieu.
Demain, dimanche. »

1 Qu’on me damne !
2 Juron qui signifie littéralement « forêt de sapins ». Il était utilisé majoritairement par les femmes pour ne pas blasphémer, et éviter de dire Gottverdammi, dont il est issu et qui signifie « Que Dieu me damne
3 Les petites bêtes ne mangent pas les grosses

Extraits
« Les femmes autour de moi pleuraient; elles se sentaient oppressées, on leur donnait des comprimés.
Par le nom des médicaments qu’elles ingéraient, j’ai compris leur histoire. Antidépresseur, analgésique, neuroleptique ; Élisabeth, Joséphine, et sa mère, Ernestine ; Valdoxan, Optalidon, Nozinan. Combien d’histoires de femmes ont été écrites sur des ordonnanciers ?
Dépouillées de leurs douleurs par des gélules, elles cessaient d’être des femmes souffrantes pour devenir des malades, promises et soumises aux seules métamorphoses des notices, qu’elles ne lisaient pas attentivement, ne doutant jamais que les médecins à qui elles se confiaient savaient parfaitement ce qu’ils faisaient. Grâce aux médicaments, elles restaient indifférentes et passives à leur propre malheur, indifférentes au déchiffrage de leurs symptômes et de leurs violences.
Les médecins qui croisèrent la route des femmes autour de moi étaient ordinaires, banals, médiocres; bien établis dans l’exercice de leur pouvoir, facilement oublieux de leur ignorance. Complètement dupes du fait qu’une demande en cache souvent une autre, confondant, presque tout autant que leurs patientes, souffrance et maladie. Volonté d’être soigné, et désir d’être entendu. » p. 72

« Longtemps je me suis demandé ce que tu m’avais laissée. Longtemps j’ai pensé: seulement l’abandon. Toutes mes pensées à ton sujet étaient des plaies infectées.
Qu’est-ce que cela signifie d’être la fille d’une suicidée ? Pourquoi ne puis-je m’empêcher de penser que cela signifie quelque chose ? Quelle difficulté, de différencier abandon et séparation.
Par ta mort, tu m’as montré que tu ne m’aimais pas à l’excès. Je vis avec ton fantôme, que je chasse ou appelle. Tes ombres sont amples et multiples. Elles surgissent partout sans crier gare. Tu as laissé beaucoup de blanc. Beaucoup d’absence, d’espace. De cette liberté douloureuse que tu m’as offerte, quelque chose se donne ici en ton nom. Plus je t’exhume de ma mémoire, plus je t’invente. J’ai soif de savoir ce qui ne peut pas se connaître, cela ne se tarira pas.
Tu avais pensé à ta mort. Tu avais dit: sur ma tombe, je voudrais qu’il n’y ait que de la terre et des pissenlits. Et pui qu’il y soit écrit : Amusez-vous. »  p. 93

« Tu ne te souviens pas, tu imagines qu’elle disait cela. Et pourtant c’est vrai, Tu vois, nous partageons les mêmes souvenirs dont nous n’avons plus la mémoire. Tu possèdes ce que j’ai définitivement perdu. Je détiens ce que tu as oublié avoir traversé. C’est cela, être sœurs d’enfance. » p. 209

À propos de l’autrice

Justine Arnal © Photo Bruno Dewaele

Justine Arnal est née en 1990 à Metz. Autrice, psychologue clinicienne et psychanalyste, elle vit et travaille à Paris. Elle a publié deux livres aux éditions du Chemin de fer : Les Corps ravis et Finir l’autre. Elle s’intéresse particulièrement aux croisements et frictions entre littérature et psychanalyse.
Une question est au cœur de son travail : par quelles langues et quels corps sommes-nous habités ? Rêve d’une pomme acide en est l’illustration. (Source : Quidam Éditeur)

Compte Instagram de l’autrice 



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