La Folie Océan

Babelio 
Blog motspourmots (Nicole Grundlinger) 


Bande-annonce du roman
Vincent Message présente « La Folie Océan » © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre
« 1. LA LÉGENDE DE LA MORT
Le premier signe de mort a provoqué Quentin un jour de la fin Juin, au seuil de sa maison, alors qu’il remontait de la plage sous le soleil de midi, que le sel tirait dur sur la peau de son visage et que la chaleur délicieuse de l’effort accompli se propageait dans son corps, en une série de vagues aussi vives que l’eau de la mer était froide. L’esprit léger, vidé par le bonheur de la nage, ses palmes battant la mesure dans son dos, il a regardé son ombre s’engager avant lui dans l’allée de graviers, a déposé son attirail contre le mur de la remise, puis a saisi la clé dans la poche de son jean, et c’est à ce moment-là, en relevant la tête, qu’il a aperçu le fou de Bassan dont les ailes d’un blanc aveuglant débordaient de part et d’autre le cadre de la porte où on était venu le clouer.
D’abord il est resté figé, avec le sentiment qu’il ne pouvait pas entrer, que cette maison qu’il fréquentait depuis l’enfance, et où 1l habitait depuis trois ans, ce n’était soudain plus chez lui. Pris d’une agitation affreuse, il a contourné le bâtiment, a fouillé du regard le jardin et sa ceinture de haies, a écouté le bruissement confus des arbres, puis est revenu vers l’allée : rien d’anormal de ce côté, l’intrus qui était venu n’avait laissé aucune autre trace de son passage. Lentement il s’est approché, pour essayer de comprendre. Le plumage était presque intact, l’oiseau n’était pas mort de maladie, pas plus qu’il ne s’était retrouvé emprisonné dans un filet, comme cela leur arrive lorsqu’ils suivent les chalutiers en espérant leur disputer leurs prises. La taille était celle d’un adulte, au sexe comme toujours difficile à déterminer, même si le jaune très vif de la tête plaidait en faveur d’un mâle. L’horreur, c’était ce cou tordu, qui semblait révéler une strangulation. Quentin a effleuré du dos de la main le ventre au plumage si serré, d’une douceur inconcevable, sur lequel le soleil faisait jouer de légers reflets de nacre. Au-dessus du long bec bleuté, les yeux cerclés d’un bleu plus sombre étaient restés ouverts et le fixaient d’un regard plus dur encore que celui des oiseaux vivants, un regard qui transperçait et le faisait se sentir étrangement coupable.
Quentin s’est affalé sur le fauteuil de jardin, près des massifs d’agapanthes qu’il avait connus si éblouissants du temps de sa grand-mère, mais qui souffraient déjà de la vague de chaleur. Histoire de s’occuper les mains, il a marché jusqu’au tonneau où il récupérait la pluie, a rempli le grand arrosoir et est revenu leur donner de l’eau. Qui avait pu s’abaisser à ce degré de cruauté ? Les fous ne manquaient pas dans le coin, puisque de janvier à septembre ils nichaient aux Sept-Îles par dizaines de milliers et survolaient de leur ballet incessant tout l’ouest de la Manche, traquant les bancs de maquereaux, les harengs, les calmars, puis revenant vers la colonie de Rouzic nourrir leurs poussins — mais on en voyait peu s’aventurer sur le littoral et quasiment aucun à l’intérieur des terres. Quelqu’un s’était donc donné la peine d’aller chercher l’oiseau près de l’archipel, puis de le transporter jusqu’au village de Locquémeau afin de réserver à Quentin la surprise de ce cadavre.
Même s’il valait mieux avoir de l’expérience pour ne pas se faire blesser par un coup de bec intempestif, la capture de l’animal n’avait pas dû être trop difficile : les fous se laissaient aisément approcher par les hommes. C’était même pour cette raison que les marins français les avaient baptisés de ce nom, pour célébrer leur naturel peu farouche, et parce qu’ils n’arrêtaient pas de les voir piquer dans l’eau à pleine vitesse, repliant leurs ailes effilées juste avant de percer la surface, descendant tranquillement jusqu’à trente mètres de fond — et qu’il fallait être fou, la chose était incontestable, pour plonger dans la mer avec cette audace-là. En fait, s’est dit Quentin reposant l’arrosoir, les animaux se portent mieux s’ils se méfient de nous. Lui ne voulait pas le moindre mal aux oiseaux quand il débarquait sur Rouzic pour en baguer certains, comme il allait être amené à le faire régulièrement maintenant qu’il travaillait aux Sept-Îles, mais le fou étranglé avait eu une tout autre expérience de la société des hommes, assez représentative aussi de ce dont ils étaient capables.
Quentin s’est approché de nouveau. Les quatre clous étaient fichés en dessous du radius et du métacarpe pour que les ailes ne s’affaissent pas, dans une mise en scène si soignée que cela lui a soulevé le cœur. Il était peu probable que les voisins se soient aperçus de l’intrusion : la maison du chemin de Kirio était trop isolée pour cela, et des coups de marteau dans le coin n’avaient de toute façon rien d’alarmant. Il a soulevé le corps par les pattes et inspecté l’arrière des ailes pour voir s’il ne s’accompagnait pas d’un mot d’explication, ou au moins d’un croquis de cercueil, comme le veulent les usages du monde. Mais non. Il n’y avait que l’oiseau. L’acte n’était pas signé, mais le message était clair. Le fou était là pour dire, on est capables de tuer. Et sur la liste des personnes qu’on a de bonnes raisons de vouloir éliminer, ton nom est écrit en toutes lettres, cher Quentin Lorssery.
Trois kilomètres de nage dans le ventre : il commençait à avoir faim mais n’osait toujours pas entrer. Son pouls battait trop vite et il s’est allongé dans l’herbe, à l’ombre du tilleul, pour pratiquer cette respiration profonde que l’apnée lui avait rendu familière. Ce n’était pas la première fois qu’il avait peur dans la maison de Kirio. Cela lui était souvent arrivé quand il était jeune et que ses grands-parents l’invitaient à y rester dormir. La nuit, vers la pointe du Dourven, était plus noire qu’au centre du village où vivaient ses parents. Et puis sa grand-mère avait pris le pli de lui lire ce qu’elle appelait des contes d’effroi, avec un ton d’autant plus convaincu qu’elle était elle-même persuadée qu’il existait une autre vie, derrière la nôtre ou en dessous de la nôtre, et que la réalité était bien plus insaisissable qu’on ne l’admettait en plein jour ou que ne le reconnaissait la science. Nicole croyait à l’Ankou comme une très vieille Bretonne : elle avait entendu, enfant, au crépuscule, grincer les roues de sa charrette aux essieux mal graissés, écouté hennir les chevaux qui la tiraient sur des chemins de fortune — elle avait vu de ses yeux le squelette si svelte de la mort. dont le crâne virait comme une girouette en haut de sa colonne vertébrale pour repérer d’un coup toutes celles et ceux dont l’heure était venue.
Sauf que cette fois-ci, il ne s’agissait plus de mots semant dans son esprit les graines de ses prochains cauchemars : l’oiseau était de chair et d’os.
Qui appelle-t-on, quand on reçoit pareille menace ? Police, gendarmerie, s’est d’abord dit Quentin. Le problème, c’est qu’il n’avait aucune envie d’avoir affaire à eux après ce qui s’était produit en avril à Lorient. L’expérience lui était restée en travers de la gorge. Et ce qu’il entendait par là, ce n’était pas d’avoir passé une nuit en garde à vue, le dos cassé par la banquette, à chuchoter avec les autres manifestants, mais le fait que les marins de Néréos, pourtant tout aussi responsables de la manière dont les choses avaient dégénéré, avaient quant à eux tranquillement regagné leurs pénates. On aurait dit qu’en déboulant toutes sirènes hurlantes dans le vaste enclos du port de pêche, les CRS savaient déjà très bien qui il convenait d’arrêter et qui ne devait pas l’être, comme si l’armement des Jarnoux ne faisait embarquer à bord de ses bateaux que des employés modèles. Les policiers et les gendarmes n’étaient pas du monde de Quentin : il en connaissait dans les environs de parfaitement sympathiques, hommes et femmes, avec qui on pouvait aller boire un verre lorsque tout allait bien, mais dès qu’une colère plus vaste cherchait à s’exprimer, ils se tenaient de l’autre côté de la barrière et défendaient l’ordre public, sans jamais paraître se demander s’ils ne servaient pas par là même, au lieu de l’intérêt général, les intérêts particuliers d’une classe ou d’un camp. Alors très peu pour lui, merci, il se passerait de leurs services, pour l’instant en tout cas.
L’autre recours, c’était d’appeler Étienne Feyereisen, le conservateur de la réserve, qui devait déjeuner dans son bureau de la station ornithologique située à trente minutes au nord-est de Locquémeau, près des carrières de granit désaffectées de l’Île-Grande. Étienne serait heurté et saurait le rassurer, c’était quelqu’un de connu pour son sens de l’écoute. L’ennui, c’est qu’il n’était pas au courant du grabuge de Lorient, et qu’il n’avait aucune idée de l’inflexion plus radicale que Quentin espérait donner au combat qu’il menait avec ses amis d’Atlantis. Sans doute était-il préférable que cette ignorance perdure : Quentin n’était salarié de la Ligue pour la protection des oiseaux que depuis l’automne, et Feyereisen avait pris soin de lui rappeler, dès son embauche, que le militantisme coup de poing n’y avait pas sa place.
Depuis que le projet d’extension des Sept-Îles était de nouveau sur la table, le devoir de neutralité auquel était tenue la LPO en tant que gestionnaire de la réserve s’appliquait de manière encore plus impérative. Étienne consacrait beaucoup d’énergie aux pourparlers avec la préfecture et les élus locaux, il ne voulait surtout pas que ce travail soit compromis parce que tel ou tel membre de l’équipe se verrait coller sur le front, comme un sparadrap qui ne part pas, une étiquette d’activiste. Ses détracteurs choisiraient toujours de croire que sa politique de conservation relevait de l’idéologie, mais il était hors de question de leur donner du grain à moudre. Et bien évidemment, cela mettait Quentin en tension, parce qu’à défaut d’avoir fait des études, il avait réussi à se construire un profil de militant compétent — au point que c’était devenu un aspect décisif de son identité. Ça fait partie de moi, pensait-il. Or le combat écologique n’était pas une affaire privée : s’il aspirait à être tant soit peu efficace, il fallait qu’il accepte de temps à autre de monter au front, quitte à se retrouver avec un cadavre à sa porte. Alerter Étienne là-dessus, quoi qu’il en soit, équivaudrait à lui glisser dans un coin de la tête qu’avoir intégré Lorssery dans l’équipe, c’était courir au-devant d’un certain nombre d’ennuis.
Repoussant aussi cette option, Quentin s’est contenté d’envoyer un message à Maya, en lui demandant s’ils pourraient s’appeler dans la soirée. Depuis qu’elle était arrivée à Genève, quatre jours auparavant, ils n’avaient échangé que par textos, et cela le réconforterait d’entendre un peu sa voix.
Sortant de sa veste ses feuilles et son tabac, il s’est roulé une clope. Il n’était pas fier de détruire la sensation précieuse qu’avait fait naître dans ses poumons sa longue séance de nage. C’était à croire que nuire à son corps dès qu’il venait de réussir à lui faire un peu de bien était une sorte de cycle infernal auquel il était condamné. Une fois son mégot écrasé, il a déverrouillé la porte, a rentré le ventre pour se glisser dans l’embrasure sans abîmer l’oiseau et a inspecté une à une les pièces de la maison. À l’intérieur, tout allait bien. Il est allé chercher son appareil photo à l’étage, puis est ressorti pour prendre plusieurs clichés du fou de Bassan, de loin et en gros plan. À un moment donné, peut-être en se regardant faire, un rire léger l’a pris, et il s’est rendu compte que ce fou lui rappelait la Gouaille, irrésistiblement.
La Gouaille, c’était le surnom de la femelle goéland argentée qui avait pris ses habitudes chez leurs voisins de la rue des Pêcheurs, quand il était petit. La goéland venait toquer à la fenêtre de leur cuisine quasiment tous les jours et se faisait nourrir à l’œil. Quand madame Robic était morte, la Gouaille s’était rabattue sur leur maison à eux. Quentin se souvenait que son père ne l’aimait pas beaucoup : les goélands lui donnaient suffisamment maille à partir en mer en lui cassant la tête de leurs cris. En revanche, cela amusait Quentin et sa grande sœur Agathe de la nourrir. Ils l’approvisionnaient en bouts de pain ou de pizza, en crocodiles en gélatine, ils lui faisaient goûter toutes sortes de saloperies.
En fait, la Gouaille boitait et n’était plus capable de pêcher. Leur père la chassait sans scrupule quand elle se posait près de la maison, mais elle était tolérée aux alentours de leur cabane de jardin, devant laquelle François avait installé une table en bois et des rondins en guise de tabourets. Tout en s’imaginant échoués sur un récif, Agathe et Quentin pouvaient écouter de longues minutes ses cris auxquels ils ne comprenaient rien, alors qu’elle leur révélait de son mieux l’itinéraire menant à la cache du trésor. Ils essayaient aussi de se convaincre que ce bec acéré et ce regard en apparence tellement indifférent n’étaient en aucun cas des signes de méchanceté — que d’une certaine manière, ne tapons pas sur le physique, la goéland n’y pouvait rien.
Et puis un jour, la Gouaille n’était plus revenue. Quentin ne l’avait pas remarqué tout de suite. Il lui avait fallu quelques semaines pour prendre conscience du vide que cette absence laissait dans sa vie. Dans l’ouvrage sur les oiseaux marins que Quentin avait acquis lors d’une brocante, ce volume qui avait, en y repensant, joué dans sa vocation un rôle tellement crucial, Dieter Lukanow expliquait que les goélands fréquentant la façade atlantique étaient des sédentaires, qui ne s’éloignaient en général que de quelques dizaines de kilomètres de leur lieu de reproduction. Même si on était en hiver, donc, la Gouaille n’avait pas pu migrer, elle ne l’avait d’ailleurs pas fait les années précédentes. Le plus probable restait qu’elle ait péri, loin de tout regard, de nouveau ignorée des humains qui l’avaient baptisée.
Eh bien, le fou de Bassan d’aujourd’hui, c’était l’inverse : il ne faisait pas partie des oiseaux que l’équipe de la réserve suivait, Quentin n’aurait aucun moyen d’en apprendre plus sur sa vie, mais on avait souhaité qu’il constate sa mort, ce 27 juin 2019. Or, depuis quelque temps, son travail consistait à faire tout son possible pour que les fous ne meurent pas.
Sortant de la sidération, il est allé chercher une pince dans la remise où il stockait son matériel de plongée, et il s’est approché pour décrocher l’oiseau. Sauf qu’au moment d’extraire le premier clou, l’hésitation l’a repris. Il sentait qu’il était important qu’il y ait un témoin, et il s’est résolu à appeler Dieter. Il ne lui a pas dit de quoi il retournait, seulement que c’était urgent et qu’il fallait qu’il vienne.
Dieter était né en Bavière, mais il avait déménagé dans son enfance près de Lannion, là où son père avait servi pendant la guerre, et était devenu ce qu’il fallait bien appeler un Allemand de Bretagne. Ayant dévoré son ouvrage sur les oiseaux nicheurs, Quentin avait demandé pour un anniversaire le livre de photographies qu’il avait consacré à la Bretagne sauvage, et habitant une maison dont la bibliothèque était très peu fournie, il avait lu et relu ce livre, jusqu’à en casser la reliure. Aux environs de 2009, il avait été surpris d’apprendre que Lukanow, après avoir fait sa carrière à l’université de Brest, prenait sa retraite sur l’Île-Grande. Quentin s’était mis à le croiser au centre de soins où Dieter venait trainer, à la fois pour examiner les volatiles blessés, par amitié pour le directeur de l’époque et parce qu’il était membre du conseil scientifique de la réserve des Sept-Îles.
Ils avaient noué connaissance plus tard, lorsque Quentin avait intégré Atlantis, le collectif de défense du littoral que Lukanow avait fondé avec quelques autres passionnés. Au fil des réunions, où Dieter se présentait comme «un naturaliste à tout faire », parce qu’il connaissait aussi bien les invertébrés que les oiseaux et les coraux que les lichens, Quentin avait senti que Lukanow le traitait comme un partenaire avec lequel on se réjouit de faire équipe. Et réciproquement, il s’était mis à le considérer, non seulement comme un mentor et un père de substitution, plus facile d’abord que ne l’était François, mais aussi tout bêtement, même s’il avait quarante ans de plus que lui, comme un ami.
L’ami, d’ailleurs, n’a pas tardé à se garer dans l’allée et à s’extraire de sa Voiture. À soixante et onze ans, il tenait la forme, après avoir passé des décennies à faire de la varappe dans les falaises du Finistère, vers les pointes du Vent et du Raz, pour observer les colonies de mouettes tridactyles, de fulmars ou de sternes, et les baguer à la naissance afin de pouvoir retracer, lorsque de loin en loin il les recapturait, quelques linéaments de leur mystérieuse biographie. De chutes malencontreuses, Dieter avait gardé des cicatrices dont les traits blêmes rayaient son visage et ses bras, et de son travail de terrain, un teint hâlé par le grand air, ainsi qu’un entrelacs de rides étonnamment douces.
« Ah ouais, quand même », a-t-il sifflé en découvrant le fou. En s’approchant, il lui a confirmé que c’était bien un mâle, qui devait avoir autour de dix ans. « Première fois que je vois ça, a-t-il repris. Qui est-ce que tu as énervé ? » Beaucoup trop de gens, sûrement, a pensé Quentin sans répondre. Dans la région, tout le monde connaissait les menaces auxquelles s’exposaient celles et ceux qui alertaient sur les pollutions de l’eau liées aux rejets des élevages, ou sur les autres méfaits de l’agro-industrie, mais côté pêche les militants étaient moins attaqués. En commentaire des posts d’Atlantis, des anonymes rappelaient toujours que ceux qui critiquaient les ravages de la pêche étaient susceptibles, une nuit pluvieuse, de glisser sur un quai et de se retrouver au fond d’un port, mais personne jusque-là n’avait jugé utile de découvrir leur identité ou de les prendre au sérieux.
« Tu devrais faire gaffe », a poursuivi Dieter avec une solennité inhabituelle, avant d’ôter ses lunettes rondes et de les dégraisser du revers de son t-shirt. Peut-être certains avaient-ils deviné, pour ne prendre qu’un exemple, que Quentin se cachait derrière Poséidon, un pseudo sous lequel il se permettait, quand il avait besoin de se défouler, de distribuer des coups de trident rageurs. « Les gens ont l’impression que tu critiques tous les pêcheurs, pas juste les industriels. » Quentin a réfléchi : dans son esprit, sa ligne était très claire, il attaquait les gros pour mieux défendre les petits, il fallait vraiment aller mal ou avoir des œillères pour ne pas s’en rendre compte. « Pas sûr que ce soit ça, de toute façon », a-t-il repris : il n’avait pas fermé le profil, mais ne s’en servait quasiment plus depuis qu’il était aux Sept-Îles.
Pendant que les deux hommes discutaient, une mouche s’était posée sur l’un des yeux du fou pour en aspirer le suc. « Peut-être qu’ils se doutent que je vais pas les lâcher », a fini par souffler Quentin en observant l’insecte. À ce stade, le i/s ne se référait dans sa tête à personne de précis. C’était l’effet que cherchaient à produire les menaces : aucun visage ni aucun nom auquel se raccrocher, et les ennemis se multipliaient, virtuellement, jusqu’à ce qu’on n’ose plus bouger le petit doigt.
Dieter a lui aussi varié les angles pour photographier le fou, tout en répétant à Quentin qu’il serait plus prudent de signaler l’incident à la gendarmerie. « Non, s’est obstiné celui-ci. Qu’est-ce que tu veux qu’ils fassent, de toute façon ? » Est-ce qu’il croyait vraiment qu’ils lanceraient une enquête ou lui donneraient une protection ? « Fais comme tu veux », a soupiré Dieter.
Ensemble, ils ont décloué le fou avec délicatesse, puis ils lui ont creusé une tombe dans le jardin, piochant assez profond pour que les chats du voisinage, mais aussi les renards que Quentin soupçonnait de fréquenter le coin la nuit, ne sentent pas sous la terre la présence d’une proie.
Le soir, lorsque Quentin a voulu joindre Maya, l’appel a sonné dans le vide. Donne-moi une heure encore, a-t-elle répondu. Finalement elle l’a rappelé trente minutes plus tard. Sa journée avait été longue, pas moins de dix heures enfermée avec ses collègues spécialistes du plancton, et Quentin a pensé qu’il serait un peu salaud de lui refiler son angoisse pour s’en soulager lui.
De manière générale, il hésitait à lui parler de ce qui le tourmentait. Ce n’était pas l’image qu’il avait envie de lui donner. Et puis ce n’était pas facile de se sentir soutenu quand, la majeure partie du temps, des centaines de kilomètres les séparaient. À cet égard, il n’aimait pas tellement le téléphone : pour se confier, il avait besoin de lire sur le visage de ses interlocuteurs des signes d’encouragement. On ne savait jamais, qui plus est, dans quel état d’esprit on allait trouver l’autre, dans quelle activité on risquait de l’interrompre. Depuis sa rencontre avec Maya deux ans auparavant, il avait cela étant mis de l’eau dans son vin : sans leurs appels, de fait, leur histoire serait restée contenue dans les limites décevantes de quelques semaines d’été.
« Tu n’as pas une bonne voix », a-t-elle dit assez vite. La perche était tendue, mais Quentin ne l’a pas saisie. Il a préféré lui parler de quelque chose de beau, voire d’extraordinaire, plutôt que de quelque chose de sordide et de déjà enterré. « Il y a trois jours, quand j’ai été plonger avec Joséphine et Armen, il m’est arrivé un truc. » Ils étaient partis aux Sept-Îles, juste tous les trois pour une fois, Joséphine sous l’eau avec lui, Armen en surveillance surface. À quinze mètres de fond environ, il s’attardait à prendre des photos de cliones, ces éponges massives et lobées, d’un jaune poussin splendide, qui encroûtaient beaucoup de tombants, lorsqu’il a nettement senti qu’on le tirait par les palmes. Ça ne pouvait pas être Joséphine, qui palmait devant lui deux secondes auparavant. Alors il s’est retourné.
D’abord il n’a rien vu, puis une ombre est passée au-dessus de sa tête, un phoque gris magnifique qui nageait sur le dos, vraiment tout près de lui. Au museau rectiligne, il a reconnu une femelle, qui le regardait droit dans les yeux. Et pour le coup, les phoques avaient le regard facile, humide à souhait, mobile, il était bien plus évident de s’identifier à eux qu’à un goéland ou un fou. En remontant à l’Éocène, on leur trouvait d’ailleurs des ancêtres communs avec les carnivores dont descendaient les chiens. Quentin en avait plaisanté une fois avec Étienne : il suffirait peut-être de laisser passer quelques dizaines de millions d’années, et ils apprendraient comme les canidés à imiter les nourrissons et la tristesse humaine pour faire de nous ce qu’ils voudraient.
« Elle est restée comme ça… je sais pas trop… ça m’a paru durer longtemps ! » La lumière du soleil diaprait sa peau tachetée d’ébauches d’arc-en-ciel. Ses coups de nageoire donnaient à ses mouvements une fluidité si pure que n’importe quel humain aurait eu l’air pataud à côté d’elle. Il s’est efforcé de la décrire à Maya, sans lui dire qu’en l’observant, quelques mots lui étaient venus, du genre de ceux qu’il notait dans ses cahiers, en assumant depuis quelque temps qu’il s’agissait de vers : on aimerait glisser dans la vie — comme les phoques dans l’eau — masse énorme mais masse légère — à la fois flâneuse et torpille. De fait, de son corps épargné par la force de gravité, elle a enchainé les roulades avant d’aller se cacher dans la forêt des algues laminaires. Joséphine ne s’était aperçue de rien ; Quentin a fait tinter la baguette de son percuteur contre le métal de sa bouteille pour attirer son attention, mais le son s’est perdu dans l’épaisseur de l’eau et elle ne s’est pas retournée. Cela arrivait souvent que deux membres de la même palanquée remontent à la surface en se racontant l’un à l’autre, lors de ces débriefings qu’on accompagnait de thé brûlant tout en mettant cap vers la côte, les spectacles qu’ils avaient ratés.
« Ce qui était dingue, a repris Quentin, c’est que ça s’est pas arrêté là. » Évidemment, il n’a pas pu s’empêcher de la suivre, et lorsqu’elle en a pris conscience, elle est revenue vers lui, accompagnée d’un juvénile au pelage gris clair, qui devait être son fils. Le regard interrogateur, les vibrisses scintillantes, à son tour le phoque a voulu jouer, et s’est lancé dans un ballet de vrilles autour de Quentin qui n’osait même pas approcher de son visage le caisson de son appareil photo de peur de rompre la magie. C’était une vision étrange que cette mère accompagnée de son fils, a-t-il expliqué à Maya : si elle avait mis bas en décembre, le petit avait sept mois. Or les mères délaissaient leurs enfants après trois semaines à peine, tant l’allaitement les épuisait. S’il avait déjà quelquefois croisé des phoques sous l’eau, jamais le moment ne s’était prolongé ainsi, au-delà de toute espérance : « On aurait vraiment dit, tu vois, qu’ils voulaient faire ma connaissance. » Quentin s’est remis à palmer avec vigueur pour rattraper Joséphine, mais avant cela, il a filmé les phoques puis a levé la main pour leur dire au revoir, dans son langage un peu conventionnel de mammifère terrestre.
De retour au port de Ploumanac’h, ils ont croisé Charles Guermeur, un gars haut comme une tour, qui se penchait toujours vers les gens pour parler et qui gérait un des clubs de plongée de la Côte de Granit rose. Quentin lui a fait part de ce qu’il avait vu, sans indiquer d’endroit précis ; il avait envie de garder ce coin à phoques pour lui, comme les caseyeurs gardent secrets leurs coins à crustacés. Néanmoins il savait que Guermeur plongeait beaucoup depuis la cale dans l’anse de Pors Kamor, et avait développé un lien particulier avec un phoque qui vivait là, et qu’on voyait souvent à condition de le laisser venir. Charles s’en amusait : « Je connais des plongeurs qui ont essayé cinquante fois de lui mettre le grappin dessus ! Moi je le connais depuis qu’il est blanchon, et je le croise une fois sur deux… » Quoi qu’il en soit, Guermeur n’était pas moins étonné que lui : les phoques solitaires, mal intégrés, qui recherchaient le contact avec les humains, on n’en trouvait quasiment jamais aux Sept-Îles. Et, oui, Quentin avait raison, si ce juvénile restait comme cela dans les nageoires de sa mère, il y avait de fortes chances qu’il soit mal barré.
Lorsqu’il a conclu son récit, Maya lui a soufflé qu’elle aurait aimé vivre cela à ses côtés. « Je les ai à peine aperçus, moi, tes phoques, et c’était en surface ! » Quentin lui a promis qu’ils essaieraient de les retrouver une fois qu’elle serait là, même si, lorsque la saison touristique commençait, faisant bondir la fréquentation de l’archipel, ils avaient naturellement tendance à se planquer. « Mais à part ça. tu es sûr que ça va ? » est-elle revenue à la charge. Sans entrer dans le détail, Quentin a fini par reconnaître qu’il ne se sentait pas bien. « J’ai de gros coups de cafard… Et envie de te voir… Tu crois que tu arriverais à me rejoindre plus tôt ? » À l’autre bout des ondes, un silence s’est mis à régner, le genre de silence précisément qui le désemparait. « Je sais pas trop, a concédé Maya. C’est tellement la course, là… Maïs moi aussi, tu me manques fort. »
Avant de s’endormir, Quentin a recherché, dans je coin de la bibliothèque où il avait regroupé les livres hérités de ses grands-parents, le volume jauni de La Légende de la mort que lui lisait Nicole. Dans ce recueil paru en 1922, Anatole Le Braz avait réuni toute la matière orale qu’il avait collectée, des décennies durant, auprès des paysans et des marins bretons. Sa grand-mère avait corné de nombreuses pages du livre. Quentin s’est contenté d’en relire l’ouverture, en se rendant compte qu’il n’était pas loin de la connaître par cœur, et que ce n’était pas un hasard si le souvenir en remontait au terme de cette journée.
Le livre parlait des signes qui annoncent la mort, et que dans la tradition on appelait des intersignes. La personne à qui se manifeste l’intersigne, écrivait Le Braz, est rarement celle que la mort menace. Personne en revanche ne meurt sans qu’un proche, un ami, quelqu’un de son entourage en ait été prévenu par un présage. Les intersignes, a encore lu Quentin, sont comme l’ombre projetée en avant de ce qui doit arriver — et éteignant son chevet d’une main un peu tremblante, il a pensé que se remémorer cette croyance ancrée ici pendant des siècles n’avait rien de rassurant, et qu’il allait devoir ouvrir l’œil, et certainement se battre, pour échapper à la légende.

2. LES INVISIBLES
« Tu es tout de même très raisonnable », lui a fait remarquer Ruben Merckx alors qu’après avoir dîné sur les rives du Léman, ils étaient rentrés à l’hôtel et s’attardaient dans le couloir, devant la porte de Maya. Elle aurait pu juger le commentaire complexant, mais le ton de Ruben était si chaleureux et ses dents du bonheur donnaient à son sourire un aspect tellement enfantin qu’elle ne l’a pas pris en mauvaise part. Si seulement tu savais, a-t-elle répliqué dans son for intérieur.
Au cours de la soirée, il l’avait regardée avec assez d’intensité pour qu’elle soit sûre que si elle l’invitait, il viendrait dans sa chambre et ne tarderait pas à l’embrasser. Elle n’avait besoin pour cela que de prononcer un mot. Ou plutôt, non, un regard suffirait, ils n’avaient plus vingt ans, leurs corps savaient envoyer les signaux adéquats. C’était tentant, bien sûr, mais sans doute pas une bonne idée. Elle avait promis à Quentin de le rappeler et ne voulait pas lui faire faux bond. Relire ses notes avant d’éteindre ne serait pas du luxe non plus. Et puis il leur restait deux journées à tenir, et une partie de son corps criait pour qu’elle privilégie le sommeil.
Pourtant, à voir Ruben qui souriait toujours, n’insistant pas mais ne renonçant pas, elle devait admettre que l’envie d’être caressée s’éveillait dans son ventre. Elle avait déjà vécu cette scène, avec d’autres hommes, dans différentes villes, et cela l’intriguait de savoir ce qui faisait pencher la balance dans un sens ou dans l’autre. Parce qu’au-delà des bonnes résolutions et de la situation sentimentale de chacun, la décision tenait à des facteurs d’ordre subliminal, des odeurs circulant dans l’air entre deux animaux, une variation d’humeur subite, l’issue incertaine du combat que se livraient la fatigue et le désir.
C’était la première fois que Maya venait à Genève, où elle était arrivée tard, le dimanche précédent. Le lendemain vers 8 heures, elle avait quitté son hôtel pour se rendre d’un bon pas au palais des Nations qui abritait le siège de l’ONU. Passant près de l’allée où les drapeaux des États Membres flamboyaient au sommet de leurs mâts, l’orgueil et le stress l’avaient saisie à l’idée de représenter la France à cette réunion. Ce chemin qu’elle avait fait, tout de même… Elle avait retiré à l’accueil le badge qui stipulait qu’elle s’appelait Maya Ferrer et bossait à Paris pour le CNRS, puis elle s’était laissé guider, le long des couloirs de marbre, jusqu’à la salle où allait se tenir cette première réunion des auteurs de l’évaluation en cours.
« Ce n’est pas seulement que t’y seras à ta place : c’est que c’est fait pour toi, l’IPBES ! » Voilà ce qu’avait répondu Christian Daniélou, l’œil frétillant au-dessus de la moustache qui lui donnait la tête d’un critique culinaire, quand elle lui avait dit avoir été sollicitée pour contribuer à cette évaluation sur l’état de l’océan au temps du changement climatique. On était en 2018, l’IPBES était inconnue au-delà du milieu de la recherche, et elle avait dû expliquer à sa famille, à ses amis, et même à ses contacts dans les réseaux écologistes, que cette plateforme intergouvernementale avait été créée pour élaborer des rapports sur la biodiversité, comme le faisait le GIEC du côté du climat.
Même si elle avait pris dix jours de réflexion, elle avait vite été convaincue de la réponse qu’elle donnerait. Daniélou avait dirigé sa thèse, il la connaissait bien : cette interface science-décision, c’était l’endroit où elle avait envie de se positionner désormais, entre autres parce qu’être dans l’action était le meilleur moyen de soigner l’angoisse intermittente que lui causait l’état de la biosphère. Comme cet engagement viendrait en plus de son travail habituel, elle se doutait qu’elle allait y passer pendant trois ans une partie de ses soirées et de ses week-ends — ce qui ne la changerait pas de sa dernière année de thèse ou des phases de dépôt de ses projets de recherche. Sa mère avait secoué la tête en disant que Maya devait prendre soin d’elle : « Surtout avec ta petite santé. » Mais Djamila avait beau jeu de répéter ce conseil, elle qui ne se l’était jamais appliqué et qui continuait à faire des ménages pour arrondir sa retraite, parce qu’elle refusait catégoriquement que Maya et ses frères les aident. Les enfants ne font pas ce qu’on leur dit de faire. avait-elle blagué en réponse à sa mère : ils reproduisent ce que leurs parents font.
La première rencontre entre les auteurs principaux de l’évaluation allait durer six jours. En compagnie de Ruben Merckx, qui venait de l’université de Leyde, aux Pays-Bas, et de Patricia Andrade, originaire, elle, de Quito, Maya coordonnait le chapitre sur les micro-organismes du plancton et était responsable du travail de sa vingtaine d’auteurs. Comme ils se concentraient sur les espèces d’une taille inférieure à deux cents microns, les groupes qui s’occupaient des poissons, des arthropodes ou des mollusques les avaient vite surnommés /es invisibles. Ils avaient résolu de retourner le stigmate en revendiquant ce nom. « Rendre visibles les invisibles, c’est une grande cause d’époque », avait lancé Maya.
L’avantage de cette semaine, c’était qu’elle lui permettait de rencontrer des gens qu’elle n’avait jusqu’alors fréquentés qu’en visio. Le collègue néo-zélandais, qui avait manqué un paquet de réunions en brandissant l’excuse inévitable du décalage horaire, s’avérait un lecteur acharné de la littérature scientifique. La déléguée de Harvard s’était immédiatement excusée auprès d’eux pour le climato-négationnisme dans lequel se vautrait le président américain. Quant à Patricia Andrade, dont le terrain aux îles Galapagos faisait rêver Maya, elle n’avait obtenu de son université qu’un budget étriqué, la contraignant à se loger dans un hôtel minable à une heure de transports en commun, mais elle plaisantait de cela et du reste avec un entrain contagieux.
Si le travail avançait à peu près comme Maya le souhaitait. cette sociabilité intense la mettait à l’épreuve. Le mercredi, elle avait faussé compagnie au groupe et était allée déjeuner d’un sandwich sur les rives du Léman, regardant les bateaux qui sillonnaient le lac avant de fermer les yeux. Marcher la reposait, comme un peu de solitude, comme dormir un instant, stratagèmes dérisoires mais utiles pour ne pas céder à l’effroi devant la situation qu’ils devaient affronter.
Comme l’avait pressenti Daniélou, l’’IPBES avait brusquement gagné en notoriété en publiant début mai une évaluation globale sur l’état du vivant. Le rapport chiffrait à huit millions les espèces vivant sur terre, dont cinq millions d’insectes et deux millions seulement d’espèces inventoriées. À cause de l’usage humain trop intense des terres et des mers, de l’exploitation des animaux par la chasse et la pêche, du changement climatique, des perturbations engendrées par les espèces invasives et de la gamme infinie des formes de pollution, un million de ces espèces étaient menacées de disparaître dans les décennies à venir. La sixième extinction de masse qu’on suspectait depuis un moment se confirmait : à ce rythme, il ne faudrait aux hommes que quelques siècles pour obtenir le même résultat que les cinq extinctions précédentes, qui avaient plutôt. elles, duré de quelques milliers à quelques millions d’années. Le rapport avait occupé une semaine les gros titres des médias, avant de se trouver éclipsé à tout seigneur, tout honneur — par le mariage du prince Harry Mountbatten-Windsor avec Meghan Markle.
Compulsant ce pavé le soir, parce que le lire ne relevait pas à strictement parler de son travail en cours, Maya s’était mise à penser que les sapiens étaient des animaux décidément très singuliers, capables de baptiser avec soin deux millions d’espèces autour d’eux tout en œuvrant avec la plus grande énergie à en faire disparaître moitié autant. Comme elle avait grandi scotchée devant des documentaires animaliers, cela lui faisait drôle de se dire que depuis sa naissance en 1978, tandis que les limites planétaires se trouvaient franchies une à une et que l’humanité s’accroissait de trois milliards d’individus, les populations de vertébrés sauvages s’étaient effondrées des deux tiers. Sa carrière de biologiste coïncidait avec une destruction affolante du vivant sous l’effet des actions humaines : lorsqu’on réussissait à prendre conscience de ce que cela impliquait, il y avait de quoi sentir monter un vertige qui méritait de temps à autre une sieste de dix minutes.
Dans son discours d’accueil, le président de la plateforme avait eu des mots saisissants : puisque la biodiversité était huit fois moins couverte par les médias que les problèmes climatiques, leur rôle était de faire comprendre que la richesse des écosystèmes n’était pas qu’une question d’experts, mais le tissu de relations qui rendait la terre habitable et qui fournissait aux humains leur eau, leur nourriture, leur énergie. L’humanité était en train de saper les conditions de son existence, et leur but devait être d’enrayer cette dégradation générale : « Un changement pareil se heurte forcément à la résistance de ceux qui profitent le plus du statu quo. Seulement, si nous voulons survivre, il est temps de venir à bout de cette opposition. »
Au fil de leurs débats, les Invisibles avaient tenté de relier cette mission aux enjeux de leur domaine. L’évaluation de mai parlait de huit millions d’espèces, avait relevé Maya, mais ce chiffre ne prétendait même pas comptabiliser le plancton. »

Extraits
« Depuis que Sea Shepherd alertait sur les échouages de dauphins dans le golfe de Gascogne, les artisans craignaient qu’on restreigne leurs zones de pêche et ne pouvaient pour la plupart plus blairer l’association. Encaissant les griefs de son père, Quentin a brusquement pensé qu’ils avaient fait fausse route, avec les copains d’Atlantis : ils venaient de s’aliéner ceux pour qui ils prétendaient se battre, tout ça pour récolter de l’attention et déclencher un buzz. » p. 147

« La vérité, poursuit Jarnoux, c’est qu’on paye pour les erreurs du passé, en termes de production et surtout en termes d’image. Parce que je suis bien conscient que dans les années 80. peut-être même encore 90, nous avons fait un peu n’importe quoi. Mais nous ça n’est pas Néréos, ou les pêcheurs bretons. Nous c’est toutes les pêcheries européennes. Les anciens voient ça comme l’apogée de Lorient, parce qu’on y débarquait quatre-vingt mille tonnes et que maintenant c’est vingt mille. Sauf qu’heureusement, d’une certaine manière, que ça a dégringolé, on bousillait la ressource… Mon père et mon grand-père, ils ont du mal à comprendre ça. Je me suis engueulé avec eux je sais pas combien de fois, je leur ai dit que ça n’avait rien de déshonorant de reconnaître des erreurs collectives. Aujourd’hui, remarquez, c’est l’inverse : la pêche en France ne pèse plus lourd. Le chiffre d’affaires du secteur, c’est à peu près celui de la filière tomate. » p. 204

À propos de l’auteur

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Vincent Message est né en 1983. Paru au Seuil en 2009, son premier roman Les Veilleurs a connu un important succès critique et public. (Source : Éditions du Seuil)

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