Ils appellent ça l’amour, lu par l’autrice
Où ?
Le roman est situé dans une ville française qui n’est pas précisée ainsi qu’à Paris.
Quand ?
L’action se déroule de nos jours, avec un retour en arrière il y a vingt ans.
Ce qu’en dit l’éditeur
Parce qu’elle a laissé ses amies organiser leur escapade durant ce week-end de trois jours, Clotilde se retrouve dans une ville qu’elle avait rayée de la carte. Ici, il y a vingt ans, elle a vécu avec Monsieur, un homme qui fit d’elle sa Madame sous prétexte de lui faire du bien. C’est ainsi que Clotilde se dépouilla d’elle-même, jusqu’à devenir un simple objet, mais un objet d’amour.
De son assujettissement d’alors, Clotilde a encore honte, et elle a beaucoup de mal à se découdre la bouche pour reconnaître les faits. La preuve : ni Adélaïde, ni Judith, ni Bérangère, ni Hermeline ne connaissent cette histoire, et aucune ne se doute qu’à deux rues de leur location, dans son immense maison, habite toujours Monsieur.
Clotilde se demande si libérer sa parole pourrait aider la honte à enfin changer de camp.
Les critiques
Babelio
Les premières pages du livre
« L’ardoise n’est pas magique
Clotilde dans son crâne se donne tout un tas d’ordres pour que soit neutralisé l’assaut de ses sensations. Elle se répète Respire et Regarde où tu marches, mais la suffocation, autant que le vertige, poursuit sa progression. Ne te rappelle rien. Elle sent venir les suées, redoute d’être bientôt saisie par le haut-le-cœur. Reste calme, Déglutis, Respire. Elle ne voulait pas revenir ici, non, pas revenir, tout remonte à la surface et son masque se craquelle. Souris, Respire, Avance plus vite.
Elle n’a pas pu refuser de suivre ses amies dans cette ville, où elles ont loué une maison pour le week-end de la Toussaint. Elles voulaient se retrouver, passer du temps ensemble, Clotilde à accepté en les laissant choisir destination, transport et habitat. Aucune ne se doutait qu’elle avait vécu là. Et encore moins avec un homme qui avait le profil de Monsieur. Des faits et événements de ses saisons lointaines, toutes ignorent l’épisode. Clotilde ne les connaissait pas alors, Judith, Adélaïde, Bérangère. Hermeline devait être encore au lycée. Ce que ses sœurs de cœur savent de son parcours sentimental passe par le vu entendu su, de façon directe ou rapportée. Or jamais devant elles Monsieur ne fut évoqué.
L’expérience qu’elle a traversée, Clotilde l’a rayée de sa biographie, comme cette ville de la carte. La moindre trace effacée de tout récit, de toute confidence. Ce qui n’est pas nommé n’existe pas : Clotilde croyait qu’en la taisant, elle avait réussi à la faire disparaître, cette histoire, à l’escamoter du réel Un élément non négligeable avait joué en sa faveur : de sa vie avec Monsieur qui fit d’elle une Madame, il n’y a aucun témoin. Le chat est mort depuis et le couple dans cette ville ne fréquentait personne puisque Madamonsieur évoluait en vase clos.
C’était il y a longtemps Bien avant que les hashtags balancent en ligne les porcs, que les slogans des colleuses rappellent la vérité sur les murs de nos villes en lettres de feu, que le mot sororité soit imprimé sur des T-shirts. C’était il y a longtemps mais ce n’est pas une excuse, Clotilde sait qu’elle n’en a aucune; c’est pour ça qu’elle s’en veut autant.
Respire, Concentre-toi, Respire. L’étroitesse des trottoirs pavés, les vieilles maisons aux toits d’ardoise remplies de familles discrètes qui mastiquent du gigot sous les poutres apparentes, les boutiques closes entre midi trente et quinze heures, le silence dense, humide, empoissé de nature : tout, jusqu’au ciel anthracite qui assombrit le fleuve, imbibe Clotilde de gris. Un gris brouillardeux et amer, comme si devant ses yeux le décor se délitait en lui mordant k langue, et que bientôt son corps allait en milliers de perles se dissoudre. Un gris qui dégorge et s’infiltre, se change en plomb fondu au contact du plexus, submerge ses poumons, taillade ses ventricules, lacère, sabre, hache ses tripes. L’ennui est une couleur qui noie puis éviscère. Respire, Ne tousse pas, Ne pleure pas, Mouche-toi vite, J’ai dit vite.
Une quinzaine de minutes séparent la gare de la location. Le nom de la rue ne lui dit rien mais le quartier maudit se rapproche. Respire, Ça va aller, les roulettes des valises cognent contre les pavés, elles avancent en faisant de grandes traînées de bruit ; Tu vas y arriver, Clotilde ferme le cortège, Tu dois y arriver ; elle tangue sur les talons de ses bottines pointues qui ne cessent de riper ; Tu n’as pas ke choix, tu le sais. Elle expulse l’air qu’elle gobe, des grosses bulles pleines de toux, d’angoisse et d’écorchures. Le fracas des roulettes couvre, fort heureusement, ses régurgitations. Essuie-toi la bouche, Redresse-toi, Éponge-toi le front, tes sourcils gouttent, Devant, au loin sur la colline, le petit château. Au bout de la rue, le croisement. Clotilde craint que une fois dépassée la placette, il ne faille tourner à gauche, juste après la chapelle. Elle invoque les déesses, insiste auprès d’Hestia pour que ce ne soit pas le cas.
Une trouée dans le gris, des rayons blancs transpercent la cotonneuse menace de pluie, Une lumière brutale, aussi froide qu’un néon de clinique psychiatrique, auréole et dilue la blondeur de Bérangère, qui luit étrangement. Clotilde cligne des yeux. L’auburn de Judith s’embrase, le chignon brun d’Adélaïde gagne en volume, à mesure qu’un à un ses cheveux voient leurs écailles s’ouvrir. Les tresses multicolores d’Hermeline s’agitent le long de son dos, dans le scintillement des sequins violets de son teddy. La rue est encore longue sous les branches en arceaux. Clotilde, pensée magique, voudrait fuir le présent tout en radiant le passé. La panique guette, elle tente de localiser les quatre points cardinaux pour former autour d’elle un cercle de protection, se répète la formule dans sa version latine en luttant pour ne pas succomber au malaise.
En approche de la placette déserte, conquises par la joliesse des vieilles pierres et du lierre, étourdies et ravies par le dépaysement, les quatre filles s extasient en prenant des selfies. Clotilde, derrière elles, ralentit. Elle se souvient de l’effet carton-pâte que lui avaient fait les lieux, la première fois. L’impression que son jean se changeait en crinoline et que Delphine Seyrig, dans un costume de fée, l’attendait entourée de colombes dans le jardin afin de la conseiller. Elle se souvient de l’effet, mais elle est incapable de l’éprouver à nouveau. Les sequins violets du blouson d’Hermeline sont autant d’’étincelles zinzolin et lavande, brusquement ses éclats irritent, aveuglent Clotilde, qui se laisse distancer pour rester en retrait.
La situation mérite attention, sans se douter qu’elle joue l’écho, Adélaïde se met à chanter Mon enfant, On n’épouse jamais ses parents. Bérangère, Judith et Hermeline poursuivent en choeur, Vous aimez votre père, je comprends, Quelles que soient vos raisons, Quels que soient pour lui vos sentiments, et autour de leurs valises esquissent des entrechats sur les pavés glissants Clotilde espère que l’une d’entre elles tombe, sans se faire mal, mais tombe quand même, maintenant, tout de suite, pour que ça s arrête. Elle ne peut partager leur liesse qui s’affiche en Technicolor et redoute qu’elles découvrent sous son carré plongeant, entretenu noir bleuté, à quel point sa cervelle est gangrénée de secrets.
Hélas, les quatre femmes vers elle pivotent, stables et gracieuses, Mon enfant, vingt mètres les séparent, On n’épouse pas plus sa maman, elles tournent sur elles-mêmes, pas chassés, cabrioles, On dit que traditionnellement, Adélaïde encercle Bérangère de petits bonds, Des questions de culture et de législature, Décidèrent en leur temps, à l’unisson les quatre hurlent presque Qu’on ne mariait pas les filles avec leur papaaa. Judith, bras écartés, tient longuement la note finale face à là révérence, genou à terre, d’Hermeline, qui ce faisant répète ad libitum Papa. Clotilde les regarde toutes éclater de rire, un rire de lâcher-prise, spontané et complice, alors qu’une araignée de chagrin lui pond des œufs rances dans la gorge. son masque se fend d’un sourire, elle leur fait signe d’une main d’avancer, elle les suit. Les roulettes des valises reprennent aussitôt leur raffut. Judith jette un œil à l’écran de son portable, passe devant la chapelle, et prend la direction que Clotilde ne voulait pas.
Les rayons blancs se rétractent, le gris reprend son emprise sur les pierres, les toitures et tout le paysage. Le ciel ne s’écroule même pas, la poussière des pavés se gorge de promesses de pluie embaumée de chlorophylle, pour Clotilde tout le quartier a l’odeur d’un cimetière. D’être de nouveau sous cloche, comme dans une boule à neige qui n’est jamais secouée, Clotilde, ça la fait suffoquer. Respire, Reprends-toi, Respire. Son bagage se fait plus lourd, les pavés plus aigus. Avance, Fais un effort. Elle aperçoit le mur crayeux, atteint le bouquet d’arbres, la Vierge dans le renfoncement petite comme une poupée, la maison des voisins au deuxième étage clos, le tronc du lilas devenu mort. Marche tout droit, Ne regarde pas, Reste au milieu de la route. Les filles sont tellement loin qu’elles ont toutes disparu. Dépêche-toi, N’y pense pas, Tu vas y arriver.
Clotilde inspire expire de façon appuyée pour éviter de s’évanouir, tout en ayant très peur de se faire remarquer. Il ne va rien se passer, Il ne peut rien se passer, Tu ne seras pas aspirée par une faille temporelle, Arrête ton cinéma. Elle longe comme on se meurt la grille en fer forgé et le trottoir minuscule, fixe le sol pour ne pas voir à travers les barreaux la marquise en verre trempé, les trois marches peintes en bleu ou repeintes en autre chose, le parterre de gravier blanc qui rappelle celui qui orne, sous des statues d’angelots, les tombes des jeunes enfants. Avance plus vite, plus vite, Respire.
Une odeur d’oignons frits dans le beurre, d’ail, de viande chaude, une des fenêtres sur rue est ouverte, de la vapeur s’en échappe, des voix aussi, celle d’une femme qui s’excuse et une autre plus grave, affreusement familière. Le corps de Clotilde se raidit et ses jambes se dérobent, sa valise lui tient lieu d’appui. Bien sûr elle se doutait qu’il serait encore là, Monsieur, qu il serait toujours là, dans son immense maison qu’il ne quittera jamais, répétant les mêmes scènes comme le ferait un spectre, des décennies après, ses remarques qui cognent aux murs en poltergeist, & frustration qui gronde, ses reproches qui déferlent et le silence qui suit. Ainsi, dans cette cuisine, quelle que soit la vivante devenue sa Madame, pour Monsieur le rôti sera toujours trop cuit. Au prix où est le filet, si c’est pas malheureux, ça lui fait mal au ventre ; ça l’effraie également, comment lui faire confiance si elle est incapable de se servir d’un four ?
Clotilde reste statufiée un mètre avant la fenêtre de la cuisine, dont un des deux battants vient juste d’être poussé. Le cliquetis des couverts contre les assiettes en grès lui rappelle autant le crissement de la craie sur un tableau que ces repas où Monsieur faisait la gueule, Ici, rien n’a changé, rien, même pas la vaisselle. Le dos de Clotilde est trempé, par vagues il se hérisse de frissons ; dans son crâne il fait froid, si froid que tout est gelé, ses pensées, son ressenti, en suspension, figés ; ne s’agitent, blanchis de givre, que les mauvais souvenirs.
Devant elle, la rue est vide. Comme elle l’était tout le temps. Une rue toujours vide, un ciel si bas et lourd qu’on le croirait malade, une cuisson ratée dans une cuisine hantée, un homme qui a le pouvoir et qui l’exerce dans le but, alors revendiqué, de lui faire, à elle, du bien. Ses souvenirs s ébrouent, faisant voler et fondre le givre, ils se déploient en nuée brûlante et corrosive qui bientôt lui enserre en lasso le cerveau. Il vient de là, le rouge au front.
Elle sursaute et recule, la femme se plaint du froid, Monsieur lui suggère de mettre un pull mais de laisser entrer l’air frais ; la fenêtre se ferme sur des éclats de voix. Clotilde devine sa Madame brune et lasse de sans cesse aérer. Bien plus jeune que Monsieur, aussi, cela va de soi. Le cœur de Clotilde palpite au rythme de ses regrets, les J’aurais dû déferlent, si nombreux et si denses que vient la tachycardie. Les Pourquoi je n’ai pas rampent dans une bouillie de cendres, effroi et sidération restent intacts, billes de lave qui dévalent en éternel retour son esprit d’escalier.
Éprouver l’impuissance autant que la faiblesse lyophilise les veines et rabougrit l’ego, le sang se met à sécher, chaque organe se transforme en un caillou grenu. Clotilde craint de rester le crâne rempli de magma séché, au contact du passé désormais pétrifiée : aucun phénix ne peut naître de la roche plutonique. La colère et le dégoût en caillot lui bouchent les artères, la culpabilité, elle, mange ses globules blancs, son corps est sans défense et se rêve dans un caveau.
Hermeline et Bérangère sont revenues sur leurs pas, à l’angle de la rue elles scrutent l’avancée de Clotilde, étonnées et un peu inquiètes, bien qu’habituées à ce qu’elle zinzine. Elles la voient le regard bas, la tête dans les épaules, tassée à s’en rendre bossue, les rejoindre en courant presque. Hermeline sent que Clotilde a envie de pleurer alors qu’elle achève le trajet. Clotilde nie, dit qu’elle va bien. Mais de larges fissures creusent le vernis et le plâtre, comme se défait un puzzle, son masque se désagrège.
Une fois passée la porte, elles déposent leurs bagages en bas de l’escalier en chêne, à la cage tapissée de rayures et ce fleurs, Bérangère retrouve Judith qui fait le tour de la cuisine, Adélaïde dans le salon inspecte la grande bibliothèque, Hermeline propose à Clotilde de monter choisir leur chambre. Pendant qu’elles grimpent les marches, Hermeline fait l’article : il y a deux étages, chacune aura sa chambre, il y a trois salles de bains, un très joli jardin et une terrasse couverte. Le petit centre-ville est aussi proche que les berges, le salon à une cheminée, elles ont pris de quoi s amuser, ces trois jours vont être une merveille. Clotilde feint l’enthousiasme et se cogne contre la rampe.
Arrivées au premier étage, Hermeline à voix basse demande à Clotilde ce qui ne va pas. Clotilde esquive, évoque des problèmes de travail, l’écriture de son livre qui résiste, d’être bloquée ça la parasite, leur pause sororale est bienvenue. Hermeline, en ouvrant les portes, fait semblant de la croire. Les chambres ont toutes un charme désuet et une odeur de moisi, légère. Celles du deuxième sont sous les toits. Clotilde s’arrête dans la dernière et s’allonge sur le lit Hermeline lui propose de monter ses affaires, qu’elle se repose un peu. Elle est soucieuse en regagnant le rez-de-chaussée.
Clotilde se redresse, balaie la pièce du regard. La toile de Jouy bleu roi a quelques auréoles ; le velours du fauteuil Voltaire est un peu élimé ; sur la commode au plateau de marbre rose, une boîte en porcelaine de Sèvres, un vase en cristal vide, un cendrier en vieil étain, une belette empaillée ; au-dessus du petit bureau en merisier, une forêt de sapins, pâlotte, à l’aquarelle ; dans l’angle, près de l fenêtre, une grande psyché, ovale, en acajou. Clotilde se lève et s’en approche, elle tremble, appréhendant ce qu’elle va y voir, à présent que le plâtre de son masque s’est effrité, qu’il n’en reste plus rien, que désormais, derrière, elle ne peut plus se cacher.
Clotilde fixe son reflet: son corps se tient debout, au-dessus de son cou, une fois tombé le masque, elle n’a plus de visage. Cela fait très longtemps. Elle avait jusqu’ici réussi À le camoufler, au point de l’oublier à force de se farder en mélangeant Île plâtre et la poudre de riz. Maintenant qu’elle est à nu, elle l’admet : plus de visage. Comment c’est arrivé ? Elle aimerait que ses souvenirs sont inventés de toutes pièces, comme ça elle n’aurait pas à rendre la monnaie. Comment c’est arrivé : dans la maison de Monsieur, un soir sur elle la honte s’est jetée, lui a planté ses ongles dans le renflement des cernes, entre les yeux et les pommettes, puis lui a, d’un coup sec, arraché h figure Quand la honte changera de camp, elle la lui rendra peut-être.
Trois coups à la porte, Hermeline est de retour avec la valise de Clotilde. Elle l’informe que les autres sont allées faire les courses, s’assoit dans le fauteuil Voltaire pendant que Clotilde range ses affaires au creux des tiroirs de la commode. Elle évite de croiser le regard d’Hermeline, sans visage c’est très dur de mentir par omission. Elle se dit que ces trois jours si près de chez Monsieur ne vont pas être gérables sans tout avouer aux filles. Mais Clotilde n’est pas prête. Raconter cette histoire, c’est dire qui elle était, ce en quoi elle croyait et où ça l’a menée.
Elle connaît ses amies, valeurs et opinions. Elle sait que, quoi qu’elles puissent sincèrement lui promettre, ses choix, ses gestes, ses actes, Judith, Adélaïde, Bérangère, Hermeline, chacune va les juger. Elle a peur de les perdre en abimant leur lien, tant ce qu’elle a accepté va toutes les décevoir. »
Extraits
« Le monde perdu de Bérangère, Adélaïde, Judith et Clotilde, la France de la génération X, était peuplé, selon Hermeline, de gens qui pour se sentir heureux ont préféré se crever les yeux. Y a pas d’erreur. À feindre l’égalité, toutes les minorités étaient ensilencées, le placard fermé à clef, à en rendre la notion de coming out inconcevable. Les pigments de sa peau autant que sa coupe afro lui imposaient une double peine avant que n’émerge le concept d’intersectionnalité. Comme le disait Gisèle Halimi « Toutes les luttes n’en font qu’une », ces luttes doivent s’imbriquer. Même si c’est difficile dans un pays raciste, colonialiste, patriarcal, où la culture du viol soutient la drague à la française. Hermeline est une militante, elle tient à rendre lucides ses interlocuteurices, problèmes politiques, sociaux, culturels, elle cherche à conscientiser qui elle croise, à commencer par ses amies. » p. 28
« C’est pour éviter le vide qu’elle a suivi Monsieur. La première fois qu’elle l’a rencontré, c’était au diner de clôture d’un grand salon du livre qui donnait sur le Rhône. Clotilde venait de publier son deuxième roman, Monsieur son énième ouvrage, il était historien, spécialisé dans la déconstruction du roman national et des héros de l’histoire de France. Ils s’étaient retrouvés côte à côte, lui grand, blond frisé, raide, pantalon en velours côtelé vert, pull col roulé et veste en tweed ; elle alors mince, coupe au carré et décolleté plongeant, bottines vernies, jupon en tulle, le tout noir, évidemment.
Il était fermé et distant, se dégageait de lui une énergie glaçante qui refroidissait l’ambiance sans qu’il ouvre la bouche, Son regard planait, scrutait, brillant de surplomb, observant sans retenue, comme s’il était convenu qu’il sorte de sa poche un scalpel pour disséquer tranquille le chat toutes les personnes présentes dans son champ de vision. Sur son visage se lisaient ses commentaires, au gré de ses pincements de lèvres et de l’écarquillement de ses yeux, son jugement silencieux à la vue de toutes et tous. » p. 45
« C’était le tout début du XXIe siècle, les tours jumelles venaient de tomber, la télé-réalité d’apparaître, le café du commerce migrait du comptoir des bars-tabacs vers les forums Internet, Nelly Arcan publiait Putain et Christine Angot Normalement, les jeans se portaient taille basse tandis que les lèvres se tartinaient de gloss, Montmartre devenait l’otage des fans d’Amélie Poulain, Marie Trintignant était vivante, la radio diffusait Le vent nous portera de Noir Désir.
C’était il y a longtemps, quand Saint-Germain-des-Prés avait encore un pape et que le Haut Château, ses salons et ses douves, le village, les maisons d’édition, constituaient un monde à part, au folklore balzacien et aux multiples chapelles. Avant, oui, bien avant que quelques milliardaires ne bétonnent le paysage et que le brouillard brun ne s’empare de ses vieilles pierres. Avant que la victoire culturelle ne devienne, pour l’extrême droite, le pompon qui se décroche ; sur le manège, la queue du Mickey. » p. 48
« Clotilde ne comprit pas qu’il la poussait à se dépouiller du passé, elle était trop occupée à avoir de la peine ; peine qu’il lui fallait masquer, elle devait être raisonnable, adulte, Monsieur affirmait qu’il n’y avait pas la place pour tout caser. Il n’avait pas de platine et aimait le silence ; n’arrivait pas à lire en Pléiade ; ne se faisait pas à l’idée qu’elle conserve ses vieilles poupées alors qu’elle était femme, voire désormais sa femme, C’est pathétique, les femmes-enfants. Clotilde vivait cette brutale dépossession comme un rite de passage, espérant que le sacrifice de ses maigres biens chargés de souvenirs la mènerait à une nouvelle forme d’elle-même, plus forte, stable, solide et structurée. Elle se fiait à Monsieur qui lui voulait du bien, se convainquant que ce processus aboutirait à quelque chose de joli, quelque chose de beau, quelque chose d’utile pour l’ego. » p. 92
« Monsieur est comme tant d’hommes, avouez, ça fout le vertige Si nombreux, oui, légion. Qu’importe la chair à vif, leur plaisir est souverain. Et ainsi leur désir, la puissance de leurs pulsions, le rapt de nos muqueuses, ils appellent ça l’amour. » p. 168
À propos de l’autrice
Chloé Delaume © Photo Bénédicte Roscot
Chloé Delaume est née en 1973. Sa vie n’a rien d’un fleuve tranquille, c’est le moins qu’on puisse dire. Elle écrit sous de multiples formes et supports depuis plus de deux décennies, habitée par un talent rare, et par un sens impressionnant de la langue, de son rythme, de sa beauté. Du Cri du sablier à ce nouveau roman, son chef-d’œuvre à ce jour, elle incarne une voix puissante dans la littérature et dans le féminisme d’aujourd’hui. (Source : Éditions du Seuil)
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