Tess d’Urberville • Thomas Hardy

Par Bénédicte

Éditions France Loisirs, 1980 (454 pages)

Ma note : 16/20

Quatrième de couverture …

Dans l’Angleterre de la fin du XIXe siècle, une jeune et courageuse paysanne, Tess, a été séduite. Fille-mère, abandonnée, elle devient une victime désignée pour la société, même lorsqu’elle veut racheter son déshonneur par le meurtre de son séducteur. Un chef-d’œuvre de la littérature anglaise par un disciple de Dickens.

La première phrase

« Un soir de la fin de mai, un homme d’un certain âge s’en retournait à pied de Shaston au village de Marlott, dans le val voisin de Blackmoor. »

Mon avis …

Dix ans après avoir apprécié Une femme d’imagination ainsi que Loin de la foule déchaînée, il était temps pour moi de renouer avec la plume de Thomas Hardy. Sans grande surprise, Tess d’Urberville (1891) fut, de nouveau, une bonne pioche. J’aime la puissance qui se dégage des écrits de ce romancier anglais. Ses héroïnes (Tess ici, ou encore Bathsheba avec Loin de la foule déchaînée) sont des héroïnes fortes qui luttent contre le sort qui leur est destiné. Rien ou presque ne leur est épargné. On s’attache forcément à elles. On comprend qu’elles se refusent à accepter la condition féminine de leur époque (à savoir faire un beau mariage, puis se taire et se soumettre à l’autorité d’un époux). Tess se montre, je trouve, encore plus émouvante que Bathsheba. Peut-être car elle constitue le personnage principal de ce roman, et que l’on a vraisemblablement accès à tout ce qui peut la traverser.

Fin du XIXe siècle. Tess Durbeyfield, d’origine paysanne, se voit envoyer chez une parente (Mme d’Urberville) afin d’y élever de la volaille dès lors que son père, John Durbeyfield, un charretier peu courageux et porté sur la boisson, se découvre une lointaine descendance avec toute une lignée d’illustres chevaliers. En tant qu’aînée de la fratrie, Tess est donc sacrifiée. John et son épouse, Joan, se piquent de grandeur et imaginent des plans pour leur fille. Le devoir de Tess, selon eux, serait de faire en sorte de se faire épouser par son cousin : Alec d’Urberville. Ainsi, leur devenir financier se montrerait sous un jour plus radieux.

Grand séducteur, Alec d’Urberville est un homme aux mœurs plutôt violentes. Il ne supporte pas que Tess lui résiste, alors même qu’il se trouve subjugué par son charme et sa naïveté. De son côté, notre héroïne méprise ce cousin qu’elle trouve peu respectable. Tout en se sentant isolée et envoyée en pâture. La descente aux enfers commence alors. Quelques mois plus tard, la voici qui retourne au domicile familial, honteuse, enceinte, et sans bague au doigt.

Tess en est persuadée : il ne tient qu’à elle d’expier sa faute. Elle se voit convaincue d’attirer sur elle le malheur, comme réponse à une faute commise sur elle par un autre. Pourtant, malgré ce qu’elle traverse, Tess ne se laisse pas aller et se retrousse les manches. Courageuse et travailleuse, elle cherche une place dans les fermes et les laiteries des alentours. Alors qu’elle se sent enfin prête à construire une vie nouvelle, elle rencontre Angel Care, fils de pasteur qui cherche à apprendre le métier de fermier.

Thomas Hardy nous livre ici un récit empreint de réalisme. Les personnages esquissés sont profonds. Leur psychologie est fouillée, détaillée. Le monde paysan, le fermage et le vicariat sont représentés. Mais surtout, l’auteur réussit à dépeindre avec authenticité la vie quotidienne des « gens de la terre », la pénibilité des travaux aux champs, le peu d’efficacité des machines à pallier la souffrance du corps. On est auprès de Tess, et l’on ressent sa fatigue, son désespoir tout en louant son courage.

Tess d’Urberville est aussi un roman qui célèbre la nature. Thomas Hardy déroule son récit au rythme des saisons. Les feuilles des arbres se parent toujours de nouvelles couleurs. On frissonne avec Tess lorsqu’elle sort nu-pieds sur le petit pont, en plein hiver. On découvre les « fêtes de mai » ou encore la Bonne Dame, période au cours de laquelle il était possible de chercher une autre place, de s’établir ailleurs. La beauté de la campagne anglaise est particulièrement mise en avant. Il vous suffit d’imaginer une lande rêche, battue par les vents, puis des prés, des champs de navets situés entre deux collines. Dans ce roman, on marche, on marche sans cesse. Souvent pour rejoindre un village des environs. Cette escapade se déroule tantôt sous un soleil radieux, tantôt sous une pluie battante.

Puis, il y a bien sûr cette question de la condition féminine de l’époque. Concernant Tess, ce sont les hommes qui sont responsables de son malheur : l’alcoolisme et la folie des grandeurs de son père ; le désir charnel toujours inassouvi d’Alec d’Urberville qui ne fait que la poursuivre ; l’intransigeance d’Angel Care (même si celui-ci lutte, par amour pour Tess, contre le carcan des normes sociales). En pleine époque victorienne, Thomas Hardy exprime ouvertement que si les hommes semblent avoir tous les droits, les femmes n’en ont aucun.

Le final est quant à lui incroyable, totalement surprenant (à mes yeux) pour un roman rédigé au XIXe siècle. J’en ai été bouleversée. J’aurais souhaité autre chose, d’où mon absence de coup de cœur. Tess d’Urberville est un roman bien plus sombre, plus cruel, que les autres écrits de Thomas Hardy que j’ai pu lire. Mais cela en fait sans doute un récit d’autant plus marquant. J’aurais tant à dire encore sur ce roman, mais le mieux pour vous serait de le lire ou de le relire pour en saisir toute la complexité et vous émouvoir du sort de Tess.

Extraits …

« La seule lumière qui existât encore venait d’une grande trouée dans le banc de nuages au couchant ; c’était comme un morceau de jour laissé là par hasard, car le crépuscule avait enveloppé tout le reste. »

« Je ne suis paysanne que par ma position, non par ma nature. »