L’été en poche (05) : Mon petit

L’été poche (05) petit

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En 2 mots :
Naëlle grandit chez sa grand-mère Porte de Montreuil et, quand son métier d’infirmière lui en laisse le loisir, chez sa mère à Belleville. Elle s’accommode de cette vie difficile, car l’amour est au rendez-vous. Un amour qu’elle reçoit et qu’elle donne quand elle rencontre Gustave. À 17 ans, elle va se retrouver enceinte de jumeaux et sa vie va basculer dans le drame.
Ma note :
★★★★ (j’ai adoré)

Si vous voulez en savoir plus…
Ma chronique complète publiée lors de la parution du roman en grand format : Mon petit

Les premières lignes
« J’ai compris ça hier après-midi, en descendant la rue des Fêtes jusqu’à la piscine Alfred-Nakache de la rue Dénoyez. Une piscine rue Dénoyez, dans le quartier, on ose. Cela m’apparaît désormais comme une évidence, c’était ici qu’il fallait que je vienne écrire. Ici que je devais venir me planquer. À Belleville.
Il y a une semaine que j’ai déserté les vingt-sept mètres carrés du logement HLM que je louais depuis quatre ans, à mi-chemin entre la Butte-aux-Cailles et le parc Montsouris. Le parc était ma pièce en rab, mon salon, ma salle à manger. J’y enchaînais les pique-niques à la belle saison, jusqu’à la fin de l’automne si possible, pour ne pas étouffer là-haut, au sixième et dernier étage, avec Sam, mon fils de vingt-six ans. Deux dans un réduit… La promiscuité et l’étroitesse des lieux m’étaient devenues insupportables et je me suis « expulsée » de chez moi – ce n’était pas la première fois. Je n’aurais pas pu écrire là-bas. Trop inconfortable. Il n’y avait ni chaise, ni table, ni bureau, ni fauteuil. Pas de place pour caser tout ça.
Sam était revenu comme un boomerang alors que j’avais pris ce studio après son départ et celui de son frère. Je ne parviens toujours pas à savoir ce qui a motivé son retour – peut-être la difficulté pour lui d’être seul –, et s’il a conscience de la situation dans laquelle il m’a mise. Peut-être même qu’il s’en fout. Une amie d’amie m’a proposé une chambre dans son atelier d’artiste mais il m’a fallu plusieurs semaines avant d’accepter. La culpabilité, sans doute. Et le besoin de cette solitude que je chéris. Il s’agit d’un atelier-logement comme on en trouve quelques-uns à Paris, dans lequel on entre directement dans une vaste pièce à vivre extrêmement haute de plafond, avec des verrières, et sur la droite un coin de travail constitué d’une table à dessin toujours couverte de croquis et de brouillons, sur laquelle est fixé un sous-main de découpe vert assorti aux rideaux, le tout entouré d’une demi-douzaine de chaises volontairement mal assorties. Des artistes viennent parfois y travailler. Cette atmosphère me grise. Dans le prolongement, dans un petit espace mansardé, une chambre avec un petit bureau a été aménagée. C’est là que j’écris. J’écris pour emballer mes tourments dans un corps de papier et mettre des mots sur une histoire qui en a manqué. Au même titre que d’autres fluides corporels, l’écriture, chez moi, est une sécrétion. Et puis je n’ai plus que ça à faire.
J’ai démissionné de la fonction publique il y a peu, où j’ai exercé plusieurs années dans un foyer d’accueil d’urgence pour enfants avant d’atterrir dans une structure qui accueille des mères adolescentes, des ados et des postados en danger ou en difficulté. J’ai fini par tout plaquer. Dans certaines institutions, et particulièrement dans ce secteur, il se passe des choses que je ne veux plus voir ni savoir.
J’ai réussi à obtenir ce que je souhaitais de mon employeur, c’est-à-dire pas grand-chose, néanmoins suffisamment de ronds pour avoir le temps de me poser, de partir prendre l’air et le soleil quelques mois en attendant les indemnités de Pôle emploi. Quitter mon travail était une décision périlleuse ; j’ai quarante-cinq ans, je suis diminuée physiquement et je souffre d’une affection chronique, mais, surtout, je ressens un besoin immense de me laisser aller à ne rien foutre. Profiter de l’instant, c’est ce que je préfère dans la vie.
* * 
Mes pas m’ont menée machinalement à Belleville, instinctivement je veux dire. J’ai traversé la rue des Pyrénées, fait un tour rue Piat, me suis arrêtée au numéro 40, devant l’immeuble de mon enfance. Là, j’ai levé la tête pour tenter d’apercevoir du mouvement au septième étage. Même si je n’ai plus le désir d’y vivre, même si j’ai oublié certains lieux et certains repères, même si le quartier a changé et subi une gentrification de plus en plus marquée, Belleville, ça reste chez moi. Belleville, c’est à moi. Je pourrais me coucher là, par terre, et ne plus en bouger. Je ne sais si c’est la proximité avec l’enfance qui me procure cette sensation, mais dans ce quartier, j’ignore toute notion de temporalité. Je pourrais très bien voir Grand-Maman passer sur le trottoir, même un de mes oncles, Le Blond, ou peut-être son frère, Le Brun.
Ma grand-mère parlait de Paris comme on évoque un parent suffisamment bon. Je crois même qu’elle adorait Paris, même si elle a eu plus de mal à l’époque où Chirac était à la mairie, et qu’en s’affairant en cuisine au retour des courses chez René le boucher, elle râlait : « Ils finiront par nous foutre dehors, ils finiront par tous nous foutre dehors ! »
Grand-Maman avait grandi en Bretagne, puis rue de l’École-Polytechnique, dans le 5e arrondissement à Paris, dans une chambre louée au mois par ses parents. Son père était ouvrier, sa mère vendeuse sur les marchés. Plus tard, ils ont vécu avenue Parmentier, dans le 11e arrondissement. Ils louaient un deux pièces, deux chambres de bonne mitoyennes. Ils sont longtemps restés là, avant de déménager à la fin des années 1970 au 40, rue Piat.
À chaque fois qu’elle disait ça : « Ils finiront par tous nous foutre dehors ! », j’avais peur. Je me demandais qui étaient ces Ils dont elle parlait. J’ignorais que ces Ils étaient là, tout proches, qu’ils arrivaient, qu’ils finiraient par nous pousser de là pour qu’ils s’y mettent avec leurs Biocoop, leurs Naturalia, leurs cafés hors de prix, leurs coffee shops en vogue où ils adorent se retrouver pour avaler un pancake et échanger deux, trois mots hystériques sur le nouveau juice bar et ses cheese-cakes à la courgette, qui vient d’ouvrir.
Ils, les Gentrificators.
Ce dont je suis certaine, c’est que ces Ils, même peu nombreux, peuvent prendre beaucoup de place. À l’époque, j’étais à mille lieues d’imaginer qu’après nous avoir foutus dehors ils finiraient par gentrifier nos dégaines et nous voler nos Stan Smith, nos chaussures préférées, jusqu’à ce qu’elles deviennent hors de prix. Car de Belleville à Cergy-Pontoise, les Stan, c’étaient les chaussures des enfants et des grands frères, c’étaient aussi celles des dealers. Cela dit, les grands frères et les dealers étaient bien souvent les mêmes.
Mais il ne suffit pas de porter des sneakers, une chemise au style ethnique ou des jeans effilochés pour éluder le caractère colonisateur du mode de vie que l’on choisit. Il faut tout de même le dire, il faut tout de même le leur dire : ils réhabilitent, ils rénovent, ils aseptisent, ils écrasent, on nécrose.
Fin du game.
À certains égards, ils nous ont même volé notre vocabulaire. Ils kiffent grave ou ils sont vénères, depuis peu ils ont le seum, ils parlent de leurs daronnes, ils sont fons-dé entre deux mots de franglais. Ils disent qu’il déchire vraiment ce petit vin naturel dégoté chez le caviste. Ils disent qu’à l’italien de la rue Oberkampf, c’est une tuerie cette burrata, alors que la burrata est un fromage et qu’une tuerie est un drame. On le sait tous à présent, surtout dans le 11e arrondissement. Ils disent « yoga » entre deux gorgées de thé matcha ou de thé rooibos, ils disent « cool », ils disent beaucoup « c’est juste » alors que c’est tout sauf juste. C’est juste dingue comme c’est injuste même. Ils disent aussi, toujours avec un quasi-dédain, voire un sourire en coin : « Je n’ai pas la télé chez moi », alors qu’ils regardent tous la télé sur leur iPad. Mais c’est stylé de ne pas avoir la télé, et surtout de le faire savoir. Ils disent Timeline, ils se prennent pour le Che lorsqu’ils signent une pétition sur Change.org. Quand ils font un don à la Fondation Abbé Pierre et qu’ils foutent leurs vieilles fringues à la benne du Relais ou à celle de la Ressourcerie, ils disent « bienveillance ». Ils disent de plus en plus « méditation en pleine conscience », ou plutôt « mindfulness meditation », ils disent très souvent burn-out et déplorent le montant de leurs impôts quand moi j’ai rêvé d’en payer. Ils aiment tellement se plaindre de ne pas avoir de blé, ils n’assument pas leur confort. C’est dommage. Ils ont tous un grand-père paysan et un aïeul résistant, et de la même façon, dans cinquante ans, leurs petits-enfants auront tous une grand-mère qui, durant l’autre guerre, celle de la Covid-19, aura été aide-soignante.
Ils me font flipper.
Vraiment.
On devrait pouvoir les swiper left. »

L’avis de… Claire Julliard (L’Obs)
« Nadège Erika écrit depuis l’abîme. Son roman, traversé par la mort, le silence et la mémoire, trouve une langue juste, nue, pour dire l’inconsolable sans pathos. Un texte bouleversant. »

Vidéo


Nadège Erika est l’invitée de Mathilde Serrell sur France Inter. © Production Radio France

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