Le serpent majuscule • Pierre Lemaitre

Par Bénédicte

Éditions Le livre de poche, 2022 (304 pages)

Ma note : 14/20

Quatrième de couverture …

« Avec Mathilde, jamais une balle plus haute que l’autre, du travail propre et sans bavures. Ce soir est une exception. Une fantaisie. Elle aurait pu agir de plus loin, faire moins de dégâts, et ne tirer qu’une seule balle, bien sûr. »

Dans ce réjouissant jeu de massacre où l’on tue tous les affreux, l’auteur use avec brio de sa plume caustique. Œuvre de jeunesse, il fait cadeau à ses lecteurs d’un roman noir et subversif qui marque ses adieux au genre. Dialogues cinglants, portraits saisissants, scénario impitoyable : du pur Pierre Lemaitre.

La première phrase

« Mathilde tape de l’index sur le volant. »

Mon avis …

Publié dans les années 80, Le serpent majuscule est un polar pour le moins original puisqu’il met en scène une héroïne atypique, Mathilde, la soixantaine, qui n’est autre… qu’une tueuse à gages ! Ancienne résistante, elle a rapidement fait ses preuves dans les missions qui lui ont été confiées. Rapide, efficace, d’un sang-froid à toute épreuve, elle a su se faire un nom dans le milieu. Seulement, depuis quelques temps, les maladresses s’accumulent. Sa mémoire commence à lui faire défaut. Or Mathilde ne souhaite pas décevoir son chef, le commandant Henri, qu’elle aime en secret.

Après avoir lu la trilogie des Enfants du désastre, c’est avec beaucoup de curiosité que je me suis plongée dans ce récit qui n’est autre que le tout premier écrit rédigé par Pierre Lemaitre. Ce fut une lecture sympathique, même si elle n’a ni la puissance ni la profondeur d’Au revoir là-haut (et de ses suites).

L’intérêt de ce roman noir doit beaucoup à la personnalité de son héroïne. Mathilde est une femme forte, terrifiante tant elle se montre détachée de ses émotions. Une nouvelle personne à abattre ? Il suffit de s’y prendre proprement, et de se débarrasser de l’arme au détour d’un pont. Un corps à cacher ? Il n’y a qu’à le découper en morceaux. Et si la police arrive, roulez-le dans un tapis avant d’ouvrir la porte et de proposer du café. L’air de rien. Ludo, en adorable dalmatien (il ne lui manque que la parole !), ne peut qu’assister, impuissant, aux faits et gestes mais également aux sautes d’humeur de sa maîtresse. Et lorsque Mr Lepoitevin, le voisin, agace la vieille dame, seule la chance pourrait le sauver d’un destin funeste.

Le talent de Pierre Lemaitre est ici de tourner l’horreur absolue en tragicomique. Car sous ses airs de vieille dame un peu toquée mais respectable (du moins, c’est que tout le monde croit en la rencontrant), Mathilde s’en sort toujours. La police pédale dans la semoule, se lance dans des fausses pistes improbables et en devient ridicule. Face aux erreurs (de plus en plus récurrentes) de Mathilde, sa hiérarchie lance l’offensive : il faut absolument éliminer cette tueuse professionnelle avant que les forces de l’ordre remontent à la source. Les massacres s’enchaînent alors. Jusqu’au grotesque. Mathilde, elle, garde son sang-froid, partageant par là même quelques pensées bien cyniques avec le lecteur.

La plume de Pierre Lemaitre se fait vive, sans détour. J’ai lu ce roman à vitesse grand V. L’ensemble est loufoque, déjanté, et cela change de ce que l’on peut lire d’habitude. On ne peut que savourer l’humour macabre de ce récit, tout en espérant malgré tout que quelqu’un parviendra bien à stopper Mathilde dans sa folie. Si l’ensemble manque un peu de finesse, de profondeur, j’ai trouvé ce roman distrayant, et surprenant, ce qui n’est déjà pas si mal.

Extraits …

« Elle recharge son arme, elle ne veut pas arriver chez Henri les mains vides, ça ne se fait pas. »

« Mathilde regarde s’avancer le voisin portant son panier en osier, quelle plaie.
– Je ne vous dérange pas, au moins ?
– Je me reposais. Quelle belle soirée, n’est-ce pas ?
– Oui. Et pas de vent. Ce sont des salades, dit-il en posant le panier sur le sol de la terrasse.
Bah oui, je vois bien que ce ne sont pas des betteraves, quel con…
– Comme c’est gentil, dit-elle en souriant. »