En deux mots
Envoyé aux États-Unis pour aider à ériger la statue de la liberté, Philibert Boucher va briser le cou d’une jeune indienne avant de regagner la France où un nouveau chantier l’attend, celui de la Tour Eiffel. Ce qu’il ignore, c’est que Tëme, l’oncle de la jeune fille est sur ses traces, missionné pour venger sa nièce.
Ma note
★★★★ (j’ai adoré)
Si vous voulez en savoir plus…
Ma chronique complète publiée lors de la parution du roman en grand format : Filles du ciel
Les premières lignes
« Paris
Janvier 1885
Sur l’échafaudage, au-dessus des toits de la Plaine-Monceau, Philibert Boucher dévisse la plaque de cuivre. Façonnée au maillet sur une forme de bois, c’est une joue et une aile du nez de la statue. Le geste est précis, rapide ; l’outil semble un jouet dans sa main de géant. Il fourre les vis dans sa poche. Ne les gardez pas, a dit un contremaître. En Amérique, elles seront remplacées par des rivets. Il retourne la pièce de métal rouge orangé, deux millimètres et demi d’épaisseur, observe les traces des milliers de coups qui, en lui faisant épouser à chaud les contours du modèle, ont créé ce fragment du visage au profil de déesse grecque. Sacrément forts, ces gars-là, pense-t-il. Pas étonnant qu’ils soient les mieux payés de l’atelier. Il le suspend à deux crochets, noue la corde à une potence, le bascule dans le vide ; pieds calés, dos rond, il contrôle la descente. Les autres s’y mettent à deux pour cette opération mais Boucher, avec ses bras épais comme des branches de cèdre, n’a besoin de personne. Et personne ne veut faire équipe avec lui. Dans la cour pavée des établissements Gaget, Gauthier et Cie, au 25 de la rue Chazelles, deux ouvriers attrapent la pièce avant qu’elle ne touche le sol, la guident vers un chariot à bras et l’apportent à un contremaître qui désigne une caisse et note sa référence dans un cahier à couverture de cuir. La joue de cuivre est marquée, une lettre et deux chiffres au verso reportés sur un plan, puis calée dans de la paille, pour éviter qu’elle ne s’abîme dans la soute du bateau qui bientôt traversera l’Atlantique. Dans l’idée de ses concepteurs, cette œuvre monumentale, la plus grande statue du monde, devait être offerte « par le peuple français au peuple américain » pour célébrer le centenaire de la glorieuse Indépendance américaine, en 1876. Elle n’a que dix ans de retard, alors maintenant on n’est plus vraiment pressés, plaisante un ingénieur de l’entreprise Eiffel. C’est lui qui a conçu l’armature de fer, en forme de pile de pont, de La Liberté éclairant le monde, du fameux sculpteur Auguste Bartholdi. Elle résistera aux vents et aux tempêtes, dans la rade de New York, je vous le garantis. Depuis l’été, sa torche, son diadème et son profil altier surplombent les maisons et les immeubles du quartier de la Plaine-Monceau, à l’ouest de la capitale. Par beau temps, le soleil couchant embrase sa peau de cuivre et baigne le quartier, jusqu’au parc, d’une lueur dorée que chantent les poètes. Les enfants la montrent du doigt, les curieux viennent de loin admirer le prodige qui semble veiller sur la ville, dessins et gravures font la une d’une presse admirative. Au soir de sa vie, le grand Victor Hugo est venu en personne à l’atelier saluer cette « belle œuvre, gage de paix permanent ». Le 4 juillet, jour de la fête nationale des États-Unis, celle que le Nouveau Monde baptisera bientôt Miss Liberty a été symboliquement remise par Ferdinand de Lesseps, président du comité de l’Union franco-américaine qui a financé l’opération, au représentant de Washington, l’ambassadeur Levi Morton. Fanfare des Batignolles, hymnes nationaux, flonflons tricolores, discours emphatiques, applaudissements, « amitié séculaire entre nos deux pays », curieux massés jusque sur les toits, froufrous des élégantes, « Huitième merveille du monde », fierté des ouvriers, satisfaction des officiels en hauts-de-forme, sourire béat de l’artiste devant l’œuvre de sa vie, résultat de quinze ans de travail et d’obstination. Premier monument en kit de l’histoire, la prodigieuse allégorie va maintenant être démontée. Ses trois-cent-cinquante pièces de cuivre vont être mises en caisses puis embarquées à Rouen sur une frégate de la Marine. Dans la baie de New York le minuscule îlot de Bedloe, face à Manhattan, a été repéré par Bartholdi lors de son premier voyage, quinze ans plus tôt. Par chance, il abrite une base militaire sans grande utilité que le gouvernement fédéral a accepté de céder. Ce sera sa seule contribution. Des deux côtés de l’Atlantique, gouvernants, diplomates, milieux d’affaires et religieux se méfient du grandiose projet. Plutôt que l’hommage universel à la liberté que chantent ses concepteurs, ils soupçonnent une entreprise subversive, un appel à l’insurrection, une incitation à la révolution, à la violence, à la mise en cause de l’ordre social ; un encouragement aux classes populaires à se soulever contre leur condition. Dans cette main levée tenant un flambeau, ils voient surtout un poing dressé. L’influente Église catholique, sans le dire, n’apprécie guère cette œuvre immense aux allures de déesse païenne. Impossible de la condamner ouvertement ou de l’interdire, mais pas question de la soutenir, encore moins la financer. La monumentale utopie est donc depuis son origine portée par des idéalistes, des rêveurs, des amoureux des Lumières, de la République, de l’Amérique et de la Démocratie. Et s’ils sont tous, ou presque, francs-maçons, ce n’est pas un hasard : quelle meilleure illustration des idéaux défendus par les descendants des bâtisseurs de cathédrales que le faisceau d’une torche géante trouant les ténèbres de l’ignorance et des superstitions ? La Liberté face à l’obscurantisme, le visage d’une femme laïque défiant les conventions ; une héroïne du peuple faisant trembler les puissants. Ils ont mis, en France et aux États-Unis, leurs influents réseaux au service de la Grande Dame de cuivre, multipliant collectes et levées de fonds, banquets et réunions payantes, le temps de boucler son budget, au bout de cinq ans. Chaque étape de sa construction, de la première esquisse jusqu’à son inauguration, sera accompagnée, louée et célébrée par les « Frères ». Leurs symboles, l’équerre et le compas, l’œil qui voit tout et les rayons de lumière, sont omniprésents. Au soir du 4 juillet, après les discours et le banquet offert par le comité de l’Union franco-américaine, Auguste Bartholdi retourne rue Chazelles. La fête est terminée, les invités partis, drapeaux et décorations flottent au doux vent de la nuit. Il frappe trois coups au portail de l’atelier, salue le concierge tiré de son sommeil. Il veut la voir une dernière fois, lui dire au revoir avant son grand voyage. La torche va être démontée demain, lui dit-il. Elle renaîtra en Amérique. Dans la pâle clarté d’une lune presque pleine, il s’adosse à l’un des murs de briques et lève la tête. La voilà, dans toute sa splendeur ; immense, fière, plus belle que dans ses rêves et ses esquisses. Il se souvient, la première fois qu’il a osé l’imaginer : une statue géante, femme nourricière et bienveillante tenant à bout de bras le flambeau des Lumières. C’était il y a bien longtemps, en réponse à un appel d’offres lancé par l’Égypte pour l’édification d’un phare monumental à l’entrée du canal de Suez qui venait d’être percé. Le projet n’a jamais vu le jour, à cause de sombres intrigues diplomatico-financières. Mais quand son ami Édouard de Laboulaye, fin lettré, éminent professeur de droit public au Collège de France, admirateur de la démocratie américaine, lui a parlé de son idée de statue que la France pourrait offrir aux États-Unis pour célébrer le centenaire de leur glorieuse révolution, il a ressorti ses dessins préparatoires. Il avait même, dans un coin de son atelier de la rue Vavin, une ébauche en glaise de celle qu’il avait baptisée L’Égypte apportant la lumière à l’Asie. Il l’a redessinée pour qu’elle ressemble davantage à une déesse grecque qu’à une paysanne du Nil, et la voilà, elle existe. La financer n’a pas été facile, mais ils y sont parvenus. Elle est passée par le plâtre, puis le bronze, puis les gigantesques formes de bois que son armée de menuisiers et de charpentiers aux mains d’or ont conçues ont permis de façonner en cuivre les pièces de son chef-d’œuvre, enfin assemblées. Cette nuit, elle semble veiller sur le sommeil des Parisiens, et bientôt elle accueillera voyageurs et émigrants, à la Porte d’or, l’entrée du Nouveau Monde. Quel beau symbole ! Et quel malheur que ce cher Édouard soit mort voilà deux ans, alors qu’étaient martelées les premières tôles. Comme il serait heureux aujourd’hui ! Autant que lui-même. Davantage peut-être. »
L’avis de… Catherine Fattebert (RTS)
« Ce roman historique rend hommage aux bâtisseurs modernes, ceux qui ont osé laisser des monuments emblématiques à la postérité, ceux qui croyaient en l’avenir et en la liberté pour toutes et tous. A travers les deux dames de fer et de cuivre, Michel Moutot nous offre un voyage fascinant à travers le temps, les différentes cultures et les ambitions humaines. »
Vidéo
Bande-annonce du roman © Production Editions du Seuil
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