Ma note Ma chronique Nous sommes dans un pays maritime dirigé par un empereur tout-puissant, où la légende et l’Histoire s’entremêlent pour façonner une réalité troublante. Le récit suit les pas de Martabée, une professeure d’université interrompue dans son travail et sommée de suivre les gardes impériaux. Cette scène initiale, où Martabée est contrainte de suivre les soldats, illustre parfaitement la tension entre la douceur apparente et la menace sous-jacente qui imprègne tout le roman. « Je vous suis, messieurs », répond-elle, renonçant à son thé et à sa tranquillité. Le bref entretien qui suit va cependant la ravir. Elle est chargée de superviser un chantier de fouilles archéologiques et – c’est le vœu le plus cher du souverain – percer les mystères des Morgondes, ces guerriers-marins mythiques qui font l’objet de légendes et de contes pour enfants. Leurs exploits ont façonné le récit national et la découverte de leurs vestiges viendrait à point pour la gloire de l’Empire. Conque Ce qu’en dit l’éditeur Les critiques Les premières pages du livre L’enfant gazouille, tend les bras. La nourrice s’empresse à son chevet et lui applique deux baisers sur les tempes. Elle s’assied près de l’oreiller, pose sa main sur ce front lourd d’enfant heureux. Et elle chante, comme tous les soirs. La merveille Extraits « Martabée ne comprenait pas d’où lui venait l’impression fugace que quelque chose clochait dans ce dôme. Elle aurait voulu y voir, comme les autres, un vestige jouisseur qui ferait office de cabinet de curiosités, lors des visites du public: on imaginait déjà des classes d’adolescents se tenir le ventre en montrant les fresques du doigt. » p. 110 À propos de l’autrice Perrine Tripier est professeure de lettres. Elle a publié en 2023, à l’âge de vingt-quatre ans, Les guerres précieuses, unanimement salué par la critique. Conque est son second roman. (Source: Éditions Gallimard) Tags
★★★ (bien aimé)L’Empereur, l’archéologue et la vérité
Perrine Tripier confirme avec « Conque » son talent pour explorer les thèmes complexes de la mémoire et de l’Histoire. Après « Les Guerres précieuses », elle nous offre une fable politique et une réflexion sur la manipulation de la vérité historique et ses conséquences sur le présent.
Le chantier des fouilles, installé sur une île isolée aux confins de l’Empire, est au cœur du roman. C’est un lieu de transition, à la fois concret et spectral, où la science archéologique se heurte à l’imaginaire collectif, et où chaque pierre déplacée semble soulever plus de questions que de réponses. Perrine Tripier déploie ici un art subtil du détail, entre descriptions d’outils, relevés méthodiques et hypothèses formulées à voix basse, dans un silence imposé par l’immensité du lieu et la présence discrète mais pesante des envoyés impériaux. Martabée travaille entourée d’une petite équipe dont les intentions ne sont jamais tout à fait claires. Chacun semble animé par une fidélité ambigüe – à la science, à l’Empire, ou à une vérité plus intime.
Cependant, le doute commence à s’insinuer : que cherche-t-on vraiment à exhumer ici ? Des os, des armes, des fragments de céramique ? Ou plutôt une preuve, un signe, un symbole utile à la réécriture d’un passé glorieux ? Martabée a « l’impression fugace que quelque chose cloche ».
Tandis que les pressions politiques deviennent plus tangibles et l’exigence de résultats – donc de récits exploitables – remplace la rigueur scientifique. La fouille, au lieu de creuser le sol, semble creuser la vérité elle-même, jusqu’à ce qu’elle devienne friable, manipulable, modelable selon les désirs du pouvoir.
Les vestiges retrouvés sont ambigus. Un casque fendu, des motifs marins gravés dans la pierre, des ossements déplacés… Rien ne vient confirmer l’existence des Morgondes, mais tout peut être interprété comme un signe de leur passage. Le texte joue avec cette incertitude permanente, et fait de Martabée le témoin d’une falsification douce, presque poétique, où l’idéologie s’insinue sans bruit dans les strates du savoir. La fouille devient un théâtre, la volonté de l’empereur – « L’Histoire, ça se raconte ! Je vous apprendrai à narrer » – un impératif. Dès lors, comment résister à la puissance écrasante du régime ?
Ce déplacement insidieux de la vérité scientifique vers la manipulation politique est l’un des nerfs de ce roman riche et complexe, où chaque détail contribue à dévoiler les mécanismes de l’oppression. Perrine Tripier, avec une plume à la fois poétique et incisive, nous offre une réflexion profonde sur les dangers de la réécriture de l’Histoire et les pièges de la mémoire collective. Après Les Guerres précieuses, elle confirme son talent à mêler poésie, politique et philosophie.
Perrine Tripier
Éditions Gallimard
Roman
208 p., 19,50 €
EAN 9782073056863
Paru le 21/08/2024
« CONQUE : nom féminin, coquille en spirale servant d’instrument depuis des millénaires. Coquillage berceau et tombeau, où se niche, caché, le grain de sable. »
Quelque part dans un pays battu par le vent du large, Martabée, historienne de renom, est mandatée par l’Empereur sur un chantier archéologique qui vient de mettre au jour les vestiges des Morgondes, guerriers-marins millénaires, dont seuls les bardes avaient gardé la trace. Martabée est chargée de les étudier afin de redorer le roman national.
Pour entremêler sa gloire à celle du pays, Martabée excave des héros et des mythes, avec émerveillement. Mais quelque chose murmure sous le sable froid. Un appel sourd, dissonant, qu’elle devra choisir de suivre ou d’ignorer.
Lorsque la lucidité prendra le pas sur l’ivresse et sur la vanité, qui choisira de voir, et qui s’aveuglera encore ?
Fable politique et poétique, ce deuxième roman de Perrine Tripier allie le mystère à la contemplation. Dans cette Conque s’enroulent des énigmes, portées par un souffle épique.
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Perrine Tripier présente « Conque » © Production Librairie Mollat
« Prologue
Ça dort comme une gemme enfouie, dont l’eau sourde est pailletée d’ombre. Dans le brouillard vert de ses profondeurs, elle fait miroiter des rivages boréals. Tant que ça dort, ça ne peut pas faire de mal. Tant que ça dort, ça ne mord pas.
Cristallisé dans une émeraude, le vieux monde se tait.
Le vieux monde se tait mais, parfois, il chantonne à mi-mot. Il prend la voix des nourrices, il descend de bouche en bouche, par-delà les siècles.
Comme dans cette chambre mauve du centre-ville, sous un toit d’argile où glisse la nuit humide. L’enfant est bordé dans son lit. Il écoute la pluie serpenter contre les vitres, de toutes ses écailles frémissantes. Lumière orange et douce de veilleuse, ventre d’animal. Il est bien.
Il entend les pas dans l’escalier mou. L’adulte vient enfin. Sous la porte, l’enfant guette les rais de lumière du couloir qui s’allume. Le battant s’ouvre sans bruit, et le visage souriant, souriant de fée gracile apparaît soudain.
Morgos le Grand
Qui chevauchant
Brisa les monstres de la mer
Dragons dorés
À dos de vague
Ont léché la joue des guerriers
Dans ma maison
Près des étoiles
J’ai entendu Morgos chanter
Et les héros
Des temps passés
Ont galopé dans mon sommeil.
Le chant irradie jusqu’à la mer. L’enfant sent de grosses vagues argentées lui peser sur les yeux. Pourtant, il a la force d’élancer sa petite voix rauque, et demande si les monstres marins existent. La nourrice sourit et répond que non, ils n’existent pas. Petit homme peut dormir tranquille. Mais, si les monstres marins n’existent pas, Morgos le Grand n’existe pas non plus ? La nourrice répond qu’il a vécu il y a très longtemps, mais je te l’ai déjà dit, enfant léger, je te l’ai dit, c’était un grand roi morgonde. Et les Morgondes, ils existent ? La nourrice s’arrête de caresser le front. Ils existaient, petit homme. Ils existaient, et sont partis.
Les hommes de main de l’Empereur, bien que cuirassés de pied en cap, s’étaient montrés doux comme des chats.
« Si vous voulez bien nous suivre », avaient-ils dit, caressant à leur ceinture la crosse d’un petit pistolet.
Non, Martabée n’avait pas spécialement envie de les suivre ; elle se sentait bien, au chaud dans son petit bureau de l’Université, au milieu de ses livres, de ses carnets, de ses statuettes ; elle avait mis à bouillir de l’eau, et donnait un cours dans vingt minutes ; un soleil pâle tombait de la
fenêtre à croisillons et, par un carreau ouvert, on entendait la mer. « Si vous voulez bien nous suivre », donc, tombait mal. Un silence un peu embarrassant s’ensuivit, au cours duquel les deux gardes et Martabée se dévisagèrent sans
bouger. La bouilloire émit un sifflement feutré. Martabée la débrancha d’un coup sec, renonçant pour de bon à son thé. « Je vous suis, messieurs. »
Ce n’était pas la première fois que Martabée entrait dans le Palais. Comme tous les écoliers de la capitale, elle en avait jadis visité les parties ouvertes au public, et s’était extasiée devant l’architecture monumentale des salles pavées de pierres précieuses. Le guide qui menait leur classe avait décrit, à grand renfort de superlatifs, la bonté dynastique, la richesse du pays – toutes ces choses qui pouvaient se vérifier dans la délicatesse des bas-reliefs, assurément.
Le Palais était construit non seulement pour impressionner, mais pour anéantir. L’on gravissait un escalier ogresque qui s’élançait depuis la place jusqu’aux portes, ocre contre le ciel bleu, fouetté par l’air marin. On parvenait au sommet les poumons vides, les oreilles sifflantes, les joues pourpres. On se retrouvait le nez écrasé sur le portail grandiose, ourlé d’or et de gemmes, à attendre qu’on nous ouvre. On sentait dans son dos l’appel et le vertige, les toits ardoisés, le fracas des rues ; aussi ne
regardait-on pas derrière soi, de peur de dégringoler. Le perron était si étroit qu’on ne pouvait s’y rassembler ; si une révolution se déclarait, l’escalier était chargé de la juguler.
Martabée, heureusement flanquée des deux soldats, n’eut pas à patienter. Les portes s’ouvrirent sans un gémissement, accrochant aux pierreries des éblouissements de soleil qui lui firent fermer les yeux. Elle entra sans rien voir
dans la salle du trône calfeutrée d’ombre, dans un aveuglement complet.
La salle déroutait d’emblée. Sans vestibule, sans hall, sans corridor, sans antichambre, elle étendait, immense, ses arcades de porphyre noyées d’obscurité. Aucune fenêtre ne l’éclairait ; les marbres semblaient luire d’eux-mêmes, faiblement, comme dans une grotte. Le pavé noir
reflétait l’entrecroisement des piliers, miroir d’eau morte sous les pieds.
Une fois les portes closes, un silence profond glissa de colonne en colonne. Les deux gardes se coulèrent dans l’ombre, comme engloutis. Martabée avança de quelques pas. Elle fut saisie à la gorge par une odeur de transpiration, qui, acide et âpre, l’arrêta net. Elle regarda de tous côtés, le porphyre semblait poisseux, comme perlant de suées moites ; au détour d’un pilier, elle cligna des yeux.
Un trou de lumière émeraude filtrait sous la voûte, et, avachi sur un trône, torse nu sous une peau de bête, l’Empereur apparut. On discernait sous ses aisselles deux paquets humides de varech rouge. Martabée s’agenouilla.
L’Empereur ne se préoccupa tout d’abord aucunement d’elle. À même le sol, étendus à ses pieds, quatre jeunes hommes et femmes en pagne de perles assemblaient lascivement, lentement, les pièces d’un puzzle. L’Empereur
leur caressait les cheveux et leur plaçait dans la bouche de tout petits raisins violets, sans dire un mot. Pendant une minute ou deux, il continua son activité sans se soucier de Martabée, agenouillée sur le jade froid incrusté d’or.
Nerveuse, elle détailla les scintillements égarés dans la pierre sombre, où se reflétaient les contours de sa silhouette. Elle hasarda un regard de sous ses cils, vers le trône où on l’ignorait. Elle ne savait pas ce qu’elle faisait
là, suffoquée par les relents de sueur cristallisés dans le minéral. Enfin, il la remarqua.
Il se redressa tout d’abord avec une moue de dégoût, et sa voix retentit entre les arcades : « Relevez-vous, de grâce, vos genoux sont sales. » Martabée bondit sur ses pieds, confuse, humiliée ; aussitôt, deux petits garçons jaillirent de derrière un pilier et polirent le sol autour d’elle. Prestement, ils coururent se tapir à nouveau dans l’ombre mauve des colonnes.
Alors seulement, l’Empereur se leva. Il déplia lentement son corps de géant dodu, tout doux et rosé sous la lumière des marbres. Sa longue chevelure rouge vint se lover contre son cou et roula sur son torse, mais il la replaça respectueusement dans son dos, comme on calme un cheval qui tire sur sa longe. Il croisa ses mains ruisselantes de bagues sous la protubérance du ventre, un ventre fécond de gibier et de cervoise, offert fièrement au monde. Il était en majesté.
Mais, comme il s’approchait de Martabée, il marcha sur le puzzle qui colla à ses pieds nus ; il poussa un petit cri, et délogea d’une main rageuse la pièce fichée sous son talon. « Fichez le camp ! » hurla-t‑il à ses esclaves en leur
jetant la pièce fautive. Le petit groupe se leva en se confondant en excuses, rassembla le puzzle à la hâte, puis tituba au loin sous les arcades, dans un cliquetis de perles.
L’Empereur se tourna vers Martabée, pour de bon, comme la voyant enfin ; s’illumina. Elle se sentit enrobée, câlinée par ce regard singulier, deux yeux d’un bleu très vif, mouillés d’enthousiasme. « J’ai de grandes choses à
vous dire », déclara-t‑il d’une voix lente et claire, et Martabée eut envie de rire, car la réplique sonna faux, et il sentait vraiment fort la bête, tout suant sous sa fourrure. Néanmoins, il avait la mine sérieuse, et le sourire de Martabée mourut sur ses lèvres. L’Empereur, tout ridicule
qu’il fût, avait de grandes choses à lui dire.
Il commença, naturellement, par la flatter. « J’ai bien aimé votre thèse sur l’évolution de la pêche sur nos côtes. Ça a rappelé à tout le monde qu’il fallait regarder la mer de temps en temps. » Martabée fut charmée par ce conte, elle lui trouvait une tournure agréable. Elle n’ignorait pas
que c’étaient là de viles flagorneries, mais elle méritait les compliments. Alors elle rosit.
L’Empereur avait eu raison de lui parler de la mer.
Depuis toujours, c’est la mer qui avait poussé Martabée à partir et à conquérir. C’est pour la mer, et la mer seule, que Martabée avait choisi de quitter l’arrière-pays natal pour aller à la capitale. Sa rade et ses râles, le port qui crie, les
marins qui dansent, et le bruit, enfin le bruit ! Le murmure incessant de l’eau, nourrice sans fatigue qui endort mille enfants… Toujours l’avoir là dans l’oreille, depuis son bel appartement de ville, quand elle feuillette des ouvrages ; depuis son bureau à l’Université ; sur le chemin pour rentrer du travail, par les arcades humides qui ceignent la lagune… Et quelle leçon que l’océan ! Ce courage frontal des vagues qui se froissent, se brisent et s’étouffent au rivage des hommes !
Tout avait débuté lors de vacances à la mer avec ses parents, quand Martabée était petite. On lui avait proposé cent jeux et cent cajoleries : des glaces, des sandales neuves, des seaux, des pelles. Mais Martabée, enfant grave, n’avait rien voulu d’autre que la mer nue.
Elle était restée plantée là dans le sable, le regard noyé.
Elle avait vu, fascinée, la courbe du monde au lointain bleu, la grosse matière à replis qui se mouvait lentement.
Elle avait surpris l’écume de perles et d’eau, en joie gracile, lancée en l’air par des vagues joueuses. Martabée avait été émue par cette mer qui en son giron caresse toutes les créatures étincelantes. Martabée se sentait créature étincelante. Elle savait qu’elle brillerait, et que la mer la porterait.
Ce jour donc d’été jeune, elle s’était vendue aux divinités de la mer. Elle avait invoqué dans un murmure leur puissance et leur beauté. Elle s’était promis d’un jour vivre près d’elles, tout près d’elles, et de les célébrer encore.
Alors, quand l’Empereur parla ainsi de sa thèse, et du regard à nouveau porté sur la mer, Martabée se sentit adoubée par les divinités ondines de son enfance. Elle se crut célébrée à son tour. Elle s’apprêtait donc à le remercier, mais il poursuivit, les yeux dans le vague : « J’avais hésité à vous décorer, puis j’ai trouvé que vos travaux manquaient de pompe. » « C’est que, la rigueur scientifique… », commença-t‑elle. « Baste, baste, l’Histoire ça se raconte ! asséna l’Empereur en tapant sur son ventre. Je vous apprendrai à narrer. »
L’Empereur finit par ne plus louvoyer. En grand
conteur, comme il aimait à se croire, il était enfin parvenu à son nœud, à son précipice, au bord duquel il sentait Martabée bien accrochée.
« Vous êtes une professeure émérite à l’Université, vos collègues vous respectent, les serveurs reconnaissent votre nom quand vous réservez une table, et vous la garantissent : c’est là ce que j’appelle le succès. » Absorbé soudain, il caressa du doigt les artères dorées d’une colonne.
« Vous avez sans doute entendu parler de ce fantastique chantier qu’on vient d’entamer derrière la dune… On a découvert quelque chose. Je vous le dis, ce sera grandiose… C’est ce que j’ai annoncé au peuple, pour justifier l’investissement massif de l’argent public dans ces fouilles : ce sera grandiose, un point c’est tout. » Martabée était bien sûr au courant de ce chantier archéologique, elle rêvait d’y travailler – elle écouta donc plus attentivement l’Empereur, pressentant une excellente nouvelle.
« J’aimerais, dit l’Empereur avec gravité, j’aimerais que vous travailliez sur ce projet. Que vous compreniez qui était la civilisation qu’on vient de mettre au jour. Pour tout vous dire, je pense qu’il s’agit là de vestiges bouleversants, quelque chose comme le maillon manquant de notre Histoire. Il faudra communiquer avec le
peuple, lui expliquer qu’on a trouvé nos ancêtres. J’aimerais que les gens sachent qui a construit leur territoire, qui a peuplé le golfe. » Sa voix devenait de plus en plus forte. « Comprenez-vous, il faut que l’histoire de ce nouveau champ de fouilles puisse résonner dans le cœur des
gens. C’est historique. Je crois que nous avons trouvé les Morgondes. »
Martabée se figea. On chantait aux bambins des berceuses sur les Morgondes ; on leur lisait des contes sur les Morgondes ; à l’école, on leur apprenait l’histoire avec un trou, un mystère à combler : les Morgondes ont été un grand peuple, il y a dix siècles, mais on n’a rien retrouvé d’eux sinon leur nom dans des manuscrits ultérieurs, des mots de barde, des paroles de nourrice.
Dans les yeux écarquillés de l’Empereur, Martabée lut du bleu extatique, du bleu transcendé, une lumière intérieure qui irradiait. Il n’était plus ridicule, il était presque beau. « Je n’ai pas peur de le dire », reprit-il. « Qu’on me
traite de renard fou si l’on veut, oui, ce sont les Morgondes qui nous appellent depuis la dune. C’est le peuple ancestral qui chassait des monstres marins, ces puissants guerriers qui ont assis notre puissance, décimé leurs voisins, assoiffé les mers – je veux que le peuple sache que c’étaient nous, et que notre grandeur passée est encore vivace. » L’Empereur écumait. Martabée comprit qu’il y avait là sous le sable de la dune un enjeu qui la dépassait complètement. Tout cela engageait, outre l’argent du peuple, l’essence même du pays. Si l’Empereur disait vrai, si les vestiges, découverts par hasard par un groupe d’archéologues en lequel personne ne croyait, s’avéraient être les restes des Morgondes, alors elle se trouvait à l’aube du projet de sa vie.
« Ce que je vous demande, déclara l’Empereur en lui prenant la main, c’est de mener la supervision historique du chantier. Vous ferez des recherches, vous éclaircirez tout ça. Vous rédigerez les bulletins qu’on présentera au peuple pour lui rendre compte de l’avancée des recherches. Je veux qu’on communique beaucoup, qu’on le passionne, qu’on le transcende. Je veux que la nation retrouve son
souffle, son unité, son panache… » Martabée n’entendait plus rien. Elle était terrassée par la confiance que l’Empereur plaçait en elle. Elle imagina comment elle raconterait
« Les poses vénérables où ils se tenaient encore, sévères et décharnés, leur arme au flanc; les orbites vides d’yeux qui avaient vu des créatures terrifiantes dans la houle; tout sentait le héros, tout sentait le mythe incarné. Ces hommes parvenaient à traquer et à harponner des bêtes cent fois plus grosses qu’eux, à les traîner du fond de l’océan jusqu’à leur ville, à les vider, à s’en nourrir, à les aligner ensuite pour y coucher leurs vieux guerriers. » p. 34
Perrine Tripier © Photo DR
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