Encore 25 étés

Par Henri-Charles Dahlem @hcdahlem

En deux mots
C’est au bord d’un lac que le narrateur rencontre Karl. Il ne se doute pas alors qu’il va passer deux jours en sa compagnie. Deux jours qui vont changer sa vie.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Deux journées particulières

Es-tu satisfait de la vie que tu mènes ? C’est à cette question que le narrateur de ce court roman est confronté après sa rencontre avec Karl, un agriculteur-nageur-peintre épicurien. Un premier roman signé Stephan Schäfer, un petit bijou.

Un quotidien usant, chronophage. Des heures passées devant un ordinateur, puis des heures avec son smartphone. Le narrateur de ce court roman à besoin d’une pause et part s’installer dans sa maison de campagne, sa femme et ses enfants étant occupés ailleurs. Levé comme à son habitude à 5h 12, il décide d’aller faire son jogging. En courant, il se souvient d’un conseil pour endiguer le surmenage, faire quel­que chose qui sort de ses habitudes, et se dirige alors vers le lac.
C’est alors qu’il voit un homme en sortir, nu et joyeux. « Je ne suis pas Le seul à être tombé du lit, on dirait » lui lance le nageur en guise de salut. Quelques minutes plus tard, il lui propose de suivre son exemple et de se jeter à l’eau (une proposition à prendre dans tous les sens du terme, mais il ne le découvrira que bien plus tard).
Et après cette baignade revigorante un bon petit-déjeuner s’impose. Karl invite sa nouvelle connaissance à venir le partager dans sa ferme. Et si ce dernier avait bien d’autres choses à faire, il accepte l’invitation. Avec celui qui n’était encore qu’un parfait inconnu quelques heures plus tôt, il finira par passer deux jours. Et enfin apprendre à lâcher prise : « Ça devait faire une éternité que je n’étais pas resté aussi longtemps sans regarder mon téléphone, que je n’avais pas été autant dans le moment présent. D’ordinaire, j’avais toujours quelque chose à faire, j’étais intranquille, impatient, mes pensées toujours prêtes à changer de direction d’une seconde à l’autre. Même si j’étais facilement sur le podium du championnat du monde du déni, j’admettais sans détour que j’étais accro à mon smartphone. »
En compagnie de ce producteur de pommes de terre, amoureux des tubercules, il va parcourir son champ, grimper sur son tracteur, faire une sieste dans sa bibliothèque, manger des fricadelles et faire la connaissance de son épouse aux « joues rouges comme deux pommes, aux yeux rieurs (…) On aurait dit un champ de fleurs. Cette femme respirait la fraîcheur et la joie de vivre. Elle a immédiatement trouvé une place dans mon cœur. » A leurs côtés, il apprend une autre philosophie de vie, décide qu’il profitera des 25 étés qui lui restent.
Bien entendu, Stephan Schäfer nous propose ainsi de chercher nous-même la réponse à cette question existentielle. Son récit chaleureux et profond, cette aspiration à une vie plus équilibrée, plus proche des choses essentielles, nous amène à réfléchir sur le trop et le trop peu dans la vie. Et sur les questions auxquelles nous aimerions tous trouver des réponses. Et si premier roman allègre, vivifiant, qui se lit le sourire aux lèvres, vous donne envie d’aller piquer une tête, alors vous êtes sur la bonne voie !

Encore 25 étés
Stephan Schäfer
Éditions Actes Sud
Premier roman
Traduit de l’allemand par Stéphanie Lux
144 p., 14,90 €
EAN 9782330206437
Paru le 4/06/2025

Où ?
Le roman est situé en Allemagne, au bord d’un lac dans le Schleswig-Holstein.

Quand ?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
À la table de la cuisine d’une vieille ferme, deux personnes qui ne pourraient pas être plus différentes se rencontrent. Le narrateur de ce roman mène une vie pressée qu’il perçoit comme une interminable liste de choses à faire ; Karl, quant à lui, trie des pommes de terre jour après jour – et réfléchit. Lorsque Karl confronte son invité au fait qu’il lui reste environ 25 étés à vivre, ils entament tous deux une conversation sur les grandes questions de la vie : pourquoi passons-nous autant de temps à travailler plutôt qu’à nous occuper des personnes et des choses qui comptent vraiment pour nous ? Où trouvons-nous le courage de réaliser nos propres rêves ? Et pourquoi la vraie vie ne commence-t-elle souvent que lorsque nous comprenons que nous n’en avons qu’une ?

Les critiques
Babelio 
Blog Notre jardin des livres 

Les premières pages du livre
 « 1
 5 h 12. Tous les matins, je me réveillais à la même heure. Depuis plusieurs mois, déjà. Peu importait le jour de la semaine. Peu importait l’heure à laquelle j’allais me coucher, ou quelle tisane “nuit tranquille” je buvais. Ce samedi matin de juin n’a pas fait exception. J’étais parti seul à la campagne – ma fem­me suivait une formation, et nos enfants avaient des plans avec leurs amis. Habituellement, c’est ensemble que nous passions nos week-ends dans notre petite maison de campagne, à une heure de route à peine, dans un décor magnifique, avec un grand tilleul dans le jardin et une vieille serre où nous faisions pous­ser tant bien que mal des tomates, des carottes, des courgettes et des potirons. Nous cueillions les fruits rouges qui mûrissaient le long de la clôture nous séparant des voisins pour en faire des confitures. Il y avait une vieille balançoire en bois accrochée un peu de travers à une bran­che, de hautes herbes et, çà et là, des fleurs des champs qui poussaient com­me bon leur semblait. On était loin de l’exposition horticole.
Nous aimions ce mélange de ville et de cam­pa­gne, l’alternance entre calme et animation. Nous étions d’accord tous les qua­tre : c’était là le rythme idéal de nos vies. Le fondement de notre famille. Notre refuge, notre bonheur de location.
Pourtant, ces derniers temps, mon équi­li­­bre était perturbé. J’avais travaillé dur pour avoir le privilège de me réfugier le week-end dans la na­­ture – mais ici non plus, en ce mo­­ment, je n’ar­­ri­­vais pas à trouver le calme. Je le trouvais rarement, en réalité, car dans ma tête, ça ne s’arrêtait quasiment jamais, le travail s’invitait en douce dans mes bagages. Autrefois, je paressais joyeusement des journées entières, considérant que ne rien faire était une vertu – mais à cha­que année de métier supplémentaire, à cha­que nouveau mo­­dèle de smartphone, je devenais de plus en plus joigna­ble, et disponible partout.
C’était le cas de beaucoup de gens autour de moi. Certains amis me racontaient que leurs préoccupations les tenaient éveillés au point qu’ils lisaient des livres entiers la nuit. D’au­­tres restaient debout très tard, répondant à leurs mails bien après minuit, ou faisaient du sport à l’aube, espérant que l’activité physique les dé­­charge du fardeau de leur quotidien.
Ce samedi-là, optant pour la variante numéro trois, j’ai mis mes baskets et je suis sorti courir à l’aurore. Par mon métier, je passe dix à douze heures par jour, voire plus, au bureau ou en voyage, avec la climatisation, devant mon ordinateur ou dans le train, la tête remplie de problèmes à résoudre ; j’espérais trouver en courant une forme de décélération, un bol d’air frais, un peu d’équi­li­­bre intérieur. Je me souviens précisé­ment de ce petit matin si calme et clair. De mon effort pour profiter en toute conscience du lever du soleil. Pour profiter de la beauté qui m’entourait ici, pour être vrai­ment là, pas seulement physiquement.
Il y avait tout ce qu’il fallait : la rosée du matin sur les prés verdoyants, le chant d’un merle, le sol souple de la forêt sous mes pas. Mais il y avait aussi ce mur invisible entre moi et le monde.
Et ainsi, à cha­que pas, ce n’est pas de la nature que je me rapprochais, de ce sentiment de légèreté auquel j’aspirais, mais de mon bureau mental. Et com­me d’habitude, il était bien encombré : la conférence de rédaction de mardi prochain, la discussion d’hier vendredi, cette personne à qui je devais absolument écrire un mail après le petit-­déjeuner, cette au­­tre que je devais absolument réussir à joindre. Sans parler du cadeau d’anniversaire de ma tante que je devais encore acheter, si tant est que je trouve une idée.
Il y avait toujours quel­que chose. Au lieu de vivre, je passais mon temps à rayer des tâches de ma liste de choses à faire.
Je pouvais courir pendant une bonne demi-heure sans me rappeler après coup si j’avais croisé quel­qu’un ni quel chemin j’avais pris. Une chose en revanche était claire, et oppressante : quel­que part dans ma vie, je n’avais pas pris le bon chemin, et j’avais perdu ma boussole intérieure. Il y a quel­ques années encore, je me sentais joyeux, libre, j’aimais ce que je faisais, tant dans ma vie privée que professionnelle. Mais au fil des années, je m’étais retrouvé avec de plus en plus d’obligations et de moins en moins de liberté. Ce n’était pas un processus conscient, et il était plutôt sournois. J’étais devenu un de ces optimiseurs qui met­tent le travail, la reconnaissance et l’argent au centre de leur vie. J’étais sévère avec moi-même, rarement satisfait, déterminé, rarement détendu. Obnubilé par les deadlines, les attentes des au­­tres et les miennes. Je ne voulais plus ce que j’avais, mais ce que je n’avais pas. Ainsi, ce matin-là, je ne profitais pas de ce que le monde m’appartienne parce que je m’étais levé tôt, je ruminais plutôt com­me un oiseau en cage. Ce n’était pas précisément logique, ni agréa­ble. Ça ne ressemblait pas du tout à la personne que j’étais. Encore moins à celle que j’avais envie d’être.
Tandis que je courais com­me un dératé dans la forêt, j’ai repensé à ce que j’avais lu quel­ques jours auparavant : quand on est surmené, les mêmes pensées tournent en boucle dans le cerveau. Il faut essayer de couper le circuit. Il est donc fortement conseillé de faire quel­que chose qui sort complètement de ses habitudes. Je me suis demandé ce que ça pourrait être pour moi. J’ai pensé au petit lac qui se trouvait entre la forêt et la maison. Je me contentais toujours de le contourner. Il ne me serait jamais venu à l’idée d’aller y pren­dre un bain matinal. Pas de maillot de bain, pas de serviette, et puis l’eau était trop froide. Voilà qui pourrait être une petite aventure dans mon quotidien, me suis-je dit. Et je me suis rappelé ce que je faisais, gamin, à la piscine en plein air, quand je ne voulais plus rien voir, plus rien entendre ni ressentir : je m’enfonçais tout droit dans l’eau et le monde devenait mat et flou autour de moi, s’éloignait un peu plus à cha­que centimètre. Je retenais ma respiration tant que je pouvais, puis je laissais échapper quel­ques bulles et remontais à la surface.
S’enfoncer dans l’eau.
L’idée était séduisante.
J’ai pris la direction du lac.

2
Un étroit sentier de désir m’a mené jus­qu’à la rive. L’eau était étale, les bran­ches d’un aulne reposaient dans les roseaux, je me suis arrêté devant un banc de bois consistant en une simple plan­che posée sur deux souches. Comme cet endroit était beau et paisible. Le langage de la nature n’a besoin d’aucune traduction, d’aucune notice explicative. J’ai pris une profonde inspiration, expiré lentement.
Je me disais qu’on était décidément bien mieux à Bullerby qu’au bureau lorsqu’un craquement m’a fait sursauter. Je me suis retourné d’un bloc. Tout droit sorti des buissons, et donc du lac, … »

Extraits
« J’ai eu une légère frayeur en jetant un œil à l’horloge au-dessus de la porte de la cuisine : il était presque 13 heures. Ça devait faire une éternité que je n’étais pas resté aussi longtemps sans regarder mon téléphone, que je n’avais pas été autant dans le moment présent. D’ordinaire, j’avais toujours quelque chose à faire, j’étais intranquille, impatient, mes pensées toujours prêtes à changer de direction d’une seconde à l’autre. Même si j’étais facilement sur le podium du championnat du monde du déni, j’admettais sans détour que j’étais accro à mon smartphone. » p. 31

« Une fois la visibilité redevenue meilleure, la femme de Karl se tenait devant moi. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Heidi, l’héroïne des livres de mon enfance. C’était peut-être ses joues rouges comme deux pommes, ses yeux rieurs, son charme nature. On aurait dit un champ de fleurs. Cette femme respirait la fraîcheur et la joie de vivre. Elle a immédiatement trouvé une place dans mon cœur. Elle portait une robe bleue légère dont les trois premiers boutons étaient nonchalamment ouverts, et un bandeau de velours orange qui retenait habilement ses cheveux ondulés poivre et sel. Avec ça, des Clogs marron qui, si elles avaient pu parler, auraient pu raconter quelques milliers de journées à la ferme. Et comme si Les visites spontanées étaient aussi naturelles qu’un car passant à heures fixes, elle m’a dit : Contente que tu sois là ! Tu vas m’aider mettre la table. » p. 45

À propos de l’auteur

Stephan Schäfer © Photo Matthias Ziegler

Né en 1974, Stephan Schäfer a travaillé pendant de nombreuses années comme journaliste et rédacteur en chef. Vingt-cinq étés est son premier livre. Il vit avec sa famille à Hambourg. (Source : Éditions Actes Sud)

Page Wikipédia de l’auteur (en allemand) 
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