Les nageuses de minuit (Valentina Grande – Francesco Dibattista – Editions Le Lombard)
A bientôt 40 ans, Vik se demande où sont passés ses rêves d’enfant. Cette enseignante new-yorkaise, qui mène une vie solitaire dans son appartement avec son chat pour seule compagnie, a le sentiment d’avoir fait les mauvais choix et de ne pas être devenue la personne qu’elle aurait voulu être. D’ailleurs, il lui arrive souvent de se dire « quand je serai grande » alors qu’en réalité, elle n’est plus une petite fille depuis longtemps. Pour ne rien arranger, sa mère lui reproche régulièrement d’être encore célibataire, comme si c’était un choix de sa part. Du coup, Vik se sent forcément mal quand elle voit des images de femmes enceintes dans les transports publics ou quand elle se retrouve confrontée au temps qui passe en observant son reflet dans le miroir. Serait-elle donc condamnée à mener une vie faite de déceptions et de regrets? Pas forcément! Un soir, un heureux hasard l’entraîne dans une piscine publique, au moment même où un groupe de femmes plus âgées répètent un ballet aquatique. Vik, qui ne sait pas nager, est fascinée par la beauté de ces femmes, qui se meuvent dans l’eau avec aisance et qui ne semblent éprouver aucun complexe quant à leur âge ou leur corps. Surmontant sa peur, elle décide alors de franchir le pas et de revenir régulièrement à la piscine pour enfin apprendre à nager. Petit à petit, elle se rapproche de trois joyeuses septuagénaires afro-américaines, ravies d’accueillir une petite jeune dans leur groupe. En passant du temps avec ces nouvelles amies inattendues, Vik ressent une forme de libération. Mais elle découvre aussi que chacune de ces femmes a ses propres blessures et ses lourds secrets, qui deviennent invisibles lorsqu’elles font de la natation synchronisée…
N’hésitez pas à vous plonger dans « Les nageuses de minuit », car c’est un roman graphique sensible et touchant. Il s’agit d’une BD pleine de douceur, qui nous interroge sur le temps qui passe et sur la difficile résilience lorsqu’on a subi des traumas durant sa jeunesse. Par le biais de l’histoire de Vik, une femme ayant du mal à trouver sa place dans la société, la scénariste italienne Valentina Grande, qui avait signé il y a quelques années une biographie très réussie de l’écrivain J.D. Salinger, s’intéresse aux thématiques de l’accomplissement de soi et de la pression sociale. « J’ai écrit ce roman graphique avec l’intention d’encourager ceux qui le liront à embrasser leurs désirs et à rejeter la pression des attentes sociales », explique-t-elle. « Vieillir peut être décourageant car, dans le monde dans lequel nous vivons, dès que l’on sort du système, on est souvent considéré comme inutile, à l’instar des femmes qui n’ont pas d’enfants, comme Vik. Il est pourtant vital de revendiquer le droit de vivre de manière authentique, en nous libérant des attentes sociales, tout en réfléchissant à la réalisation des rêves de notre enfance, en leur donnant l’espace, le temps et le pouvoir d’exister sous de nouvelles formes. » La BD se focalise particulièrement sur le rapport à la maternité, tant pour Vik que pour les autres femmes qu’elle rencontre à la piscine. « La maternité constitue peut-être l’intrigue centrale de l’histoire: être fille et être mère », précise Valentina Grande. « Parfois, cette maternité est mal accueillie, elle peut devenir un sacrifice, et il arrive aussi qu’elle reste inachevée et remplie de regrets. Nous l’observons symboliquement à travers l’eau en tant que liquide amniotique et dans les espaces de la serre et de la piscine, qui ressemblent à de vastes utérus nourrissant et protégeant la vie. » Au final, cela donne une BD d’une grande humanité. C’est aussi un livre qui s’avère apaisant d’une certaine façon, à l’image des dessins tout en délicatesse et en sobriété signés par Francesco Dibattista. Avec peu de mots, « Les nageuses de minuit » va à l’essentiel. Cette bande dessinée devrait particulièrement plaire à celles et ceux qui ont parfois du mal à se jeter à l’eau.
