Ma note Ma chronique Maya est la fille adoptive de Zach et Catherine Lambert. Maintenant qu’elle est adolescente, elle ne cesse de s’interroger sur sa place, ses origines, son identité. Ayant perdu sa mère très tôt, elle cherche des réponses auprès de ses grands-parents et notamment de sa Mamita qui comme elle est originaire du Guatemala. Plus vaste que le monde Où ? Quand ? Ce qu’en dit l’éditeur Les critiques Les premières pages du livre Maya — Bon, tu peux me dire ce qui s’est vraiment passé ? Après le dîner, mamita vient s’asseoir à côté de moi sur le vieux canapé bariolé. C’est notre rituel du jeudi soir : on discute pendant que papa joue aux cartes dans la cuisine avec papy. Je me love contre le corps chaud de ma grand-mère. Ce soir, je rapporte à mamita les paroles que papa a prononcées dans la voiture un peu plus tôt, celles qui passent en boucle dans ma tête : « Dans la vie, il y a des batailles qui valent la peine d’être menées. » Je ramène ces mots au combat qui bouillonne en moi depuis… depuis que maman est partie, ou depuis toujours ? Peu importe, je sens qu’il est temps pour moi de le livrer. De m’approprier ce bout du monde qui vit en moi. Après tout, les Mayas étaient de puissants guerriers. Si je suis leur digne héritière, pas étonnant que ça me parle. Sans le vouloir, papa m’a fourni les armes. Zach J’avais vu Cat pour la première fois dans la gare Montparnasse. Je me dirigeais vers la voie indiquée sur le tableau d’affichage, quand j’avais avisé l’immense file formée à cet endroit. Elle serpentait sur des dizaines de mètres, et se perdait dans un virage. Malgré mon mètre quatre-vingt-dix, je n’en distinguais pas la fin. Rejoindre le bout de la queue me demandait trop d’efforts. Je venais de passer deux jours à arpenter les rues de Paris pour tenter ma chance auprès des éditeurs de bandes dessinées. J’étais exténué, d’autant que ma démarche s’était montrée peu concluante : personne n’avait daigné me recevoir sans rendez-vous. Peu m’importait ! En dépit de ma jeunesse – j’avais 24 ans –, j’étais déterminé. Mes dessins représentaient toute ma vie, je ne m’imaginais pas exercer un autre métier. Je réessaierais, encore et encore, jusqu’à ce qu’on accepte de m’ouvrir la porte. J’en étais là de mes considérations, hésitant encore à intégrer la file des passagers – comment diable pourrions-nous tous nous entasser dans le même train ? – quand mon regard s’était porté sur elle. Elle débarquait, comme moi. Sa mine aussi déconfite que la mienne n’altérait en rien sa beauté. Une beauté de fille de l’Est, aux traits fins, un peu froids. Sa chevelure blonde et raide était retenue par une queue-de-cheval. J’avais arrangé mes propres cheveux, à l’opposé des siens, noirs, épais et mi-longs. Je lui avais souri lorsqu’elle s’était tournée vers moi. Nous nous étions compris d’un coup d’œil. Avec une facilité qui nous avait surpris, nous nous étions glissés parmi la foule, comme si nous voyagions ensemble. Une quinquagénaire nous avait interpellés : Le lendemain, il me faut attendre la fin d’après-midi pour émerger enfin du brouillard comateux qui m’a tenu compagnie toute la journée. Ressasser ces souvenirs vieux de vingt ans enjolive mes soirées, mais me ramène aux portes d’une mélancolie dont il m’est ensuite difficile de m’extraire. Maya Zach Ma fille a besoin de refaire sa garde-robe, ses pantalons commencent à s’user et elle se plaint qu’ils sont démodés. Je lui donne un peu d’argent et les conduis, Audrey et elle, aux Flâneries, le centre commercial de La Roche-sur-Yon, pour faire les boutiques. Maya adore ça et je dois admettre que je ne suis pas mécontent qu’elle préfère la compagnie de sa copine pour ce genre d’activité. Je reviendrai les chercher deux heures plus tard. En attendant, je me rends chez mes parents. Avant notre déjeuner dominical en famille, j’ai besoin de discuter de ma proposition, ou plutôt de mon engagement auprès de Maya, en tête à tête avec ma mère. Celle-ci me sert un café. Elle l’achète toujours en provenance du Guatemala, et prétend qu’aucun autre ne peut rivaliser. D’ordinaire, je prends cette affirmation au pied de la lettre : elle trouve le goût des grains produits au Guatemala inégalable. Mais, et si cela cachait un trouble plus profond ? Ma mère s’est-elle jamais sentie à sa place en France ? Extrait À propos de l’autrice Delphine Giraud © Photo DR Delphine Giraud est passionnée de lecture et d’écriture. Plus vaste que le monde est son quatrième roman, après les succès de Les Couleurs du silence, Six ans à t’attendre et Doucement renaît le jour. (Source : Fleuve Éditions) Page Facebook de l’autrice Tags
★★★★ (j’ai adoré)Le fabuleux destin de Maya Lambert
Pour son sixième roman, Delphine Girard s’est inspirée d’une dramatique histoire, celle des enfants volés du Guatemala. En suivant Maya, la fille adoptive de Zach, de retour dans son pays natal pour éclaircir le mystère de sa naissance, elle nous offre une quête bouleversante.
Après un geste violent envers une camarade de classe qui lui avait assené une tirade raciste, son père décide d’agir. Après avoir donné à Maya son dossier d’adoption, il lui propose de retourner au Guatemala qu’elle avait quitté âgée de quelques mois et dont elle n’a aucun souvenir.
Si Maya nourrit des sentiments ambigus à l’égard de son pays natal à cause de son abandon et à cause de sa taille – les Guatémaltèques sont les plus petites personnes du monde – elle sent le besoin de faire ce voyage en Amérique centrale.
Armée de son dossier d’adoption et de l’adresse de la sœur de Mamita, elle part pour Panajachel, au bord du lac Atitlán.
Si les premières heures dans le pays sont un peu chaotiques et leur hôtel bien éloigné des standards européens, ils vont vite oublier leurs petits soucis, car ils sont accueillis avec chaleur au sein de la famille de Mamita. Mais après les embrassades viennent les premières confidences, le récit de la fuite en France pour échapper à un mariage forcé et l’arrachement de l’exil. En écho à ce drame, la quête de Maya va s’avérer plus complexe. Aucun orphelinat ne se trouve à l’adresse indiquée, l’un des quartiers les plus dangereux de Guatemala Ciudad. L’administration n’est guère plus coopérative, pas davantage que l’avocat qui a traité le dossier. Il faut alors essayer de trouver les témoins, comme cette femme qui a signé l’acte d’abandon.
Commence alors un voyage à travers le pays, ponctué de rencontres qui vont bouleverser Maya et mettre au jour un vaste trafic qui a fait des milliers de victimes.
Avouons-le, si ce roman m’a autant touché, c’est que j’ai moi-même adopté un enfant au Guatemala, mais fort heureusement c’était en 2002, bien après le scandale des enfants de la guerre civile qui s’est tout de même étendu sur plusieurs décennies. Il n’en reste pas moins qu’avec mon épouse – contrainte à rester sur place durant plusieurs mois – nous avons vécu des scènes similaires à celle évoquées dans le livre. Oui, l’adoption reste un parcours du combattant, oui les tracas administratifs, dans un pays corrompu, peuvent durer des jours, voire des semaines avant que l’on comprenne qu’un petit coup des pouce vient faire déplacer le dossier du dessous subitement au dessus de la pile. Oui, les avocats sont prompts à réclamer un supplément pour leurs « frais administratifs » et disparaissent dès que l’enfant est entre vos bras. Oui, la rencontre avec les parents biologiques reste un fort moment d’émotion. Et enfin oui, il ne faut rien cacher à son enfant des circonstances et de la réalité de son adoption.
Bref, vous l’aurez compris, je ne suis pas le plus objectif des critiques s’agissant de ce roman, mais il atteint parfaitement son objectif, nous rappeler combien les enfants sont encore et toujours l’objet de trafics. Il n’y a qu’à regarder du côté de l’Ukraine pour s’en rendre compte.
Delphine Giraud
Fleuve Éditions
Roman
332 p., 19,90 €
EAN 9782265159020
Paru le 13/03/2025
Le roman est situé en France, à Paris et à la Roche-sur-Yon, mais principalement au Guatemala, à Panajachel et Antigua, à Guatemala Ciudad et le long du lac Atitlan, notamment à San Antonio Palopó. On y voyage aussi jusqu’à Livingston et le long du Rio Dulce.
L’action se déroule au début des années 2000 jusqu’en 2023.
Un voyage pour se retrouver. Un voyage sur les traces de son passé.
Maya a été adoptée au Guatemala, car c’est le pays dont est originaire Mamita, sa grand-mère paternelle. C’est presque comme si elles étaient du même sang, finalement.
Pourtant l’adolescente a beau connaître son histoire, quelque chose lui manque, surtout depuis la mort de sa mère adoptive. Alors son père prend une décision : ensemble, ils vont partir visiter les terres de leurs ancêtres.
Maya a toujours rêvé de cet endroit, mais rien ne l’a préparée à ce qu’elle est sur le point de découvrir là-bas.
Babelio
Actualitté ( Victor de Sepausy)
Blog Les chroniques de Koryfée (Karine Fléjo)
Blog Liseuse hyperfertile
« Prologue : Maya
2002
Je reprends mon souffle avant de conclure ma présentation :
— Le mot maya signifie maïs, céréale importante dans la vie quotidienne des Mayas.
« La civilisation maya, l’une des plus brillantes de notre histoire, a prospéré pendant des siècles, avant de s’effondrer à cause de la déforestation, de la surexploitation des ressources, de la pollution, etc. Les colons européens lui ont porté le coup de grâce au XVIe siècle. Il a fallu attendre le XIXe pour que ce peuple soit redécouvert. Les Mayas ont longtemps été considérés comme des savants, des artistes et de pacifiques bâtisseurs de cités protégées par une forêt dense.
« Les chercheurs ont compris quelques décennies plus tard qu’ils étaient aussi de puissants guerriers, qui se livraient à des sacrifices d’animaux ou d’humains en faveur de leurs dieux.
« Les Mayas ont-ils vraiment disparu ? Leurs descendants directs, les Lacandons, vivent aujourd’hui au Mexique. Mais les Mayas ont aussi intégré la société moderne et possèdent de nombreux autres descendants – plus de six millions – qui vivent dans différents pays d’Amérique centrale.
— Merci, Maya, tu peux retourner t’asseoir. Nous sommes ravis d’en apprendre toujours plus sur… euh… l’Amérique centrale.
La prof d’histoire toussote avant d’ajouter, si bas que je suis la seule à l’entendre en passant à côté d’elle :
— Encore…
Une vague gêne me crispe, pourtant je ne bronche pas. En reprenant place sur ma chaise, je redresse la tête avec fierté pour défier Mme Martineau. Mais elle est déjà passée à autre chose. Le visage penché sur son bureau, elle parcourt la liste des élèves.
— Suivant ! Voyons voir… Julien ?
— Tiens, la mangeuse de maïs. On pige mieux pourquoi elle est si laide !
Je me fige. Ophélie. Je reconnaîtrais sa voix de peste entre mille. Elle commence à me taper sur les nerfs, celle-là. Audrey, qui a avancé de quelques pas dans la cour, me fait signe de la rejoindre. Impossible pour moi de jouer celle qui n’a pas entendu. Je me retourne, toutes griffes dehors. Malgré mes dix centimètres de moins, je la défie comme si j’allais lui sauter à la gorge.
— C’est de moi que tu parles ?
— T’en connais beaucoup, toi, des filles qui bouffent du maïs comme les poules ?
Ophélie pouffe, tout en faisant mine de chercher alentour. Les deux sbires qui l’encadrent rigolent bêtement. La main d’Audrey serre la mienne.
— Allez viens, laisse tomber.
J’en ai marre de laisser tomber. À force de se ficher de tout, le monde finit par s’écrouler.
— T’es qu’une sale raciste !
— Je comprends pas le malaise. C’est bien toi qui as dit dans ton exposé que maya, ça veut dire maïs, non ? C’est pas très raccord avec tes cheveux, d’ailleurs. Ils sont si… noirs !
Elle prononce ces mots le nez retroussé de dégoût, comme si l’image que je renvoyais lui était insupportable. Cette fois, je ne peux plus me maîtriser. La gifle part, cinglante. Choquée, ma rivale porte la main à sa joue en étouffant un cri. Ses yeux ronds se remplissent de larmes qu’elle s’efforce de contenir. Je jubile tant que j’en oublie le sang qui pulse douloureusement dans ma paume et les fourmillements le long de mes phalanges.
La sonnerie retentit, marquant la fin de la récréation, mais on ne bouge toujours pas. Les deux sbires ont disparu. Je ne le remarque que lorsqu’elles reviennent flanquées d’un surveillant. Sa présence sort Ophélie de sa torpeur. Pour aggraver mon cas, elle libère ses larmes et retire la main de son visage. Inutile de nier. Sur sa peau diaphane se dessine très nettement la marque rouge de ma main.
Papa soupire, concentré sur la route qui défile devant le pare-brise. Ça m’arrange, c’est plus facile de ne pas croiser son regard réprobateur. Quand il est entré dans le bureau du directeur, des mitraillettes à la place des yeux, j’ai bien cru qu’il allait me tirer dessus. Il s’impatiente.
— Alors ?
— C’est bon, laisse tomber…
Je répète les mots d’Audrey, ceux qui m’avaient irritée, dans l’espoir de clore le débat. Mais c’est mal connaître papa.
— Non, Maya, je ne vais pas laisser tomber. Et tu sais pourquoi ?
Il repère une place libre sur le bas-côté et s’y arrête, à mon grand désarroi. Je tourne la tête du côté de ma fenêtre.
— Regarde-moi quand je te parle, Maya !
Il hausse le ton. Il n’est pas crédible. Il n’a jamais été doué à ce petit jeu. Lui et moi, on le sait très bien. Il saisit avec douceur mon menton entre le pouce et l’index, et m’oblige à lui faire face. Je me dérobe en baissant les yeux. Papa ne se démonte pas.
— Tu sais pourquoi je ne vais pas lâcher l’affaire, Maya ? Parce que tu es ma fille et que je t’aime. Alors maintenant, tu vas me dire ce qui se passe.
Ça me gave qu’il me prenne par les sentiments. Si j’étais vraiment sa fille, je ne me sentirais pas aussi perdue.
— Ophélie, c’est une peste. Elle m’a cherchée, elle m’a trouvée !
— Pourquoi t’a-t-elle cherchée ?
— Elle a pas besoin de raison. Elle me déteste parce que je suis différente. Elle m’a insultée, je vais pas rabâcher ce que j’ai déjà dit devant le dirlo !
Une moto nous dépasse à toute blinde, faisant trembler la vitre entrouverte de la voiture. Papa détourne un instant son attention, puis soupire encore.
— Et toi, tu l’as frappée. Résultat des courses, vous êtes collées toutes les deux demain soir. Si maman était là…
— Mais maman n’est plus là.
Ma réplique est sèche. Je suis assez fière de moi. J’ai réussi à me détacher de cette réalité, à en faire un simple constat, sans ciller. Pourtant, si papa insiste, le barrage risque de céder. La colère rivalise avec la tristesse au creux de mon ventre.
— Non, elle n’est plus là…
Papa plonge ses yeux dans le vague, signe que la lame de fond n’est pas loin de le submerger, lui aussi. Quand est-ce qu’on change de sujet ?
— Mais souviens-toi de ce qu’elle disait. Tu es plus intelligente qu’eux, Maya. Tu ne dois pas les laisser te faire du mal. Quand tu répliques, tu leur donnes la satisfaction de t’atteindre. Alors, laisse aller.
Un petit rire ironique sort de ma gorge.
— Toi aussi, tu vas me dire de laisser tomber ?
— Ne te trompe pas de combat, ma puce. Dans la vie, il y a des batailles qui valent la peine d’être menées, et d’autres qui ne méritent même pas qu’on en parle.
Ces belles phrases résonnent dans l’habitacle. Papa a compris qu’il a visé juste, alors il redémarre. Le silence nous accompagne jusqu’à la maison de mes grands-parents. Dans ma tête pourtant, le combat mentionné par papa fait un bruit d’enfer. Il me renvoie à mes origines. Personne ne se souvient des premiers instants de sa vie. L’entourage les relate et ça suffit. Pour moi, c’est différent puisque j’ai été adoptée. Aucun membre de ma famille n’était là à ma naissance et dans les mois qui ont suivi. Il me manque le début de mon histoire. Maya Lambert. Ça, c’est mon nom officiel. Ma vraie identité, celle qui figure sur mon acte de naissance vieux de quatorze ans, c’est Maya Telón. Ou peut-être qu’elle représente juste mon passé. Est-ce que j’ai déjà su qui j’étais vraiment ? Du temps où maman – ma mère adoptive – était encore en vie, c’était plus simple. Il faut dire qu’en grandissant, les questions fusent.
Je nourris des sentiments ambigus à l’égard du Guatemala, mon pays natal. Les plus négatifs sont à cause de mon abandon, et aussi parce que mes racines m’éloignent du physique idéal de maman qui était mince, blonde, grande, comparée à moi, si minuscule à cause de mon héritage génétique – les Guatémaltèques sont les plus petites personnes du monde. Et en même temps, il me fascine. Mamita – contraction de Mamie et Juanita – n’a pas son pareil pour me conter ses paysages de rêve. Pourtant, elle les a quittés il y a des dizaines d’années. Nous n’avons aucun lien biologique, toutes les deux. Elle est la mère de papa. Nous sommes juste nées dans le même pays. Maman a voulu adopter un enfant au Guatemala pour que nos souches communes, avec papa, rendent mon déracinement plus facile à vivre. Elle n’avait pas anticipé que ma terre m’appellerait, dans ma chair, dans mon sang. Peu importe ce qu’on me donne en France. Seule mamita comprend.
Quand j’étais petite, je ne me lassais pas d’écouter ses histoires :
« Raconte-moi encore, mamita.
— Qu’est-ce que tu veux entendre, cariña ?
— Le lac Atitlán, près de là où tu vivais.
— Ah, le lac ! On le considère comme l’un des plus beaux du monde, tu sais ? »
Mamita ménageait l’effet de son récit. Je le connaissais par cœur, mais je faisais semblant de le découvrir.
« Son eau est si bleue qu’on pourrait la confondre avec le ciel. Il est entouré par trois grands volcans. Quand le xocomil souffle dans la journée, il soulève des vagues grandes comme celles de l’océan, qui renversent les embarcations des pêcheurs. Les Mayas considéraient cet endroit comme un lieu sacré. La légende raconte que le lac aurait été formé par les larmes d’une femme ayant fui le monde civilisé.
— Toi aussi t’es partie, mamita.
— Pour la femme de la légende, c’est différent : elle s’en serait allée pour vivre au plus près de la nature. »
Nos questions-réponses étaient parfaitement rodées.
« Et sais-tu comment les habitants surnomment le lac, mija ? »
Je feignais de l’ignorer.
« Grand-mère Atitlán. Une façon pour les autochtones de montrer leur tendresse pour lui.
— Pourquoi t’es pas restée dans cet endroit si merveilleux, mamita ? »
À ce moment-là, un voile contrariait la surface lisse de son visage aussi rond qu’un ballon. Puis ses yeux noirs pétillaient de malice lorsqu’ils se posaient sur moi.
« Parce que je suis tombée amoureuse de ton grand-père, cariña. »
Cette réponse me ravit toujours autant. Je me figure ma grand-mère comme Rose, dans Titanic, qui, si elle avait eu un destin plus heureux, se serait enfuie pour vivre son amour avec Jack Dawson. J’admire mamita, ce petit bout de femme qui s’exprime dans un français impeccable, mais roulera les r jusqu’à la fin de sa vie. Nos conversations sans fin ne s’arrêtaient que lorsque papa nous rejoignait dans le salon, où il disputait alors gentiment sa mère :
« Qu’est-ce que tu lui racontes encore ? »
Il connaît ces récits. Les mêmes ont bercé son enfance.
À présent que j’ai grandi, papa ne nous reproche plus nos messes basses. Les sujets qu’on aborde ensemble ont changé, ils sont plus sérieux. Elle est devenue ma confidente, en remplacement de maman.
Maman… Elle me manque tellement ! Le jour où elle est morte, j’ai cru que moi aussi je l’étais. J’aurais préféré, pour ne plus ressentir cette affreuse douleur au creux de ma poitrine. Un manque vertigineux. Des cauchemars en pagaille, suivis d’insomnies. Des crises d’angoisse. Une envie de hurler en continu. Des pleurs sous l’oreiller. Une violente tempête m’a secouée durant des mois, après l’accident. Il a fallu qu’on m’aide à vivre sans maman. J’ai passé des heures chez la psy, reçu le soutien de ma famille. Même quatre ans plus tard, la perte de l’être le plus important de mon univers me brasse de l’intérieur, comme si je ressortais d’un cycle entier dans le lave-linge. Ma psy dit que le drame m’a expulsée de l’enfance, alors que le processus demande en général des années. L’adolescence est faite pour ça. Pour ne pas ficher en l’air ma guérison, j’évite de trop penser à maman.
— J’ai essayé d’être tes yeux, mija.
— Je voudrais voir avec les miens.
J’ignore comment le faire comprendre à mamita, c’est un besoin qui ne s’explique pas. Il se ressent, de la même façon que l’amour dans le cœur.
La partie de cartes vient de se terminer, papa entre dans la pièce. Il plie son corps en deux pour embrasser sa mère et me presse le genou pour me donner le signal du départ. Papa n’a pas de problème de taille, lui : papy lui a légué son grand gabarit. On se lève. Mamita m’enlace affectueusement. J’aimerais tant me réveiller un matin, et apprendre qu’on partage finalement le même sang, elle et moi. Ça faciliterait tellement les choses.
— Ça ne change rien, cariña, me dit-elle souvent. Toi et moi, on s’aime pour toujours.
— C’est pas une question d’amour, mamita, mais de sang.
— Je sais, mija, je sais.
Papa me tire de mes pensées :
— Tu es prête, ma puce ?
— Zacharias, n’oublie pas le plat que je vous ai mis de côté !
Comme mamita prévoit toujours à manger pour un régiment, on emporte les restes pour le lendemain soir. Après de dernières embrassades, on regagne la voiture. J’agite la main derrière la vitre en regardant les silhouettes de mes grands-parents rétrécir. Lorsqu’on tourne à l’angle de la rue, mon sourire s’efface.
— Tu as passé une bonne soirée, ma chérie ?
Je me contente d’un vague grognement et j’enfonce mon casque sur mes oreilles.
Le silence enveloppe le trajet du retour, comme c’est le cas ces derniers temps si je ne fais pas l’effort de le briser. Je n’ai pas encore coupé le moteur que Maya claque la portière et court se réfugier dans la maison. La suite, je l’anticipe au détail près : elle va s’enfermer dans la salle de bains pendant de longues minutes, laisser l’eau couler jusqu’à ce que je lui rappelle qui paie la facture, et se précipiter dans sa chambre après m’avoir embrassé du bout des lèvres. Je n’ai pas besoin de réclamer mon baiser du soir, elle me devance toujours, seulement pour m’empêcher de faire irruption sur son territoire quand elle sera sous la couette, toute à ses pensées, à ses rêves, à ses désillusions. À ses larmes, peut-être. Il est loin, le temps du rituel du coucher. Comment en serait-il autrement ? Elle a grandi, certes, mais ce n’est pas avec moi qu’elle partageait les câlins-pieuvres, les histoires qui n’en finissaient jamais. Elle réclamait toujours que ce soit Catherine. J’endossais le rôle du coupeur de cordon, de celui qui annonçait la fin des moments de complicité mère-fille, quand j’entrais dans la chambre pour déposer un baiser sur le front de Maya. Je la chatouillais en lui souhaitant bonne nuit, et alors Cat me réprimandait tendrement :
— Comment veux-tu qu’elle s’endorme, après ça ?
Je m’affale dans un fauteuil du salon. La main que je passe sur mon visage ne parviendra pas à en chasser la fatigue. Je me sens tellement las. Mon regard dérive au hasard, s’accroche à quelques souvenirs ici ou là dans la pièce. Comme toujours depuis quatre ans, il revient s’attarder sur le cadre posé sur le guéridon proche de mon siège. Je n’ai qu’à tendre le bras pour l’attraper. C’est si facile que je ne cherche pas à retenir mon geste. Trois visages souriants dont deux se contemplent. Le troisième est un peu en retrait. Il n’est pas moins heureux, non. On le croirait juste spectateur. Si ça avait été lui qui avait disparu, ça n’aurait pas été pareil, ne puis-je m’empêcher de songer en étudiant la photo. Les deux autres semblaient se suffire à elles-mêmes.
« Mais qui aurait été là pour veiller sur nous ? » me corrige la voix de Cat.
Chaque fois que mon inconscient m’apporte cette réponse, je reconsidère l’image. L’homme n’est pas en retrait, seulement à côté. Il s’émerveille de l’amour magique et pur qui relie sa femme à cette petite fille de 5 ans. Il est heureux pour elles, fasciné que tant d’affection irradie de leur trio, car il sait qu’elles l’aiment aussi profondément.
Pourquoi ce portrait me fait-il l’effet d’être celui d’une autre famille ? Peut-être parce que tout a changé depuis. Cat est morte, Maya a neuf ans de plus et des strates d’innocence en moins.
La porte de la salle de bains s’entrouvre à l’étage, sans que j’aie eu besoin d’intervenir. Je m’empresse de reposer le cadre. Je refuse que Maya assiste à ces moments de nostalgie. Ses pas de poupée résonnent à peine dans l’escalier. Elle se renfrogne un peu en s’avançant et me tend la joue.
— Bonne nuit, ma puce.
Dans le grognement qui suit, je crois déceler des mots identiques aux miens, sans surnom affectueux. Elle disparaît aussi vite qu’elle est arrivée pour rejoindre sa chambre. Je reste à ma place sans bouger. De nombreuses minutes après l’avoir entendue refermer sa porte, je me saisis à nouveau de la photo. Je me sens si seul. L’entrevue avec le directeur du collège m’a anéanti. Je n’aurais jamais imaginé ma fille capable de gifler quelqu’un. En même temps, l’autre l’a bien cherché. Je suis fier, au fond, qu’elle se soit défendue. Pardonne-moi, ma puce, de ne pas réussir à te protéger de toutes les horreurs du monde. Pourquoi ne l’ai-je pas tout simplement rassurée avec ces mots ? Peut-être qu’elle se serait sentie davantage comprise… L’ennui, c’est que je ne parviens plus à anticiper ses réactions. Depuis quand ma fille m’est-elle devenue aussi étrangère ?
Je caresse le visage de Cat, son sourire immuable. Elle me manque tant. Il m’arrive de jouer à un jeu dangereux. Moins que les premiers mois qui ont suivi son départ subit, mais trop souvent encore. Je ferme les yeux et je m’évade en pensée dans un chapitre de notre vie ensemble. Je m’y replonge sans retenue, comme si je revivais la scène avec la même intensité. Je ressors sonné de ces allées et venues dans le passé, comme si j’avais oublié qu’elle n’était plus là, fauchée dans la fleur de l’âge sur son vélo tout neuf par un automobiliste qui ne l’avait pas vue arriver. Ça fait mal, et pourtant je recommence. Mes souvenirs sont des remèdes à mes soirées de désespoir. L’amour a le pouvoir de tout garder en mémoire. À moins qu’il n’embellisse le passé.
Ce soir, j’éprouve le désir de penser à elle, rien qu’à elle. Pour oublier un instant les tracas de mon rôle de père.
— Vous ne pouvez pas faire la queue comme tout le monde ?
— Désolé… avais-je bredouillé.
Puis, enhardi par un plongeon dans les yeux bleus de ma compagne de route :
— C’est ma femme… Elle ne se sent pas très bien. C’est qu’elle est enceinte, vous voyez. La fatigue, tout ça…
La dame avait grommelé :
— Oui, c’est ça… Moi aussi je suis enceinte !
Tandis qu’une autre avait repris à nos côtés :
— Le premier trimestre, je sais ce que c’est ! Vous devriez demander à passer devant.
— Eh bien, c’est que…
— Oh non, m’avait interrompu ma « femme ». Je n’ai pas moyen de le prouver et si les gens montrent si peu de bienveillance…
Sa remarque avait cloué le bec de la quinqua et nous étions restés à cet endroit de la file. L’inconnue se tenait à mes côtés, droite, malgré la fatigue qui tirait ses traits. Je mourais d’envie de lui parler, mais la proximité de nos voisines me paralysait. Nos chemins s’étaient séparés au passage du contrôle des billets, avant que j’aie trouvé un moyen de lui demander son prénom. Mon train se dirigeait vers La Rochelle, alors que le sien, pour l’instant raccordé au mien, partait pour Bordeaux.
— Bon, eh bien, au revoir, m’avait-elle murmuré.
— Au revoir.
Emporté par le flot des voyageurs, je n’avais pas tenté quoi que ce soit. Son visage m’avait hanté des jours durant. Comment la retrouver ? Je ne connaissais rien d’elle, si ce n’est la ville où elle se rendait. Bordeaux était trop grand pour que je me lance à sa recherche sans plus d’informations, et puis, comme moi, elle avait pu descendre avant le terminus.
L’occasion s’était présentée d’elle-même deux mois plus tard. Un éditeur parisien à qui j’avais laissé des copies de mes créations était intéressé par mon travail et souhaitait me proposer un projet. J’étais donc retourné à Paris, le cœur gonflé d’espoir. C’est dans le métro que je l’avais revue. Pas elle, enfin pas directement : son visage dans un magazine oublié sur un siège. J’avais sursauté en la reconnaissant et je m’étais précipité pour ramasser la revue. J’avais du mal à y croire. Elle s’appelait Catherine Bondoux et était romancière. Elle posait pour promouvoir la sortie de son nouveau roman. Son second. Le journaliste présentait le précédent comme un best-seller. Vraiment ? Elle semblait si jeune… J’avais fourré l’article dans ma besace et y avais pensé toute la journée. À l’issue de mon entretien, j’avais décidé de m’installer dans un café pour écrire à Catherine Bondoux.
Bonjour,
Nous nous sommes rencontrés le mois dernier, dans la gare Montparnasse. Vous vous souvenez, nous avons fait croire que vous étiez enceinte ? nous avons joué au couple pour éviter l’attente interminable. Je n’ai pas oublié votre visage. Votre visage me souriait ce matin dans le métro parisien, dans un magazine oublié là. C’est un signe, vous ne croyez pas ? J’ai pensé que nous aurions pu faire plus ample connaissance autour d’un verre. Comme je ne sais pas où vous vivez, je me risque à vous proposer un rendez-vous dans la ville de destination de votre train. Retrouvons-nous au bistrot des Halles de Bordeaux, le samedi 28 mai à 18 heures.
J’avais réécrit la lettre au propre, ajouté mon numéro de téléphone, et griffonné un rapide dessin de nous deux à la gare, au milieu d’une foule anonyme. Mes esquisses sont bien plus éloquentes que des mots. J’avais acheté une enveloppe pour y glisser ma lettre et y avais inscrit le nom de Catherine Bondoux. Puis j’avais fait un détour avant de prendre mon train, par l’adresse de sa maison d’édition, trouvée dans l’annuaire consulté chez mon éditeur.
Deux semaines plus tard, comme convenu, j’attendais sur la terrasse du bistrot des Halles. J’espérais que la lettre avait eu le temps de lui parvenir. À 18 h 30, elle ne s’était toujours pas manifestée. Je commençais à perdre espoir, quand je l’avais vue apparaître au coin de la rue. Elle marchait tranquillement. Auréolée de sa chevelure claire, on aurait dit un ange. Je m’étais levé avant qu’elle ne me repère, et lui avais souri comme un idiot. Son expression reflétait un intérêt sincère. Accroché à son regard, j’avais compris qu’à la gare j’avais été frappé d’un coup de foudre. Un vrai. Comme ceux qu’on lit dans les livres.
— Bonjour.
— Bonsoir. Désolée pour le retard, ça circule beaucoup à cette heure. Vous m’attendiez encore ?
Elle semblait ne pas en revenir.
— Je… j’allais partir. Mais je me disais que ce serait dommage d’avoir fait toute cette route pour rien.
— Eh bien, je suis là.
— Oui, vous êtes là.
Je la dévorais des yeux.
— Vous avez un physique de dieu grec, avait-elle lancé à brûle-pourpoint.
J’avais gloussé, à la fois flatté et gêné par ce compliment inattendu.
— Vous êtes grand, athlétique. Et vous avez ce nez…
— Mon nez ? Oh, un nez grec est beau et droit. Le mien est plutôt crochu. On dirait même qu’il est cassé au niveau de l’arête…
— Vous avez un nez aquilin. Je trouve ça très sexy.
— Vous voulez dire que vous avez accepté mon invitation grâce à mon nez ?
— Peut-être…
Le serveur à qui j’avais déjà commandé deux cafés était venu à notre rencontre. Catherine avait choisi une bière, j’avais pris la même chose. Elle était directe, insolente. Elle avait trois ans de plus que moi. Nous nous plaisions. La discussion était fluide, notre désir, grandissant. Nous n’étions pas encore sortis du bar que je savais que nous passerions la nuit ensemble.
Nous avions fait l’amour le soir même, dans une chambre d’hôtel du centre-ville de Bordeaux. Elle habitait un village à côté. Au petit matin, alors qu’elle se levait pour fumer à la fenêtre, elle m’avait lancé :
— Ce que tu as dit l’autre jour aux passagers de la gare, ça n’arrivera jamais. J’ai appris il y a quelques années que j’étais stérile. Je ne pourrai jamais avoir d’enfant.
Elle disait cela sans me regarder. Elle forçait sa voix à paraître détachée, mais ses épaules tendues trahissaient son émotion.
— Ça ne change rien. Ce qui compte, c’est toi.
Je l’avais rejointe pour l’enlacer. Nus, lovés l’un contre l’autre, nous étions tournés tous les deux dans la même direction. Vers l’avenir.
J’observe ma planche à dessin, avec les quelques personnages esquissés depuis ce matin. Décidément, ce n’est pas avec cet état d’esprit que je risque la surproduction. Aucune variante ne trouvera grâce aux yeux d’Alfred, mon partenaire qui s’occupe des textes. Je n’ai pas réussi à retranscrire cette joie de vivre qu’il voit « se dégager du lapin ». Quoi de plus normal, elle m’a fait défaut toute la journée ! D’ailleurs, faut-il vraiment que le héros de ce nouveau projet soit un lapin ? L’animal évoque plutôt la vitesse, la compétitivité, voire la timidité. Mais la joie de vivre…
La sonnette interrompt le fil de mes pensées. Je file ouvrir tout en remettant de l’ordre dans ma tenue débraillée. Audrey, la meilleure amie de Maya, qui habite à quelques pâtés de maisons, se tient sur le perron.
— Salut, Audrey. Tu cherches Maya ? Elle n’est pas encore rentrée, elle est en colle…
— Bonjour, monsieur Lambert. Non, je viens juste lui rapporter un livre qu’elle a oublié. Elle en aura besoin pour lundi, on a des exos à faire en maths…
— D’accord, merci.
Je récupère le manuel et m’apprête à prendre congé, mais Audrey, d’ordinaire plutôt farouche, reste immobile.
— Il y a autre chose ?
J’attends, mais elle trépigne d’un pied sur l’autre. Son malaise devient contagieux.
— Que s’est-il passé ? Est-ce que Maya va bien ?
— N… Non…
Une brusque bouffée d’angoisse m’envahit.
— Bon, ben, entre. Je vais t’offrir un jus de fruits et tu vas tout me raconter.
Audrey hésite, jette un coup d’œil dans la rue comme si elle avait peur d’être prise en flagrant délit.
— Il faut que j’y aille. Je voulais juste vous dire que Maya ne va pas bien.
J’ai soudain l’intime conviction que le livre n’était qu’un prétexte pour venir me parler.
— Il faut que tu m’en dises plus, Audrey, parce que… Que Maya n’ait pas le moral, je le sais depuis la mort de sa mère.
— Elle dit qu’elle aimerait fuguer.
— Quoi ? Mais pourquoi ?
— Elle parle sans cesse du Guatemala. Elle voudrait y aller.
— C’est ce qu’elle t’a dit ?
Audrey reporte son attention sur ses Converse bleues défraîchies, et hoche la tête.
— Elle n’est pas heureuse ici ?
— Elle dit qu’il lui manque quelque chose. Vous savez, c’est en rapport avec ses racines.
— Est-ce qu’elle t’a dit qu’elle voulait fuguer pour se rendre au Guatemala, ou qu’elle projetait de le faire si je ne l’emmenais pas là-bas ?
Mal à l’aise, la jeune fille hausse les épaules.
— C’est important, insisté-je, en évitant de la brusquer.
— Elle aimerait que vous partiez ensemble, je crois.
— Tu crois ?
— Oui.
— De toute façon, elle a 14 ans et pas de passeport. Elle ne pourra pas s’y rendre toute seule, me rassuré-je à voix haute.
Audrey s’impatiente, pressée de mettre un terme à notre conversation.
— OK. Bon, tu peux rentrer chez toi, Audrey. Bonne soirée.
— Bonne soirée, monsieur Lambert.
— Et… euh… Audrey ?
— Oui ?
— Merci.
Je suis des yeux sa silhouette qui court vers chez elle, tout en songeant que, décidément, j’ai tout raté avec Maya.
Allongée sur mon lit, j’explore le contenu de la pochette verte qui n’a pas quitté le tiroir de ma table de nuit depuis des années. C’est papa qui me l’a remise après la mort de maman. Je me souviens comme si c’était hier de ce jour où il avait frappé à ma porte, que je fermais depuis peu. Ma tristesse s’était évaporée momentanément, devant son air penaud.
— Tiens, ma puce. C’est pour toi.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Ouvre, tu verras.
J’avais fait claquer les élastiques des rabats de la chemise, mais il avait retenu mon geste.
— Attends. Tout compte fait, ça mérite que je te prépare un peu.
Il s’était assis sur l’édredon rose que je refusais qu’il passe en machine parce qu’il portait encore l’odeur de maman.
— Ta mère et moi avions convenu de te l’offrir pour tes 10 ans. Tu les as eus il y a deux mois maintenant, mais je n’ai pas eu le cœur de le faire plus tôt, avec ce que nous venons de traverser.
— C’est quoi ? avais-je répété, au comble de l’impatience.
— Nous t’avons adoptée, nous ne te l’avons jamais caché. Il s’agit du dossier qui a été constitué à l’époque.
En l’ouvrant, un passeport était tombé sur le matelas. Le mien. Je m’étais reconnue sur la photo d’identité. Maman m’avait déjà montré des clichés où j’avais à peu près la même bouille. J’avais parcouru l’ensemble des documents pendant que papa m’observait en silence. Tout ça ne représentait pas grand-chose pour moi, juste de vieilles reliques appartenant à une vie que je ne connaissais pas.
Une carte représentant la Sainte Vierge se trouvait dans le dossier. En la voyant, j’avais pensé au Pèlerin Magazine que mamita recevait chaque semaine.
— Cette image témoigne sans doute de ton passage à l’orphelinat, avait expliqué papa.
Il m’avait fallu un peu de temps avant de poser des questions sur les papiers qu’il m’avait transmis. J’étais revenue à la charge plus tard.
— Ça sert à quoi, un dossier d’adoption ?
— Il contient tous les documents établis dans le but de te confier à une autre famille, ainsi que tes papiers d’identité.
— Est-ce qu’on doit le garder ? Parce que, maintenant, j’ai une carte d’identité française.
Papa s’était troublé. Il avait cherché ses mots.
— C’est important… Tout cela raconte le début de ton histoire. Certains parents adoptifs choisissent de ne pas remettre ce dossier à leur enfant. Je pense que c’est une erreur.
— Pourquoi ?
— Parce qu’il t’appartient, Maya. À toi et à personne d’autre. Je n’ai pas le droit de te voler ton passé. Tu comprends ?
— Mouais. Qu’est-ce que je vais en faire ?
— Eh bien, il pourrait t’être utile, un jour. Quand certains adoptés comme toi deviennent de grandes personnes, ils ont parfois envie de partir à la recherche de leurs racines.
Sans rien ajouter, j’étais retournée dans ma chambre, où j’avais planqué la pochette dans ma table de nuit. Papa m’avait bouleversée. Une fois adulte, j’aurais donc envie de remonter le temps ? Est-ce que je voudrais changer de parents ? Cet objet pesait en fin de compte un poids énorme. Je voulais oublier que je détenais quelque chose d’aussi important. Enfin, j’ai essayé. Parce que, en vrai, ça me trottait souvent dans la tête. La chemise a fini par devenir plus réconfortante que flippante. Un ultime lien avec ma première vie. J’éprouve parfois le besoin de la ressortir. Comme ce soir.
Je lisse mon extrait d’acte de naissance du plat de la main. « Guatemala Ciudad », est-il écrit en face de « lieu de naissance », en grandes arabesques démodées.
Un bruit sur le palier me fait sursauter. Je m’empresse de ranger le dossier à sa place, au cas où papa débarquerait dans ma chambre. Je l’entends qui furète dans celle d’à côté, avant de redescendre. Je me sens toujours coupable de m’intéresser ouvertement à mon passé. C’est pour ça que j’ai envoyé Audrey lui transmettre le message. Plus facile que de lui en parler moi-même. J’espère qu’il a compris, au moins. Je repense à ces batailles qui méritent d’être menées. C’est peut-être de ça qu’il voulait parler. Toute cette histoire est bien compliquée ! Je prends un livre pour m’évader un peu.
Une délicieuse odeur monte de la cuisine jusque dans ma chambre et me chatouille les narines. Pourtant, quand papa appelle :
— Maya ! À table !
Je braille :
— Pas faim !
Mon estomac proteste, je l’ignore en relisant pour la troisième fois de suite la phrase de mon roman, Quatre filles et un jean, d’Ann Brashares. J’ai du mal à me concentrer sur ma lecture. Je reste plutôt attentive aux bruits qui viennent du rez-de-chaussée. La réaction de papa ne se fait pas attendre. Il vient frapper doucement à ma porte.
— Je peux entrer ?
Il passe une tête et je fais mine de sursauter. Je me replonge dans mon livre. Enfin, je fais semblant. Question jeu d’acteur, y a du niveau ! Papa s’approche et s’assoit sur le bord de mon lit.
— Maya, est-ce qu’on peut discuter ?
Je vois bien qu’il ne sait pas trop comment s’y prendre. Quand il est venu me chercher au collège tout à l’heure, il m’a parlé de mon heure de colle. Il voulait s’assurer que ma punition m’avait fait cogiter. Moi, j’avais juste envie d’oublier l’humiliation. Je pose mon bouquin sur ma poitrine et contemple le plafond. Je sais que j’ai l’air rebelle comme ça, les bras croisés, le regard déterminé et le visage aussi fermé qu’une porte de prison. C’est plus fort que moi. J’ai besoin de mettre cette barrière entre nous. Parce que lui, il aurait tendance à s’ouvrir trop spontanément, à prétendre qu’il est heureux avec moi seule, sans maman. Contrairement à ce que je laisse souvent croire, je sais qu’il tient à moi. Il me le répète et me le prouve tout le temps. Mais il s’obstine à le faire à sa sauce, sans comprendre que j’ai changé. Que notre vie a changé.
— J’ai bien conscience que c’est compliqué entre toi et moi en ce moment…
Ça y est, le voilà reparti dans un de ses longs discours chiants comme la pluie, qui sert juste à essayer de me faire penser comme lui. J’ai trente ans de moins, moi, et pas la même histoire. Il continue son monologue, sans que j’y prête attention. Régulièrement, je hausse les sourcils. D’habitude, ça finit par l’énerver. Là, il ne le remarque même pas. J’hésite à reprendre mon livre, mais ce geste risque de le braquer.
— Tu ne dis rien, ma puce ?
Je grogne. J’ai remarqué que c’est une réponse assez neutre. Tout dépend de quelle façon la personne en face veut l’interpréter.
— Et sinon, j’ai une idée… Juste comme ça. Je ne sais pas ce que tu vas en dire, mais… Ça te plairait que je t’emmène visiter le Guatemala ?
Je me fige, en faisant mon maximum pour ne manifester aucune émotion.
— Après tout, tu es née là-bas et mamita t’en parle souvent. Et moi, je n’y ai jamais mis les pieds, alors… Bon, sauf la fois où on est venus te chercher, avec maman. Mais on n’a pas vu grand-chose. Ça pourrait être l’occasion. C’est une simple idée, hein, si tu n’en as pas envie, on n’est pas obligés.
Mon petit papa, tu as pensé à ça tout seul ?
— Mamita viendrait avec nous ?
— Non. Enfin, je ne lui en ai pas encore parlé. Si elle veut, elle pourra bien sûr. Dans un premier temps, c’est toi qui décides.
Je me retiens de crier : « Évidemment ! » Bien sûr que je meurs d’envie de retourner dans mon pays natal ! Faudrait être aveugle, avec tous les signaux détournés que j’envoie – mes exposés sur l’Amérique centrale, mes discussions interminables avec mamita, mes questions sur mon dossier d’adoption –, pour ne pas s’en rendre compte. Je n’en ai pas envie pour retrouver ma mère biologique – je sais qu’elle a choisi de m’abandonner parce qu’elle était trop pauvre –, juste pour renouer avec le pays qui a été le témoin de mes premiers mois, pour découvrir qui je suis, au fond de moi.
Je ne sais pas pourquoi je ne lui explique pas tout simplement. Papa est intelligent, il comprendrait. Mais peut-être qu’il se dirait aussi que si je ressens ce mal-être profond, c’est qu’il n’a pas été à la hauteur. Et peut-être qu’il regretterait d’avoir adopté une enfant aussi compliquée. Alors je réponds :
— Ouais, pourquoi pas.
— Bon, je te laisse réfléchir à tout ça. De toute façon, rien ne presse, on a tout le temps. Il faudra juste qu’on te fasse faire un passeport. Ensuite, ce sera quand tu te sentiras prête.
Il se relève, s’éloigne de quelques pas, puis se retourne.
— Au fait, j’ai fait du chili con carne, si tu en veux.
— Oui, oui, j’arrive.
Je me mords la lèvre, ravalant un peu tard l’enthousiasme dont je viens de faire preuve. Papa l’a senti lui aussi. Je devine son sourire en coin alors qu’il quitte la chambre.
Je crois avoir trouvé le moyen d’apaiser la colère de Maya. Elle contient encore sa joie, ne la laisse pas éclater tel un feu d’artifice, comme lorsqu’elle était petite. Mais je sens son exaltation sous les sourires timides. J’ai espoir que nous soyons sur la bonne voie.
Aller au Guatemala. J’ai sorti ces mots avant d’avoir pris le temps de réfléchir à leurs conséquences. Je l’ai fait pour elle, parce que je sentais que c’était la seule solution pour nous rapprocher. Pourtant, retourner dans ce pays n’a jamais fait partie de mes plans. Nous n’y sommes allés qu’une fois, avec Cat, pour ramener Maya à la maison. Nous avons été fiers d’extraire un bébé de 7 mois de cet endroit du monde ravagé par la guerre civile. Les conflits ont pris fin huit ans après l’adoption de Maya. J’en garde aujourd’hui encore l’image d’un pays marqué par la violence et les traumatismes. La fuite de ma mère y est sans doute aussi pour quelque chose. Pourquoi aurais-je envie d’y remettre les pieds, si ce n’est pour Maya ?
— Le Guatemala te manque ?
Ma question abrupte interrompt son geste. Elle repose la tasse qu’elle était en train d’essuyer et plonge ses yeux perçants dans les miens.
— Pourquoi cette question, mijo ?
Elle se détourne et reprend son torchon. Le passé de ma mère est un sujet tabou entre nous. Elle ne m’a jamais confié autre chose de son histoire que le fait qu’elle se soit enfuie avec mon père. Elle a dû quitter pour toujours ses parents, sa sœur et son petit frère. Je n’ai jamais éprouvé d’intérêt pour cette famille inconnue qui me paraissait si lointaine, presque irréelle. La douleur de l’absence m’a toujours semblé anesthésiée chez ma mère, alors j’ai évité de la raviver par des questions.
— Je vais y emmener Maya, annoncé-je platement.
Devant l’évier, dos à moi, ma mère se fige.
— Tu vas quoi ? s’exclame-t-elle en faisant volte-face.
— Tu penses que c’est une erreur ?
Elle secoue la tête sans que je parvienne à saisir le fond de sa pensée. Elle s’approche et m’agrippe le bras.
— Zacharias, c’est bien toi ? Qu’est-ce qui t’arrive ? C’est la petite qui te l’a demandé ?
— Oui. Enfin, oui et non. Disons qu’elle a fait passer le message par une copine.
— Alors, il faut le faire, mijo. Il est temps. Tu dois écouter ta fille et ce qu’elle a dans le cœur. Elle et moi, on est pareilles. Le Guatemala coule dans nos veines.
— Dans les miennes aussi, figure-toi.
— Non, toi, c’est différent. Tu es né ici.
— Maya était encore un bébé quand elle est arrivée. Je veux bien croire qu’elle se pose des questions sur sa famille biologique, mais pour le reste… Elle a grandi en France. Elle ne connaît que ce pays.
— Mijo, tu ne comprends pas. Le Guatemala vit en elle. Même l’enfant qui vient de naître ressent les vibrations de ses terres. Quand elle était encore dans le ventre de sa mère, sa langue l’a bercée.
— Elle apprend l’espagnol au collège et avec toi. C’est déjà ça, non ?
— Ce n’est pas qu’une question de pratique, Zacharias. Ses ancêtres l’appellent.
Ma mère tient toujours mon bras. Elle prononce ces mots avec un air un peu mystique. J’émets un petit rire pour masquer mon trouble.
— Eh bien ! J’hésite à l’emmener là-bas, finalement. À t’écouter, elle pourrait ne jamais revenir.
— Non, non, mijo ! Tu fais bien. Ce voyage va poser des images sur ce qu’elle éprouve au fond de son cœur, donner un écho à des souvenirs enfouis dans son inconscient. Assouvir sa soif de connaissances et guérir son âme.
— Waouh, tout ça à la fois ! Je retire ce que je viens de dire : je me demande pourquoi je ne l’ai pas fait plus tôt.
L’ironie m’aide à faire taire cette étrange culpabilité qui m’étreint soudain.
— Arrête de tout tourner en dérision ! me rabroue ma mère.
Puis elle balaie la cuisine du regard, comme si elle hésitait à poursuivre.
— C’est nécessaire. Catherine l’avait déjà compris.
— Comment ça ?
Je sursaute en entendant le prénom de ma femme. Je ne vois pas ce qu’elle vient faire dans la discussion. Je ne suis pas sûr d’avoir envie d’en apprendre davantage.
— Elle me disait que, quand Maya aurait grandi, vous partiriez ensemble sur les traces de son passé, parce qu’elle voudrait sûrement savoir.
Je suis interloqué par cette révélation. Il me semblait que nous étions d’accord sur ce point, Cat et moi.
— On s’était dit qu’aux 10 ans de Maya, on lui remettrait son dossier d’adoption. Cat venait de partir, alors… j’ai attendu un peu, puis je le lui ai donné pour qu’elle ait toutes les informations qui la concernent.
— Ce n’est pas seulement à ça que Catherine pensait. Ce ne sont que des papiers. Elle voulait que Maya revoie un jour son pays.
— Elle ne m’en a jamais parlé…
— C’est que tu n’étais pas très ouvert sur la question, Zacharias. Elle espérait qu’un jour tu changerais d’avis. Tu avais le temps, Maya était encore si jeune. Catherine disait que tu finirais par comprendre que c’était pour son bien. Tenía razón, ajoute-t-elle en espagnol. Elle avait raison.
On dirait bien que le grand moment est arrivé. Je finis mon café devenu froid et je grimace. Je me lève. Je dois récupérer les filles. Pourtant, une question me taraude :
— À ton avis, est-ce que Maya aimerait… enfin, est-ce qu’elle voudrait… retrouver sa mère biologique ? Je veux dire… la perte de Cat a été tellement dure pour elle…
— Non, je ne crois pas, mijo. Elle ne s’autorise pas à imaginer qu’elle pourrait la retrouver.
— Pourquoi, selon toi ?
— Oh, pour plusieurs raisons ! Parce que Cat et toi avez su combler son besoin d’affection. Parce qu’elle n’a pas encore le courage de confronter cette femme qui l’a abandonnée. Mais il y a une raison plus forte que les autres…
— Laquelle ?
— Sa loyauté.
— Comment ça, sa loyauté ?
— Dans la tête de ta fille, partir sur les traces de sa mère revient à te trahir. Toi, son père adoptif. Celui qui l’a recueillie et à qui elle doit tout.
— Est-ce qu’elle te l’a exprimé ainsi ?
— Ta fille s’est toujours montrée plus mûre que son âge, mais elle est encore trop jeune pour démêler ses émotions.
— Alors tu exagères sans doute, mamá…
— Tu te souviens des paroles du pédiatre après votre retour du Guatemala ? « Le jour où elle se mettra à pleurer, c’est que l’adoption aura été réussie. Elle vous fera suffisamment confiance pour être certaine que vous serez là pour répondre à ses besoins. » Et c’est arrivé.
— Je ne vois pas le rapport avec aujourd’hui…
— L’adoption est une série d’étapes qui demandent de la patience. Maya veut revoir son pays. Pas encore retrouver sa mère. Ça viendra. Quand elle sera prête. Et ce jour-là, tu devras la soutenir. »
« — Mon père, Jorge, a rencontré ma mère, Reyna, alors qu’il était veuf avec des enfants sur les bras. Trois garçons âgés de 10 à 3 ans. Originaire de Sololà, à sept kilomètres a nord de Panajachel, la famille de ma mère était très pauvre. Jorge occupait à ce moment-là un poste intéressant dans une plantation de café à San Juan, à l’autre bout du lac. Malgré sa situation familiale compliquée, il représentait un bon parti alors ils se sont fiancés. Un jour, le propriétaire de la riche maison où travaillait Reyna a abusé d’elle et elle est tombée enceinte. Lorsqu’elle s’en est aperçue, il restait encore deux mois avant son mariage. Jamais elle ne pourrait faire croire à Jorge qu’il était le père, puisqu’il ne la toucherait pas avant que l’union soit prononcée. Elle a donc été contrainte de lui avouer la vérité. Jorge a failli la répudier, or les prétendants ne se bousculaient pas à sa porte et il lui fallait trouver rapidement une femme pour élever ses garçons. Il l’a épousée malgré tout, en omettant délibérément de lui dire qu’il ne bénéficiait plus d’un statut privilégié : il avait été renvoyé de la plantation de café.
— Pourquoi ? la coupe Luis.
— Mi padre era impulsivo. Mon père était impulsif. Il traitait mal les ouvriers. Jusqu’à ce qu’il s’en prenne au fils d’un responsable. Personne ne l’avait mis au courant de leur lien de parenté. Mon père a toujours pensé qu’on avait fa exprès de lui cacher cette information. » p. 90
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