Ma note Ma chronique Une famille moyenne dans une ville moyenne. Gisèle et Armand se sont mariés, ont acheté une maison à Maleverne et ont donné naissance à deux enfants, des jumeaux prénommés Claire et Sam. Des jumeaux qui très vite ne vont plus se quitter, ne vont plus supporter d’être séparés. Est-ce la raison pour laquelle Gisèle va sombrer dans l’alcool ? Peut-être pas. Mais son addiction va causer de gros dégâts dans la famille. Face à un mari dans le déni, les jumeaux vont ériger leur propre système de défense pour échapper aux crises et à la violence. Jusqu’au jour où la mort engloutira cette mère. « Gisèle mourut d’une crise cardiaque, trop d’alcool et de douleur, les jumeaux avaient onze ans. Claire disait à qui était prêt à l’entendre que sa mère était morte depuis bien longtemps et qu’à présent au moins ils n’auraient plus peur. Armand se fit aider par l’un de ses frères. Il était dépassé, Sam ne montra aucune réaction face à ce qui se passait. Son monde, sa sœur n’avaient pas bougé. » À partir de ce moment, le lien fusionnel va se renforcer jusqu’à l’obsession, guidant chacune des actions de l’un et de l’autre et rendant presque impossible toute vie sociale. Les études sont interrompues, Claire va trouver un emploi dans un magasin de chaussures, Sam dans un entrepôt. Et la mort de leur père ne va pas arranger les choses. Les rumeurs commencent à enfler et le seul à essayer de ne pas les entendre est Jean, le narrateur, qui reçoit, à intervalles irréguliers, la visite de Claire. Claire, qu’il désire depuis l’adolescence, sans jamais l’avoir vraiment possédée. Claire, insaisissable, solaire, « celle qu’on regardait », mais dont le centre de gravité semble fixé vers son frère jumeau, Sam, ombre inquiète et silencieuse, auquel elle reste viscéralement liée. « Je n’ai jamais su s’ils avaient eu des amis d’enfance, ou si le monde se réduisait à deux, à eux seuls. » Avec la sensation la sensation d’une frontière invisible, d’être le tiers exclu, il va se contenter des rares moments qu’elle lui offre, s’accrocher à « la conviction étrange qu’un jour elle avait pensé à lui », avant de se mettre à la suivre en cachette. La femme qui est dans mon lit Où ? Quand ? Ce qu’en dit l’éditeur Les critiques Les premières pages du livre Maleverne avait un centre-ville sombre, les bâtiments regroupés autour d’un parc étouffaient la lumière et projetaient les ombres mêlées des façades alignées. La mairie, le commissariat et le tribunal se tenaient côte à côte dans une perspective imposante et rassurante, ici la ville semblait ralentie, suspendue, dans un contraste saisissant avec l’agitation à l’intérieur des bâtiments. Les premières années furent une période d’enchantement. La route de la gare à la maison longeait la rivière jusqu’au village, pas plus d’une demi-heure de trajet. Quand je la retrouvais, Claire n’arrêtait pas de parler, c’était comme si elle sortait d’une retraite et que j’étais le premier être humain qu’elle voyait après des jours de pénitence. Je l’écoutais, sa voix chantait. Depuis que j’étais installé dans cette maison, Claire était venue me voir tous les deux mois, sans Sam bien sûr, il n’avait jamais fait partie de notre relation. En arrivant, donc, elle commençait par le cheval et puis elle entrait dans la maison, se déchaussait, attrapait une paire de pantoufles dans l’armoire de l’entrée, ensuite elle montait à l’étage, installait ses affaires dans la chambre d’amis et me rejoignait au salon pour s’allonger devant la cheminée jamais éteinte. Quand Claire était là, je n’avais pas d’effort à faire, c’était simple, évident, elle avait tant de choses à dire, ce n’était pas une discussion importante mais c’était la nôtre, elle ne s’interrompait pas, et de visite en visite nous retrouvions nos mots. Dans ma poche j’avais gardé une enveloppe en carton, de la taille d’une petite main, celle d’un enfant ; elle était abîmée, froissée, elle ne fermait plus. À l’intérieur j’avais placé une photo de Claire, prise sur le trottoir du lycée un soir, c’est moi qui tenais l’appareil. C’était une photo de groupe, Claire était sur le côté, la tête légèrement penchée en arrière, on voyait le haut de sa robe, je m’en souvenais très bien, une robe un peu longue, bleue, les bras nus, nous étions au début de l’été. Les autres, insignifiants dans mon regard, formaient une ronde irrégulière. Je ne savais plus du tout à quel moment correspondait la photo, sans doute un début de vacances, avec notre soulagement, une excitation joyeuse, les salves de rire, et l’humour noir qui jaillissait. Nous jubilions. Moi j’étais le membre flottant du groupe, un peu là, un peu distant, je n’y avais pas vraiment de place, mais je m’immisçais. Un des garçons du groupe, Marc, était un musicien hors pair et nous avions beaucoup à nous dire sur la musique, ce qui me permettait d’entrer dans leur bande. Surtout, Claire n’était jamais très loin, jamais très loin de Sam, ils formaient un couple bizarre mais, pour se joindre à Claire, il fallait accepter Sam. Les garçons qui espéraient se rapprocher de Claire étaient mal à l’aise en présence de Sam. Mais ils ne renonçaient jamais, œuvrant pour former une bande solide et invincible. Moi j’avais Claire dans mes yeux, elle était puissante, libre, elle tissait des relations instables et bruyantes, et chacun des garçons détenait une partie des ragots qui constituaient le récit fascinant de sa vie. On murmurait sur Sam, l’alien repoussant qu’on aurait aimé voir s’éclipser tant il était une énigme. Je n’avais jamais aimé Sam, je le trouvais angoissant, et sa manière de se taire, de ne parler qu’à Claire, était proprement arrogante, les autres existaient à peine et c’était difficile à supporter. La dernière fois que je l’avais aperçu, nous nous étions croisés au centre-ville, il semblait errer, lunettes de soleil sur le nez, je pensais qu’il m’avait vu, reconnu, mais évidemment il n’était pas venu vers moi, et je l’avais évité. Il portait un large pantalon de toile épaisse noire, un polo kaki et des bottes. Je me demandais comment cela se passait à l’entrepôt, lui mal à l’aise, antipathique, j’imaginais difficilement qu’il puisse connaître un jour l’amour d’une femme, ne parlons pas de sexualité, cela me dégoûtait rien que d’y penser. Les jumeaux n’avaient jamais quitté l’appartement familial. Ils étaient nés là, c’était là aussi que leurs parents étaient morts, tout était resté à sa place, les meubles anciens, les bibelots choisis par le père, la bibliothèque pleine de vieux magazines, avec deux lampes à pétrole figées dans un coin sur la dernière étagère. En entrant, on était frappé par la lumière qui venait du salon et de la cuisine. Le ciel à toutes les fenêtres. Les chambres donnaient sur une rue calme. Les murs défraîchis étaient couverts d’une peinture mate beige, abîmée par endroits, les plafonds présentaient quelques fissures qui ébauchaient des formes aléatoires. Peu de meubles, simples, en chêne massif teinté. Dans la chambre des parents, les vêtements étaient encore là, parfaitement rangés dans la grande armoire. Gisèle était une femme déterminée qui, disait-on, maîtrisait son monde avec un peu d’autoritarisme ; Armand se laissait guider, il était plus lisse, réservé et affable. Gisèle n’avait jamais travaillé, elle se préparait à la venue d’enfants, une vie de mère au foyer qui lui convenait et dont elle attendait beaucoup de plaisir. Claire et Sam avaient trouvé immédiatement leur manière de fonctionner. Elle prenait les devants, était l’ambassadrice, le choyait et lui se laissait guider, accroché à elle en toutes circonstances. Gisèle avait tendance à s’occuper davantage de Claire, ce qu’Armand ne supportait pas bien, alors il s’intéressait à Sam, mais pendant les longues journées de travail, si Claire n’avait pas pris soin de lui, il aurait passé son temps seul à attendre. À l’entrée en maternelle, Claire demanda à être dans la même classe que Sam, ce qu’elle obtint grâce à une crise dans le bureau de la directrice. Sam et Claire étaient assis l’un près de l’autre, elle lui montrait tout. Quand un enfant s’approchait de lui, elle s’interposait pour le protéger d’un danger qu’elle était la seule à percevoir. Sam ne parlait qu’à Claire, elle était la passeuse et, même lorsque l’instituteur s’adressait à lui, c’était elle qui répondait. On s’était habitués très vite à cette mise en scène, on était même touchés par l’application de Claire alors qu’elle n’avait que quatre ans, personne n’aurait imaginé à l’époque que cela serait ainsi pour la vie entière, on se disait que Sam s’autoriserait à prendre la parole, on pensait que c’était le début et que tout cela finirait par s’arrêter. Des accès de rage, un déferlement de hurlements, des insultes et des horreurs, vous êtes pourris, je voudrais que vous soyez morts ! J’avais reçu un message elliptique, je ne viens pas finalement, ça lui arrivait de temps en temps, je ne l’appelais pas pour savoir ce qu’il se passait. Avec Claire il fallait surtout de la patience, je ne m’inquiétais pas, mais je pensais bien que c’était à cause de Sam. Je me souvenais d’une fois où je me préparais à la voir, je n’avais pas entendu mon téléphone sonner, elle m’avait laissé un message, Sam est parti ce matin, il n’est toujours pas rentré, je l’attends. Extraits « Elle observait les jambes repliées sur les draps, la poitrine couverte, le visage tourné vers elle. Elle traquait les corps, leur tensions, leurs odeurs, les peaux qui se caressent, se goûtent, elle aimait l’emprise des baisers, le mélange, elle aimait que ce soit différent chaque fois. Surtout ne pas ressembler à un couple qui se connaît, surtout ne pas se connaître, ne rien savoir, inventer, s’inventer, et regarder dans les yeux les effets des mensonges. Elle aimait sa liberté, elle avait la possibilité de partir à tout moment, pour rien, une étreinte trop serrée, une parole trop aiguë, se défaire, se lever et partir, sans explications, elle aimait la certitude de ne jamais se revoir, la jubilation que tout s’efface, elle aimait déambuler de corps en corps, dessiner une géographie secrète, que rien ne sorte jamais de la chambre du motel. » p. 127 « Les jeunes mortes étaient brunes aux cheveux longs, de taille moyenne, à peine vingt-cinq ans, personne n’ignorait la répétition, les points communs, on voyait une liste se constituer, la logique de meurtres en série, cela semait la peur, c’était facile de semer la peur à Maleverne. On ne parlait que des meurtres, seules trois personnes n’en parlaient jamais, Claire, Sam et Jean. L’agitation anxieuse ne passait pas par eux. Ces crimes ne les concernaient pas. » p. 139 À propos de l’autrice Anne Révah © Photo Francesca Mantovani Anne Révah est médecin à Paris. Elle a déjà publié au Mercure de France Quitter Venise, L’enfant sans visage, Le pays dont je me souviens et L’intime étrangère. (Source : Éditions du Mercure de France) Page Wikipédia de l’autrice Tags
★★★★ (j’ai adoré)Les jumeaux fusionnels et l’amoureux transi
Le huitième roman d’Anne Révah a réussi une histoire d’amour absolu, une histoire d’amour fusionnel, une histoire d’amour trouble et obsessionnel, une histoire de dépendance et de désir. Et une sorte de thriller haletant, fascinant, glaçant.
C’est là qu’il va découvrir qu’elle donne rendez-vous à des femmes rencontrées via une application dans un motel. « Elle observait les jambes repliées sur les draps, la poitrine couverte, le visage tourné vers elle. Elle traquait les corps, leur tensions, leurs odeurs, les peaux qui se caressent, se goûtent, elle aimait l’emprise des baisers, le mélange, elle aimait que ce soit différent chaque fois. (…) Elle aimait déambuler de corps en corps, dessiner une géographie secrète, que rien ne sorte jamais de la chambre du motel. »
De son côté iSam prend l’habitude de faire des escapades à la baie de Luniel, à une heure de Maleverne. Il y passe la soirée, parfois une journée, sans qu’on sache bien ce qu’il y faisait et il rentrait.
C’est dans ce contexte que le roman va basculer vers le thriller. Une première femme est retrouvée morte, littéralement saignée à l’arme blanche. Et alors que les soupçons se tournent vers Sam de nouveaux meurtres sont commis. « Les jeunes mortes étaient brunes aux cheveux longs, de taille moyenne, à peine vingt-cinq ans, personne n’ignorait la répétition, les points communs, on voyait une liste se constituer, la logique de meurtres en série, cela semait la peur, c’était facile de semer la peur à Maleverne. On ne parlait que des meurtres, seules trois personnes n’en parlaient jamais, Claire, Sam et Jean. L’agitation anxieuse ne passait pas par eux. Ces crimes ne les concernaient pas. »
Ce roman de silences et de loyautés muettes, d’attachements précoces et de liens inaccessibles – voire toxiques – allie la force envoûtante du mystère irrésolu et la quête désespérée d’un amoureux qui cherche à briser ce lien gémellaire qui l’éloigne de Claire autant qu’il l’obsède.
Anne Révah poursuit son œuvre feutrée et incisive sur les tensions de l’intime. Fidèle à ce qui faisait déjà la force de L’intime étrangère ou À ma reine, elle ausculte une nouvelle fois les méandres de l’identité et les fractures souterraines de la relation à l’autre, avec une acuité presque clinique — on se souvient que l’autrice est psychiatre — mais sans jamais sacrifier la poésie d’une prose retenue, pudique, frémissante. En courts chapitres qui très vite saisissent le lecteur, elle réussit à faire monter la tension. Un superbe roman, aussi angoissant qu’addictif !
Anne Révah
Éditions du Mercure de France
Roman
184 p., 00 €
EAN 9782715266551
Paru le 08/05/2025
Le roman est situé principalement en France, dans les villes imaginaires de Maleverne et Luniel.
L’action se déroule de nos jours.
Maleverne, ville figée entre son motel presque américain et sa zone commerciale, est le théâtre de la relation trouble entre Sam et Claire. Jumeaux inséparables depuis leur enfance, leur lien fusionnel fait parler. Au fil des années, Jean a pourtant appris à attendre Claire, à accepter ses silences et ses retours, à s’effacer devant son lien indéfectible avec ce frère mutique qu’elle protège envers et contre tout. Entre souvenirs d’adolescence, instants suspendus, et l’ombre persistante d’un passé familial délabré, se tisse une histoire de dépendances et de désirs inavoués.
Mais bientôt, dans cette petite ville de province sans histoire : plusieurs jeunes femmes sont assassinées. La peur d’un tueur en série se propage, les rumeurs s’emballent. Qui est vraiment Sam ? Que cache Claire ? Jusqu’où ira Jean, prisonnier de son amour silencieux et de sa patience sans limites ?
Entre fascination et malaise, Anne Révah compose ici un roman noir explorant l’ambiguïté des liens, la force des obsessions et la frontière mouvante entre l’attachement et l’enfermement.
Babelio
« Allongée sur le dos, la forme arrondie des seins blancs, les bras le long du corps, paumes ouvertes, le ventre plat se soulevant à chaque respiration, la taille étroite, le sexe ombragé, la ligne des cuisses jusqu’aux genoux, les jambes repliées, pieds posés sur des draps en désordre. La lumière avait des nuances de jaune, légère, elle semblait contourner les corps en suivant la forme, les angles. Le visage était immobile, les yeux grands ouverts.
Claire, debout, nue, peignait ses longs cheveux bouclés, noirs, lentement, face au miroir dans la chambre du motel. Enfant, c’était la mission de son père, il fredonnait pendant la cérémonie et, dans un coin de la chambre, Sam les observait.
Le centre-ville était petit et quadrillé par des lignes de bus toujours bondés qui rejoignaient la périphérie, les villages éparpillés et passaient tous ou presque par la zone industrielle et le supermarché démesuré. Le soir des rangées de lampadaires crus dessinaient des stries qui se croisaient et se déployaient dans la nuit, comme autant de repères froids.
Dans l’austère zone industrielle se trouvait un motel, un bâtiment plus long que haut, deux étages le long desquels étaient disposées les unes à la suite des autres des chambres aux portes identiques, de bois noir, avec une fenêtre rectangulaire de métal. Le tout donnait sur un parking de trente places, il suffisait de se garer, de monter à l’étage et de payer sur une borne. Pas de réception, un agent de sécurité et les femmes de ménage qui passaient le matin pour préparer les chambres. Au bout de chaque étage, un interphone pour joindre les pompiers installés quelque part dans le centre de Maleverne.
En arrivant à la ferme, elle allait voir le cheval dans l’enclos et, pendant de longues minutes, sans bouger, elle souriait.
Tout était délicat. Les heures de calme, nos voix qui se répondaient. Elle était la visiteuse que j’attendais, et je la laissais repartir confiant, nous allions revivre ces moments, elle décidait de notre rythme et ça m’allait bien.
J’avais une petite amie à l’époque, Julia, je tâtonnais, elle était discrète, très bonne élève et aussi maladroite que moi dans le rapprochement des corps. Mais j’avais Claire en tête, je parvenais sans effort à le dissimuler, mais quand elle était là je me sentais frémir, j’aimais sa voix, sa brutalité parfois, je n’osais rien, et elle me remarquait à peine. Nous n’avions jamais été dans la même classe. Lors de la soirée d’anniversaire de Marc, dans le jardin de sa maison familiale en bordure de forêt, nous dansions et buvions dans le bruit, les échos des cris, la vibration des corps. Claire était là avec Sam. À un moment, je l’avais vue trébucher en essayant d’enjamber un tabouret, elle avait chuté et poussé un cri, laissant jaillir une insulte. Deux garçons s’étaient précipités pour l’aider à se relever. Elle était furieuse et était retournée danser seule.
J’avais vu de loin sur le sol près du tabouret une sorte de portefeuille, je ne savais pas vraiment, je m’étais avancé, m’étais penché et avais soigneusement récupéré ce qui était un petit étui de cuir.
Je m’étais frayé un chemin jusqu’à Claire et lui avais tendu sans un mot ce que j’avais ramassé.
— Mais où tu l’as trouvé ?
— À côté du tabouret.
— Ah bon, c’est quand je suis tombée, tu me sauves, merci ! Tu sais, c’est un cadeau de mon frère, j’y tiens, j’ai une dette envers toi maintenant…
Elle s’était éloignée sans me regarder.
Ma soirée avait été fabuleuse, je tenais mon ouverture, je savais que maintenant ce ne serait plus pareil, j’étais tout à coup visible et ça n’avait pas de prix.
Claire le protégeait, elle l’avait toujours fait. Même avant la mort de leurs parents, ils vivaient dans leur bulle, le silencieux et sa porte-parole. Je savais même qu’il lui laissait des messages écrits, qu’il y en avait partout dans la maison, les cailloux du Petit Poucet. C’est Claire qui m’en avait parlé, je ne sais plus à quel propos.
Les murs étaient couverts d’affiches en couleur mettant en scène des paysages américains sous une lumière ardente. Les parents avaient beaucoup voyagé avant d’avoir Claire et Sam. À l’époque le père finissait ses études de notaire et ils avaient décidé de rester vivre à Maleverne. Armand et Gisèle avaient imaginé dormir dans le salon pour qu’un des jumeaux s’installe dans leur chambre mais ces derniers n’avaient jamais accepté de se séparer, même quand ils avaient dû accepter d’avoir chacun leur lit, ils se rejoignaient, leurs corps calés l’un contre l’autre. Ça n’avait pas changé, une fois adultes, seuls dans la maison après la mort de leurs parents, ils continuaient de dormir côte à côte.
Armand avait trouvé son premier emploi dans une étude du centre-ville où il avait été stagiaire, un début facile et rassurant. Longtemps, la vie avait été agréable, sans heurts.
La naissance des jumeaux avait été une épreuve, Claire avait été hospitalisée immédiatement pour une infection, et Sam semblait sonné d’être au monde. Gisèle avait été très inquiète, nerveuse, Armand plus calme et joyeux.
En grandissant, elle l’aidait pour ses devoirs, qu’elle rédigeait à sa place, elle était une enfant douée et elle prenait son rôle au sérieux. Sam n’avait pas d’amis, on se tenait à l’écart, Claire était un barrage. Durant toute leur scolarité, ils demandèrent à rester dans la même classe. Sam avait des résultats plutôt moyens, mais il s’imposait par sa présence, il était grand pour son âge, il n’avait pas l’air juvénile, elle était plus petite que lui mais continuait de jouer l’ambassadrice. Les autres se mirent à le moquer, on l’appelait le muet, on sifflait sur son passage, faisant mine de lui cracher dessus, il restait imperturbable. C’est Claire qui décidait de les rappeler à l’ordre, elle invectivait, menaçait, et demandait de l’aide pour Sam aux surveillants.
À peu près à cette époque, Sam se mit à collectionner des couteaux, qu’il achetait avec son argent de poche. Au même moment il commença à écrire des mots sur des feuilles pliées, des mots juste pour Claire. Il notait ses humeurs, ses envies, ses peurs, et Claire les gardait tous dans un cahier donné par son père.
L’alcool déclenchait les crises, elle s’en prenait aux enfants, chaque fois en l’absence d’Armand. Claire avait trouvé comment s’extraire et se protéger, elle s’enfermait dans les toilettes avec Sam, qui était figé tout le temps que duraient les cris. Gisèle lançait des coups de pied dans la porte, sans jamais la faire céder. Les jumeaux restaient cachés là pendant plusieurs heures parfois, à attendre qu’elle se couche et que tout soit immobile dans la maison. Claire sortait la première, elle allait vérifier dans la chambre de ses parents, elle voyait sa mère, une épave échouée.
Elle tirait Sam par le bras, il refusait de sortir des toilettes, il avait encore peur. Il se mettait à pleurer, après la convulsion, toujours après. Ils guettaient le retour d’Armand, collés l’un à l’autre, assis sur sol de leur chambre, toutes lumières éteintes.
Quand Armand rentrait, il comprenait immédiatement ce qui s’était passé, la scène. Les enfants ne venaient pas à lui, ils attendaient qu’il vienne les chercher, les libérer de la menace. Armand ne disait rien, il les réconfortait l’un après l’autre, les serrait dans ses bras, envahi de désolation. Il rejoignait Gisèle, le plus souvent elle dormait dans le désordre des draps, une bouteille de whisky renversée près de la table de nuit.
Il acceptait tout, sans lutter, il n’avait jamais parlé à personne de ce qui se passait à la maison, il avait tenu à distance leurs proches lorsque Gisèle avait sombré. Il avait un ami auquel il était attaché, qui travaillait dans son étude, mais progressivement il s’en était éloigné, ce n’était plus possible qu’il vienne chez lui, surtout pas qu’il voie ce que Gisèle était devenue, un spectre. Quand il le questionnait pour avoir des nouvelles des enfants et de Gisèle, Armand détournait la conversation.
Pendant des années, Gisèle avait passé ses journées couchée, absente à tous, elle se traînait dans la salle de bains une fois par semaine, se nourrissait grâce aux repas qu’Armand lui préparait et qu’il déposait sur le bureau dans la chambre. Les enfants avaient des instructions claires, ne pas la déranger, sous aucun prétexte.
Gisèle avait été une femme vive, alerte, très inquiète pour ses jumeaux, il ne restait rien d’elle, ils l’avaient perdue tout à fait.
Claire détestait sa mère plus que tout, elle haïssait ce qu’elle était devenue, Sam ne disait rien, sa douleur à lui était sourde, rentrée, il la confiait à Claire qui la dynamitait.
Elle l’attendait. Sam était coutumier du fait, il allait en général à la baie de Luniel, à une heure de Maleverne, où il passait la journée, la soirée parfois, sans qu’on sache bien pourquoi il s’y rendait, et il rentrait.
Les visites étaient toujours décidées par Claire. En général, elle me téléphonait brièvement pour me prévenir qu’elle venait le week-end suivant, me donner l’heure de son train, j’apporte des fruits de la coopérative, j’en ai pris beaucoup.
Quand ce n’était pas des fruits, c’était des pains de la boulangerie Duclos, la meilleure du centre-ville, où nous allions après le lycée pour acheter de quoi grignoter en traînant. Parfois elle apportait des bières brunes. Je ne sais pas pourquoi elle ne s’autorisait pas à venir les mains vides.
Elle avait toute seule fixé notre rythme, je la retrouvais sur le quai de la gare, avec un sac à dos noir aux sangles déchirées, elle sautillait comme une enfant, ses longs cheveux bouclés flottaient dans le mouvement.
Quand j’avais décidé de quitter Maleverne, elle m’avait fait jurer de ne pas partir trop loin, près d’une gare, tu promets ? J’avais choisi la gare, il suffisait de trouver la maison. Claire était venue visiter avec moi cette grande bâtisse entourée de champs. Elle s’était inquiétée des travaux que je devrais réaliser, tu vas t’occuper de tout ça tout seul ?
Le terrain était assez grand pour avoir un cheval, j’envisageais d’installer un abri, un enclos, l’idée du cheval la réjouissait. Avec Claire c’était toujours la même chose, elle montrait tant d’enthousiasme pour mes projets que je peinais à croire qu’elle ne serait jamais ma femme. »
« Gisèle mourut d’une crise cardiaque, trop d’alcool et de douleur, les jumeaux avaient onze ans. Claire disait à qui était prêt à l’entendre que sa mère était morte depuis bien longtemps et qu’à présent au moins ils n’auraient plus peur. Armand se fit aider par l’un de ses frères. Il était dépassé, Sam ne montra aucune réaction face à ce qui se passait. Son monde, sa sœur n’avaient pas bougé. » p. 35
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