Parmi toutes les autres

la famille Bellelli » et qui, dans son souvenir, diffère quelque peu de son dessin. Un dessin qu’elle ne retrouve plus…
Le style allègre d’Hélène Veyssier rend très agréable la lecture de ce roman d’amour qui revisite un pan de l’histoire de l’art. Dans les pas d’Adèle, on (re)découvre notamment la genèse de l’un des tableaux les plus célèbres de Degas, exposé au Louvre.
Mais on peut aussi faire une autre lecture de ce roman, celle plus intime d’une histoire d’amour, d’une passion aussi brève que marquante pour une jeune fille un peu naïve. Tout au long de sa vie, le souvenir de cette soirée de mai l’accompagnera. Et si la peinture de Degas comporte quelques secrets, Adèle gardera jusqu’à son dernier souffle celui de son amour.

La famille Bellelli – Edgar Degas

Parmi toutes les autres
Hélène Veyssier
Éditions Buchet-Chastel
Roman
176 p., 17 €
EAN 9782283039861
Paru le 6/03/2025

Où ?
Le roman est situé principalement à Paris. On y évoque aussi Labenne, Chatou et Chenecey-Buillon.

Quand ?
L’action se déroule de 1873 jusqu’au début du XXe siècle.

Ce qu’en dit l’éditeur
Adèle a quinze ans, a quitté la province pour gagner difficilement sa vie comme petit rat de l’opéra de Paris. Parmi tous ces messieurs qui viennent regarder les jeunes ballerines, elle le remarque aussitôt. Il n’est pas comme les autres. Elle sait qu’il est Edgar Degas, le peintre des danseuses. Un jour ensoleillé de mai, il s’adresse à elle. Eblouie, elle l’emmènera dans sa chambre. En la quittant, peut-être pour se dédouaner, il lui laissera un dessin – une ébauche de « Tableau de famille ». Ce roman délicat raconte cet amour tu ; et l’histoire d’un tableau mondialement connu.


Les critiques
Babelio 
Culture Tops ( Remy Démoulin) 
Page des libraires (Katia Leduc, Librairie L’Embarcadère à Saint-Nazaire) 
Blog de Pierre Ahnne 

Les premières pages du livre
« Tu veux me montrer à quoi ressemble ton chef-d’œuvre. Tu t’assieds à la table. La main en suspens et comme hésitant d’abord au-dessus du papier, de gauche à droite et d’un seul trait chaque fois, tu ébauches la silhouette de trois personnages. Ensuite, t’écartant un peu du dessin pour juger : « Voilà, c’est comme ça », tu as l’air heureux.
Tu. Ce tutoiement je n’y avais pas droit, même seule et pour moi-même, je ne l’osais qu’à voix basse, après quoi, vite, je reposais la distance : Vous. Vous étiez imposant, Edgar, altier, intimidant. Ce jour-là, pour me montrer à quoi ressemblait votre tableau, vous m’avez demandé si j’avais un papier : « Un grand papier », avez-vous dit. Par bonheur ma cousine s’essayait à l’aquarelle et j’ai trouvé une feuille. Vous l’avez déposée sur la table et vous vous êtes assis. De votre poche vous avez sorti une mine de plomb, vous avez esquissé les silhouettes puis, vous relevant, vous vous êtes écarté du dessin pour juger. Succès, parfait contentement, tout votre visage souriait, vos rides au coin des yeux, vos lèvres entrouvertes, l’humide clarté des dents.
Pendant quelques instants, vous avez observé votre dessin, puis, reprenant le crayon, attentif appliqué comme un enfant sur son devoir, vous avez précisé un à un les visages. Longuement. Trois visages. Des femmes. Ou plutôt, une femme et deux petites filles m’a-t-il semblé. Vous étiez silencieux, je n’osais pas parler. Le soleil nappait d’or une partie de la table et touchait votre main, vous vous teniez penché, une mèche de vos cheveux avait glissé sur votre front, oh comme je vous aimais.

« Voilà, c’est comme ça », aviez-vous dit.
Quatre ans plus tard, alors que je suis appuyée à une autre table, dans un autre lieu, je vous entends encore : « Voilà, c’est comme ça. » Je vous entends encore le dire et je vous vois : cette image de votre sourire, ce rayonnement de votre visage. C’est en moi. À la moindre occasion ça ressurgit et je sursaute, et toujours bien sûr c’est un leurre. Il suffit de peu : votre prénom entendu dans la rue, prononcé et qui en appelle un autre, le mot « peintre » lu ici ou là, une silhouette mince et haute, de dos entraperçue et dont j’ai peur qu’elle ne se retourne car je sais bien que ce n’est pas vous, n’importe quoi, des riens, tout ce qui, même seulement de loin, rappelle ce que je sais de vous. Elle revient, elle revient l’image, parfois je n’en peux plus. Comme si la vie hors ce sourire m’était interdite, comme si rien ne pouvait plus me plaire, plus rien me distraire de ce que j’ai vécu à vos côtés, plus rien m’arriver : j’avais quinze ans, j’en ai dix-neuf, et je suis hantée, prisonnière.
C’était en mai, à Paris, les parcs s’épanouissaient en formidables verdures. Nous étions dans ma chambre, au quatrième étage. Il y avait du vent. Par la fenêtre je voyais le faîte des arbres du boulevard d’Italie onduler : la mer. Je tendais l’oreille cherchant sans en être consciente un bruit de vagues au fond du silence, peut-être mon village, là-bas, près de Labenne, non loin de l’océan… Oui, silence. Vous ne saviez pas quoi me dire sans doute, ni comment vous comporter en dehors de l’amour, alors vous dessiniez. Vous esquissiez devant moi la réplique de ce tableau que vous aviez peint, qui avait été exposé quelques années plus tôt, et dont vous étiez fier. Vous dessiniez ce jour-là pour justifier votre silence, c’est ce que j’ai pensé, et parce qu’au fond, dessiner, c’était ce que vous faisiez le mieux.
En fin d’après-midi, après que vous y avez longtemps travaillé, il en a résulté non plus une esquisse, mais un dessin très précis, soigné, qui, moi je n’en avais pas l’idée mais pour un connaisseur aurait signé votre talent : une œuvre.
Vous me l’avez donnée, ou plutôt vous l’avez laissée sur la table. Vous êtes allé à la fenêtre, dessin oublié déjà, vous, détourné, loin, des mois en arrière, ayant rejoint par la pensée vos palettes et vos huiles, et le tableau qui vous était si cher :
« J’ai travaillé longtemps à cette toile, plus longtemps qu’à aucune autre », avez-vous murmuré, vous regardiez la rue. Après quelques secondes, vous tournant à demi et d’une voix plus forte, vous avez ajouté :
« Pour le Salon, oui, pour le Salon. »
Vous avez pris à ce moment un air grave, important, et dans cet air vous sembliez vous parler à vous-même. Je n’existais pas.
« Salon » : je vous imaginais chez vous, devant le tableau accroché sur l’un de vos murs, ou bien prenant le thé chez des amis à qui vous l’auriez offert. Je ne savais rien de votre vie ni de tout ça. Pour moi le mot salon désignait l’une des pièces d’un appartement vaste et plutôt élégant. Il n’y avait pas de salon chez la vieille femme qui me logeait depuis un an, ni non plus à Labenne chez ma mère.
Nous avons fait l’amour puis nous sommes restés un moment allongés l’un à côté de l’autre. Le soleil couchant posait sur le mur des flaques de lumière orangée. Je me souviens qu’il y avait du soleil mais du vent encore, et qu’à la fenêtre l’une des lanières qui tenaient les stores extérieurs frappait la vitre par à-coups. C’était le petit gland de bois qui termine les lanières, un bruit léger, néanmoins insistant, comme quelqu’un qui m’aurait appelée, qui sans se fâcher de ce que je ne répondais pas aurait continué, inlassablement. Je l’entendrai une autre fois ce petit bruit, des années plus tard, dans un hôtel où nous dormirons mon mari et moi, au retour d’un voyage en Andalousie. Un voyage qui m’aura émerveillée et emplie de soleil, de musique. Pourtant avec ce petit bruit tout me reviendra de cet après-midi à vos côtés. Vous m’avez caressé les cheveux, vous répétiez d’un air absent : « Tu sais je suis un peintre, un grand peintre. » Trois fois vous l’avez dit. C’était un jour de printemps, un jour de l’année 1873.

Ce temps me revient comme un cheval de bois sur un manège qu’on ne pourrait arrêter. Bien sûr je savais que je ne vous reverrais pas. Tout de suite, dès ce moment où je vous ai suivi, j’ai su cela, et que votre intérêt pour moi se limiterait à quelques heures, à un après-midi, une journée peut-être. Le dessin : un cadeau d’adieu ? J’ai pensé à celui que fait un homme à une prostituée en paiement du temps de jouissance. On m’avait mise en garde, et puis, entre danseuses nous parlions, je savais. Je savais ce qui arrivait à la plupart des ballerines, pauvres, seules à Paris, perdues. Après la rudesse des professeurs, le travail à la barre, les répétitions jusqu’à épuisement, il y avait des hommes qui venaient parfois au foyer de la danse, des abonnés à l’Opéra. Chapeaux hauts de forme, distingués ou pas, mais riches. Ils faisaient la loi. Ils choisissaient une paire de jambes, un minois, un tutu, soumettaient. Les parents derrière, lorsqu’ils vivaient en province, étaient ignorants des mœurs de la capitale. Ceux qui vivaient à Paris, avec leur fille ou non loin, semblaient la plupart du temps ne pas comprendre, ne voulaient pas savoir. Ne protégeaient pas. S’ils savaient, peut-être même voyaient-ils dans ces rencontres rétribuées la possibilité d’une ascension sociale. Les mères, certaines assistaient aux répétitions, se disaient : « Qui sait, la petite, elle est jolie, elle trouvera un homme riche qui l’entretiendra, ou mieux encore, qui l’épousera ! » Et elles pensaient « un nigaud, un benêt ». Plusieurs de mes camarades étaient obéissantes, docilement se vendaient. Dans les mansardes, dans les cuisines tristes, devant de maigres soupers, on rêvait de bien-être, de bijoux, de satin…
Mais moi, non. « Moi, ce n’était pas ça, ce n’était pas ça, je vous aimais ! » Je le dis d’un trait sans respirer, violemment et le cœur débordant de ferveur. Je vous avais remarqué un jour où vous aviez pu assister à une répétition, par passe-droit ce jour-là, car vous n’étiez pas encore un de ces abonnés aux spectacles de l’Opéra et il fallait l’être. Bref, je vous avais trouvé beau, un prince ! Vous n’étiez pas comme les autres hommes, ça se voyait, et, même en tant qu’artiste peintre, vous étiez différent. Par exemple, vous vous teniez appuyé contre un mur, sans carnet sans crayon, les bras croisés. Vous travailliez de mémoire, je l’ai su plus tard, c’était une chose connue que vous nous observiez seulement. On disait aussi que quand vous demandiez les petites pour qu’elles posent dans votre atelier, c’était uniquement pour qu’elles posent, que rien n’arrivait d’autre, vous ne vouliez rien d’autre, vous étiez différent. Le soir dans mon lit, je rêvais que vous reveniez, que vous nous observiez, je rêvais que parmi toutes les autres vous me remarquiez.
Vous étiez revenu. Parmi toutes les autres vous m’aviez remarquée.

Le dessin, je l’ai pris bien sûr, enlevé de la table, le lendemain. Ce jour-là, j’ai longuement regardé le portrait de la femme et des deux fillettes, je ne pouvais en détacher mes yeux, je scrutais. Je crois qu’à travers les trois visages je cherchais ce qu’il en était de vous, de votre regard sur elles, de vos sentiments. J’ai posé les doigts sur les corps dessinés, très doucement j’ai suivi le contour des silhouettes, et puis j’ai recouvert le dessin d’un tissu très fin, un foulard de mousseline que j’avais reçu d’une cousine pour Noël. Je l’ai roulé puis posé sur une étagère en haut de l’armoire ; pour le moment me suis-je dit, là, il ne risque rien. Il m’aurait fallu, pour le protéger mieux, quelque chose, une vitre, du verre, oui il me fallait du verre. Tout à coup j’y ai pensé. J’ai été prise soudain d’une grande envie d’avoir du verre, de mettre ce dessin sous verre. Et aussi de l’exposer. Oui, il fallait cela, il le fallait ! J’ai envisagé de faire appel au quincaillier du bas de mon immeuble pour qu’il l’encadre. Je savais que c’était cher mais peu importerait le prix : je travaillerai plus encore. Des peintres venaient chercher des modèles à l’Opéra et je posais parfois pour eux, je poserais tant qu’il faudrait, j’accepterais toutes les séances, jusqu’à ce que mes muscles soient douloureux, jusqu’aux crampes, jusqu’à la nausée, jusqu’à ne plus pouvoir. Oui, encadrer puis accrocher le dessin sur un mur de ma chambre et que, levant la tête, je le voie, chaque jour. J’ai eu cette envie, très forte : tous les jours le voir, et qu’il m’accompagne.

Je ne suis pas descendue chez le quincaillier, je n’ai rien fait. Et vous, vous n’êtes pas revenu au 12, rue Le Peletier dans la salle d’opéra. Quand elle a été détruite par un incendie en octobre 1873, ce fut pour certaines d’entre nous un joyeux chamboulement, pour moi un déchirement : je perdais le lieu où je vous avais connu. Pendant un an, les représentations se sont succédé dans un nouveau théâtre, … »

Extraits
« Moi je n’étais qu’une petite danseuse, une ballerine de l’Opéra de Paris. L’une de celles qui t’inspiraient et pour lesquelles tu venais aux répétitions. Tu m’avais remarquée, tu m’avais souri, Je t’avais suivi. Pourquoi ? Je ne sais pas, amoureuse, fleur bleue sans doute, nourrie de chansons et de contes par une fée paysanne : « Dodo, l’enfant do », je n’étais pas sortie du rêve. Et puis, la douceur de ton regard, ton air aristocratique aussi je suppose, ton assurance. Je n’avais pas eu de père.
J’avais quinze ans, tu en avais quarante. Pour toi une aventure, pour moi la première fois et le grand amour. » p. 33

« J’ai revu Cicely Hamilton, l’année suivante ; on dit joliment « une amitié particulière ». Dans un autre temps de ma vie Ça aurait pu le devenir… dans ma jeunesse. Mais là ce ne fut qu’une grande émotion, l’espace d’un jour, seulement l’espace d’un jour, et j’ai pensé à l’après-midi passé près de vous, Edgar, comme si pour moi le temps de l’amour se limitait obstinément à un jour, aussi lumineux soit-1l. Cicely et moi ne nous sommes pas revues. Je crois qu’elle m’aimait bien, mais je vivais à Paris, j’étais mariée, et, pour Cicely, l’Angleterre était son pays; son champ de bataille. » p. 130

À propos de l’autrice

Hélène Veyssier © Photo Philippe Matsas

Hélène Veyssier vit à Paris et a publié deux romans chez Arléa. (Source : Éditions Buchet-Chastel) 

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Du fond des Âges (Le Halo des Ombres – Cycle 2)