L’absent

Par Henri-Charles Dahlem @hcdahlem

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

« Nous étions intensément ensemble »

À travers un récit d’une grande sensibilité, Marie Sizun raconte quatre décennies d’un amour clandestin. Une liaison secrète entamée en Allemagne, puis poursuivie à Bruxelles et Paris, qui a pris fin brutalement et qu’elle transcende dans l’écriture. Avec pudeur, nostalgie et fierté.

Le nouveau roman de Marie Sizun est bien différents de ses précédents. Ici, on sent l’urgence de fixer sur le papier une histoire qui vient de se clore brutalement. L’absent est une bouleversante méditation sur l’amour clandestin, le deuil et la mémoire.
Dans ce récit amoureux intime, inavoué, la narratrice — une ancienne enseignante — s’adresse à l’homme qu’elle a aimé passionnément pendant plus de quarante ans. Un homme marié, partagé entre deux foyers, deux femmes, deux fidélités. « Car tu n’aurais pas supporté de te libérer d’un mariage malheureux en abandonnant deux enfants handicapés mentaux, que tu chérissais tendrement, et leur mère malade. Tu en étais incapable. Je le savais. Sans doute t’aimais-je aussi pour cela. Et j’avais pris mon parti de rester dans l’ombre. »
Leur relation, née dans un lycée allemand, s’est poursuivie à Bruxelles puis à Paris, ponctuée de retrouvailles furtives, de quelques voyages précieux en Bretagne ou en Suisse, d’attentes silencieuses et de subterfuges pour préserver l’amour tout en respectant l’autre vie. Lorsque la sœur de cet homme l’appelle pour lui annoncer sa mort un vertige s’empare de la narratrice. « Mon incrédulité quand c’est arrivé. Quand il y a eu au téléphone, mon téléphone, le téléphone de notre amour, ces mots barbares, insolites en ce dimanche matin presque printanier, baigné de soleil et de l’éclat des cloches d’une messe, ces mots irréels, fous, un peu hésitants, me disant que tu étais mort, à l’aube, dans un hôpital de Bruxelles. Que non, il n’y avait pas d’espoir. Que c’était fini. La sidération qui m’a saisie, paralysée, rendue idiote. J’étais là, debout, à côté de l’appareil qui s’était tu. On avait raccroché sans doute, ou c’était moi. Je ne sais plus. J’étais là, frappée de malheur, étrangère à la vie. »
Le roman s’ouvre sur ce choc initial, cette fracture invisible mais profonde, pour dérouler ensuite, dans une langue douce et précise, le fil des souvenirs.
Tout l’art de Marie Sizun réside dans cette manière de dire l’inavouable sans le draper de culpabilité. Il n’y a ici ni règlement de comptes, ni apitoiement. Au contraire, l’écriture se fait chant discret, traversée d’éclats de tendresse et d’émerveillement. Elle recrée les instants volés — un repas, un trajet en bus, un texto échangé — avec une précision sensorielle rare : le froissé d’un imperméable, le parfum d’un châle, la silhouette d’un homme distrait.
L’Absent dit aussi la clandestinité assumée, les week-ends de solitude, les questions sur « l’autre vie » à laquelle elle pourra un peu goûter après le décès de l’épouse, mais toujours avec une sensation de malaise.
Si cette double vie n’est pas sans amertume, elle laisse surtout une trace lumineuse, celle d’un amour inachevé mais profondément vécu. Un amour transcendé par la littérature : « « La mémoire est tissée de miracles. L’inattendu est là, avec ces souvenirs qui viennent vous prendre sans crier gare. Dans n’importe quel ordre. Les plus anodins. Les plus tendres. Les plus durs. Et tous, quel bonheur cruel de les accueillir. Parce qu’ils sont vivants alors que tu es mort. »

L’Absent
Marie Sizun
Éditions Arléa
Roman
200 p., 19 €
EAN 9782363083982
Paru le 6/03/2025

Où ?
Le roman est situé principalement en Allemagne, à Karlsruhe et environs, en Belgique, à Bruxelles et plus précisément à Uccle et Ixelles, à Paris et en Bretagne, sans oublier le lac de Bienne.

Quand ?
L’action se déroule durant les quarante dernières années.

Ce qu’en dit l’éditeur
Que savons-nous de cette femme qui vient d’apprendre au téléphone la mort de son amant, un homme marié avec lequel elle entretenait depuis plus de quarante ans une liaison passionnée et secrète ? C’est d’abord le chaos, l’hébétude, le déni. Puis remontent les souvenirs.
L’Absent est un bouleversant roman d’amour, d’une étonnante pureté, bien qu’au rebours de la morale commune. Marie Sizun nous donne ici un texte différent des précédents, et par le sujet, et par la forme. Avec une lucidité sans concessions elle va au plus près de la vérité.

Les critiques
Babelio 
Blog de Pierre Ahnne 
Blog Lectures et plus 
Blog Sur la route de Jostein 
Blog Encres vagabondes 


Valérie Expert présente « L’absent » © Production Librairie La Griffe Noire

Les premières pages du livre
« Tu es arrivé sans faire de bruit.

Tu es debout dans l’embrasure de la porte de la cuisine, là où je t’ai vu si souvent.

Mon amie Hélène qui prend le thé avec moi, assise à deux pas, ne te voit pas. Elle ne peut pas, puisque tu es mort.

Tu portes autour du cou ce foulard qui était le mien, que tu aimais à cause du parfum. Je suis heureuse que tu l’aies gardé. Qu’ils ne te l’aient pas pris.

Hélène me parle d’un livre qu’elle vient de lire. Je ne l’écoute pas.

Je te regarde, dans l’émerveillement que tu sois à. Que tu sois venu. Je crois que je tremble un peu.
Tu ne bouges pas. Tu as cet air amusé que je connais si bien, ce pétillement du regard complice. Tu n’es pas mort. Il est impossible que tu sois mort.

«Il faut absolument que tu lises ça, me crie Hélène, tu vas adorer!»
Je tourne la tête vers elle.
J’acquiesce silencieusement.

Alors je m’aperçois que tu as disparu. À la place où tu étais, il n’y a plus personne. Il n’y a plus rien.

C’est normal, puisque tu es mort. Depuis bientôt une semaine. J’avais presque oublié. Presque.
Hélène babille toujours, inconsciente de ce qui s’est passé. Aveugle. Son regard fixé sur moi, elle ne remarque pas mon émotion. Elle ne sait pas,
Cette fois je lui souris. Tu es mort, mais elle l’ignore. Pour elle tu n’existes pas.
Ici, à Paris, personne ne sait rien de notre histoire.

Le matin, je joue à faire comme si tu étais là. Je dispose deux tasses sur le guéridon de marbre de la cuisine où, quand tu venais, nous prenions le petit déjeuner, et je nous sers un café à chacun. Je ne te parle pas. Je ne dis rien. Je sais bien que tu es mort. Le café, c’est seulement un jeu entre toi et moi, moi la vivante, et toi l’absent. Mais, un instant, c’est comme si c’était vrai. Ensuite, je bois les deux cafés. Tendrement. Avec toi.

Non, je ne t’ai plus jamais vu apparaître, comme le jour de la visite d’Hélène. Je ne suis pas folle. Je n’ai pas de visions. Mais, pour moi, tu es là, car je pense presque sans cesse à toi. Consciemment ou inconsciemment. Que je sois seule ou pas. Dans la rue, au milieu des indifférents, ou chez moi dans cet appartement de Paris où tu es si souvent venu, où tu as parfois presque vécu, où tout me rappelle à toi, les objets que tu aimais, les meubles qui te connaissaient, le fauteuil que tu préférais, les livres que tu lisais. Les tableaux que tu regardais. À moins que ce soit le caprice d’un rayon de soleil, une brusque averse, la montée du soir à la fenêtre, qui ressuscitent des instants vécus avec toi, sous cette lumière, ou dans cette pénombre. Le temps qu’il fait rappelant tout à coup le temps qu’il faisait alors; ce jour-là, en Allemagne, autrefois. Ou, plus tard, à Bruxelles, tel après-midi d’été. Quelquefois, il suffit d’un air de musique survenu au hasard d’une fenêtre ouverte. D’une voix dans la rue. D’un mot entendu, isolé, écho bouleversant d’un instant de notre histoire.

Notre histoire, scandaleuse et innocente. Si longue, si incroyable sans doute. Sa banalité et son extravagance. Notre liaison, comme disaient les gens qui savaient. Presque tous en Allemagne, où nous avons été si longtemps. Quelques-uns à Bruxelles, où je t’avais suivi. Mais ici, à Paris, où j’ai fini par m’enfuir, personne ne sait rien. Rien de cet amour qui aura duré tant d’années, de cet amour scandaleux, si cruel, si heureux. Non, de cet amour je ne parle pas. Personne ne comprendrait.

Ici nous ne vivions pas ensemble. Ce n’était pas possible. C’était interdit. Tu venais me rejoindre dès que tu le pouvais, chaque mois, ou c’était moi qui allais à Bruxelles. Et, dans l’absence, il y avait le téléphone, deux ou trois appels chaque jour, sans compter les SMS nocturnes un peu hagards que, même malade, à la fin, presque jusqu’au dernier soir, tu as continué à m’envoyer.

Nous savions depuis longtemps, presque depuis toujours, que tu n’allais pas bien : tu fumais et buvais trop, diabète mal soigné, cœur usé et rafistolé à plusieurs reprises, et l’âge n’arrangeait rien. Mais, inconscients que nous étions, nous n’y prenions pas garde. À chaque alerte, chaque grosse peur, tu t’en tirais. C’était un peu comme nos dilemmes sentimentaux, la joie venait toujours après la peine, selon Apollinaire, et la joie était si grande. Certes, il y avait cette idée, presque abstraite, que tu pouvais mourir, à cause d’une attaque, subitement, comme ça. Mais c’était l’épouvantail présenté aux enfants. Une menace irréelle. Nous n’y croyions pas. Combien d’hospitalisations tu avais traversées, combien d’interventions chirurgicales subies pour le remettre en marche, ce cœur capricieux, ce cœur qui parfois s’absentait. Mais il revenait toujours, et avec lui la vie et l’espoir. L’épreuve passée, nous avions oublié. Moi surtout, si ignorante des problèmes médicaux.

Une fois pourtant, rappelle-toi, cette question qui m avait semblé puérile, idiote au moment où je te l’avais posée dans un instant de lucidité : qui m’avertirait, à Paris, étant donné notre situation illicite, marginale, secrète, s’il t’arrivait malheur ? Ce disant, je souriais. Tu te portais encore assez bien alors. C était presque une question littéraire. Un jeu amoureux un peu précieux. Et tu m’as répondu, toi, sérieusement, soudain grave. Nous étions ici, dans cette chambre, allongés sur ce lit. Je me rappelle l’ombre soudaine sur ton visage, et cela aurait dû me faire peur. Tu m’as dit que ce serait ta jeune sœur qui s’en chargerait. Je ne la connaissais pas. Mais elle était depuis longtemps ta confidente. La seule. Savait tout de notre histoire, qui la faisait, me dis-tu, rêver, elle un peu trop sagement mariée. Tu m’en avais souvent parlé, de cette petite sœur, de dix ans ta cadette, Vous vous aimiez beaucoup. Elle me fut à distance sympathique, mais je n’attachai aucune importance à l’anecdote et me hâtai de l’oublier. Mourir? Toi? C’était inimaginable. Et insupportable à penser.

Pourtant ce fut bien elle dont la voix inconnue, un dimanche matin, au téléphone, m’apprit que tu étais mort dans la nuit.

Mon incrédulité quand c’est arrivé. Quand il y a eu au téléphone, mon téléphone, le téléphone de notre amour, ces mots barbares, insolites en ce dimanche matin presque printanier, baigné de soleil et de l’éclat des cloches d’une messe, ces mots irréels, fous, un peu hésitants, me disant que tu étais mort, à l’aube, dans un hôpital de Bruxelles. Que non, il n’y avait pas d’espoir. Que c’était fini. La sidération qui m’a saisie, paralysée, rendue idiote.
J’étais là, debout, à côté de l’appareil qui s’était tu. On avait raccroché sans doute, ou c’était moi. Je ne sais plus. J’étais là, frappée de malheur, étrangère à la vie. »

Extraits
« Nous vivions pourtant un mélodrame, une histoire classique d’amour impossible, tragiquement réelle. Car tu n’aurais pas supporté de te libérer d’un mariage malheureux en abandonnant deux enfants handicapés mentaux, que tu chérissais tendrement, et leur mère malade. Tu en étais incapable. Je le savais. Sans doute t’aimais-je aussi pour cela. Et j’avais pris mon parti de rester dans l’ombre. Avec une facilité déconcertante. Inquiétante peut-être. À croire qu’il entrait dans ma résignation — et dans |a tienne, toi qui étais rongé de culpabilité et l’assumais mal — une part de masochisme. Comme si le bonheur que nous vivions ensemble, l’intensité du plaisir découvert, devaient être payés de souffrance. Que c’était justice, en quelque sorte. Nous nous voyions le plus souvent possible; d’abord de façon clandestine (la mère et ses enfants pour des raisons médicales vivaient en France, à la frontière, ce qui facilitait bien les choses); puis, au prix d’insolents mensonges. Bientôt éventés. Ensuite en fraude ouverte. Au prix d’un arrangement qui me laissait la semaine, mais m’interdisait de week-end et de vacances où tu regagnais ce que j’appelais l’autre maison, auprès de l’autre femme. Je m’en accommodait plus ou moins. Mais c’était la condition. » p. 36

« Cette dernière photo que j’ai faite de toi, juste au moment de te quitter, mais sans savoir ce qui allait arriver, cette photo machinale, non préméditée, elle m’effraie. Elle est déjà dans la mort mais nous faisions comme si nous ne le savions pas. » p. 116

« La mémoire est tissée de miracles.
L’inattendu est là, avec ces souvenirs qui viennent vous prendre sans crier gare. Dans n’importe quel ordre. Les plus anodins. Les plus tendres. Les plus durs. Et tous, quel bonheur cruel de les accueillir. Parce qu’ils sont vivants alors que tu es mort.
Vertige de penser que d’un claquement de doigts on pourrait se transporter dans le temps et dans l’espace, et être là, en tel instant aimé! » p. 122

À propos de l’autrice

Marie Sizun © Photo Philippe Matsas

Marie Sizun est née en 1940. Elle a été professeur de lettres en France puis en Allemagne et en Belgique. Elle vit à Paris depuis 2001 mais revient régulièrement en Bretagne où elle aime écrire. En 2008 elle a reçu le grand Prix littéraire des Lectrices de ELLE, et celui du Télégramme, pour La Femme de l’Allemand ; en 2013 le Prix des Bibliothèques pour Tous ainsi que le Prix Exbrayat, pour Un léger déplacement ; en 2017 le Prix Bretagne pour La Gouvernante suédoise. (Source : Éditions Arléa)

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