Superhôte

Trancher (2018), qui abordait le poids du passé et de la violence conjugale, et Un loup quelque part (2020), roman sur l’ambiguïté du lien parental et les blessures de l’enfance, l’autrice s’attelle ici à une autre forme de fracture, celle, insidieuse, que creuse l’économie de la débrouille dans les relations humaines. Une nouvelle réussite !

Superhôte
Amélie Cordonnier
Éditions Flammarion
Roman
176 p., 19 €
EAN 9782080478238
Paru le 26/03/2025

Où ?
Le roman est situé au Touquet, à Étaples, à Lille et à Paris. On y évoque aussi le sud de la France et Dingy-Saint-Clair en Haute-Savoie.

Quand ?
L’action se déroule durant les dernières années.



Ce qu’en dit l’éditeur
Deux femmes, Camille et Anaïs, prennent tour à tour la parole. Camille est la fille de Sylvie, la femme de ménage qu’Anaïs emploie depuis quinze ans dans sa maison du Touquet. Maintenant qu’Anaïs la loue sur Airbnb, Sylvie s’épuise à tout nettoyer de fond en comble avant l’arrivée de chaque nouvel occupant. La petite entreprise fonctionne jusqu’à ce jour des vacances de la Toussaint qui fait basculer leur vie et les sépare à jamais. Dévastée, Anaïs démonte un à un les mécanismes qui ont irrémédiablement conduit au drame dont elle tient Sylvie pour responsable. Révoltée, Camille refuse de voir sa mère injustement accusée.
Dans ce roman tendu et percutant, Amélie Cordonnier met en scène la dérive de nos vies où tout est à louer, la force de travail des uns, la maison des autres. Qui en paiera le prix ?



Les critiques
Babelio 
Blog Mes p’tits lus 

Les premières pages du livre
« Premier acte
Immortalisée par Harcourt, dans un savant fondu de noir et blanc, une femme me double au carrefour. J’ai presque l’impression qu’elle me toise. Au centre de la publicité, que je photographie au moment où le bus 70 me dépasse, trône une phrase entre guillemets : « Je suis mise en lumière pour sortir mon métier de l’ombre. » Blondeur hollywoodienne, regard en coin, lèvres closes, Mélanie a l’air fier, voire un peu hautain, pour une fois, tant qu’à faire. Son prénom figure dans le coin gauche de l’affiche, juste au-dessus de sa fonction : employée de maison chez Shiva depuis dix ans. Employée de maison… Est-ce que le boulot passe mieux, est-ce qu’on a moins mal au dos et aux articulations grâce à cette expression ? Est-ce que j’aurais eu moins honte à l’école si je l’avais utilisée sur la fiche de renseignements de début d’année, juste en dessous de mon nom, Camille Bonhomme ? Profession de la mère : employée de maison. Est-ce que ces trois mots-là m’auraient moins gênée que femme de ménage ? Peut-être. Elle fait quoi ta mère ? Employée de maison. Pas sûre que j’aurais été moins moquée dans la cour de récré, mais sans doute aurais-je moins menti. Je lui ai inventé tant de jobs, à ma mère : boulangère, caissière, vendeuse, secrétaire, hôtesse de l’air. À peu près tout sauf prof. Enseignante, je n’osais pas. Je crois qu’inconsciemment, ce métier, je me le réservais. Moi, mes CE2, je ne leur demande jamais ce que font leurs parents, je m’en fiche, ça change quoi ? Je dis, Votre nom me suffit, et parfois j’en vois qui sourient. Ma mère à moi s’appelle Sylvie. Sylvie Bonhomme. Elle a 48 ans et entretient le logement des gens depuis l’âge de 22 ans. Elle a donc passé l’essentiel de son temps à faire le ménage pour les autres. Vingt-six ans, précisément. J’ai décidé de la mettre en lumière, moi aussi. Pour raconter ce qui lui est arrivé, son histoire à elle qui n’en a jamais fait. C’est maintenant ou jamais, je le sais. J’ai conscience que mon point de vue est biaisé par la colère autant que par mon lien de parenté, pourtant cela ne m’empêchera pas de donner la parole à ma mère. Tout le monde l’a toujours utilisée pour ses bras, moi je veux faire entendre sa voix. Elle a passé sa vie à se démener pour faire disparaître la crasse, sans jamais laisser aucune trace de son passage. Eh bien, moi, je ne passerai pas l’éponge. Il ne s’agit pas de venger ma mère puisque ce verbe lui déplaît. Mais je ne laisserai personne salir sa réputation. Ni Anaïs, ni Adrien. Moi, c’est son honneur que je veux laver.

Louons la maison, Anaïs chérie, m’avait incitée Adrien. Louons ensemble le Seigneur, a dit le père Denis, dont je m’efforçais de fixer l’étole violette pour ne pas m’effondrer. Il avait fallu cette prière à la paroisse Saint-Eubert, noire de manteaux noirs, pour que les deux phrases se télescopent, que le verbe louer me saute au visage et que je prenne soudain conscience de l’ignominie de sa polysémie. Louer sa résidence secondaire, et puis louer le Christ. Célébrer le fils de Dieu quand on a perdu le sien après avoir concédé l’usage de son logement contre paiement à quelqu’un. Louons, louons. Un seul et même terme pour évoquer deux réalités éloignées qui percutent nos cœurs endeuillés. Je n’avais pas remis les pieds dans une église depuis des années, depuis le baptême de Joseph, douze ans auparavant, si je compte bien, et évidemment je compte bien. J’avais suivi des cours de cathé pendant des lustres, étudié des tas de passages de l’Ancien et du Nouveau Testament, commenté longuement l’épisode de la mer Morte et l’arrivée à Bethléem que j’aimais tant, j’avais célébré les apôtres, prié le père des cieux, sa mère Marie, Vierge sainte que drape le soleil, puis j’avais loué ma maison pour gagner un peu d’argent et signé ma perte.

Deuxième acte
Peu importent les diplômes, peu importe la réussite, je resterai toute ma vie sa fille. Fille de femme de ménage. Je croyais que ça m’était passé, que cette étiquette s’était envolée avec la honte, mais non. Je le comprends tout à coup, à l’aéroport, debout dans cette file de passagers qui attendent d’embarquer, engloutis par leur portable. Soudain je remarque cette dame à laquelle personne ne prête attention. Elle a le regard rivé au sol, et mes yeux à moi ne peuvent s’empêcher de s’accrocher à la poche de sa blouse, trop serrée, puis de descendre le long de son bras au bout duquel va, vient et revient, inlassablement, un balai extensible qu’elle a pris soin d’ajuster à sa taille. Ses poils ont perdu de leur blancheur mais pas de leur tonus, puisque la vivacité avec laquelle ils dépoussièrent, c’est elle qui la leur donne. Faut-il être fille de femme de ménage pour remarquer la longue poignée réglable qui lui évite de se pencher, l’extrémité en caoutchouc de la pelle à poussière et son bord doux qui s’adapte mieux au sol et empêche les débris de passer en dessous ? Peut-être pas. Peut-être que d’autres gens le voient. Peut-être que d’autres gens collectionnent mentalement comme moi ces silhouettes croisées dans l’allée du supermarché, dans les halls, à l’hôpital, la piscine, la mairie ou à la gare, dans toutes ces salles où se perdent leurs pas. Peut-être repèrent-ils aussi ces publicités pour les femmes de ménage, qui fleurissent décidément partout. C’est l’effet septembre. Leur seul et unique moment de gloire de l’année. Crayons, cartables, cahiers, aide aux devoirs et au ménage, elles font partie du kit de rentrée. Ligne 6, au détour d’un couloir, le sourire confiant d’une femme anonyme me cueille. L’affiche a été savamment placée, juste au-dessus de la rampe de l’escalier, si bien qu’elle plonge ses yeux dans les miens. Celle-là n’a rien d’une star, elle porte un tablier vert, des gants assortis, frotte d’une main un plan de travail déjà rutilant et de l’autre brandit un pschitt de nettoyage qui lui donne l’air mutin d’un gosse armé d’un pistolet à eau. Helpling a choisi de communiquer sur la simplicité de son offre sans engagement, fondée sur la réservation et la gestion en ligne avec un chargé de clientèle, et de mettre en avant le prix, 26,40 euros de l’heure, soit 13,20 euros avec l’avance immédiate de crédit d’impôt. Mais moi, ce qui retient mon attention, au-delà du sourire de la dame qui n’a pas l’air harassée mais heureuse d’avoir travaillé, puisqu’il s’agit d’un mensonge, d’une publicité, c’est une expression, encore une, à croire qu’elles me hérissent toutes, une expression en caractère gras : ménage à domicile. Le ménage des gens peut-il se faire ailleurs qu’à domicile ?

Il faut reconnaître que nous avons été heureux dans cette maison. Nous nous étions démenés pour la remettre en état quand Adrien en a hérité et en avons bien profité lorsque les enfants étaient petits. Les regarder courir, faire du patin, du camion ou de la trottinette dans la cour, c’était autrement plus agréable que de les entendre crier dans notre appartement lillois, où j’ai toujours eu envie de pousser les murs. Pourtant la Marseillaise que je resterai toute ma vie n’a jamais particulièrement apprécié cette station balnéaire d’exception où, n’en déplaise à l’office de tourisme du Touquet, j’ai toujours eu froid, quelle que soit la saison. Sur le site de la ville figurent toutes les activités possibles et imaginables. Au printemps, tennis ou char à voile ; en été, clubs de plage pour les enfants, Hélio, Joie de vivre ou Mickey, sans jamais quitter l’attirail bonnet-K-way, et toujours un chandail sur les épaules même si soleil et maillot (aucun topless envisageable, quand bien même s’y prêterait la météo) ; à l’automne, équitation, cheval ou poney, balades, reprises dans le manège ou la carrière ; et en hiver golf, neuf ou dix-huit trous, parcours mer ou forêt, au choix. Enfin, sur le papier. Car en réalité, notre programme se résumait à nous planquer en permanence dans le patio et à nous coller aux cabines ensablées pour braver les bourrasques, en bottes ou en Bensimon. Le bon air à deux heures de Lille, clamait Adrien. Tu parles. Sempiternel temps de chien et un vent à décorner les bœufs, contre lequel il fallait pédaler. Et puis quand l’été il faisait enfin beau, préciser par miracle serait faire preuve de mauvaise foi, car cela arrivait tout de même certaines années, le ciel sans nuage, le sable brûlant et les pelouses cramées avec interdiction d’arroser ; quand l’été, il faisait enfin beau, alors trop chaud. Je ne savais pas où me jeter, surtout pas dans la mer, jaune et sale à cause du sable sans cesse remué. La Manche et ses puces, j’en avais soupé. J’ai fini par ne plus vouloir y aller. Les calanques me manquaient. Et si on vendait la maison pour redescendre dans le Sud ? Adrien a répondu, Oui mais. Et bien sûr c’était juste une façon de ne pas dire non. Il fallait attendre pour la vendre. Rapport aux impôts, si on ne voulait pas en payer trop, et Adrien ne voulait pas. Et puis de toute façon les prix se sont envolés depuis l’installation des Macron à l’Élysée, les curieux n’en finissent pas de défiler rue Saint-Jean, devant la villa des Trogneux, dans l’espoir d’apercevoir la première Dame, ses filles ou leur beau-père Président. La pierre reste un placement excellent. Rien de plus prudent en ces temps d’inflation, alors autant garder cette maison, arguait Adrien, mais on pourrait la louer. Tout le monde loue, pourquoi pas nous ? C’est ainsi que l’aventure Airbnb a commencé. Je n’étais pas emballée au départ. L’idée que des inconnus séjournent chez moi et, pire, dorment dans mon lit, me dégoûtait. Mais Adrien avait réponse à tout. Si ce n’est qu’une question de literie, ma chérie, on rachète couettes, oreillers, on double les protège matelas d’une alèse, et l’affaire est réglée. Quant au ménage et à la gestion des locataires, tu n’auras rien à faire, on confie tout ça à Sylvie. J’ai toujours eu confiance en Sylvie. À la clé, il y avait la perspective de passer des week-ends dans le Midi et le mois d’août en Corse, des déjeuners à l’ombre du figuier, des plongeons dans la piscine et dans les eaux vraiment bleues de la Méditerranée, alors j’ai cédé, dit Oui, va pour Airbnb, et fermé les yeux sur les étrangers qui feraient l’amour dans mon lit.

Il y a tant de chiffres au cadenas du regret. 570 000. Je suis tombée sur ce nombre, quelques semaines après le drame, au détour d’un article du journal Le Monde, et c’est comme si j’étais restée allongée à côté de lui. Chacun de ses chiffres, le 5, le 7 et les quatre zéros, s’affiche en gros, depuis des jours et des jours, dans mon cerveau. Ils me suivent à la trace sous la douche, dans le métro, la cour de récré, au tableau, et même au fond de la piscine où je suis retournée pour tenter de les noyer. En vain. Ces parasites pullulent, envahissent la classe, l’écran de mon ordinateur, s’immiscent entre les lignes des cahiers que je corrige et des romans que je n’arrive plus à lire, me poursuivent jusque dans mon lit, si bien que j’ai fini par coucher contre eux mes insomnies. Où se cache ma mère ? Je la devine dans un des zéros. Sans doute parce que quatre d’un coup, ça fait beaucoup. Une forêt dans laquelle se glisser et s’égarer. Pourtant c’est idiot, car contrairement à ces femmes sans nom, Mélanie, Chary, Amandine de Shiva et à cette dame dont Helpling ne juge pas nécessaire d’indiquer le prénom, ma mère n’a jamais fait partie des 570 000 personnes employées par les 15 000 entreprises de propreté que compte la France et qui réalisent à elles toutes 17 milliards d’euros de chiffres d’affaires. Jamais. Cela ne m’a pas empêchée d’imprimer l’article, ni de le coller dans ce carnet où j’amasse, page après page, une documentation aux tristes airs de pièces à conviction. Ma mère travaillait seule, au noir le plus souvent, parfois déclarée mais toujours à son compte. Elle disait Je bosse pour moi, même si c’était pour moi, sa fille. Disait Je bosse pour moi alors qu’elle se tuait à la tâche chez les autres, et bien sûr elle souriait lorsqu’elle disait ça. Cette phrase dans sa bouche, c’était un pied de nez, un poing levé. Une caresse sur mes cheveux emmêlés et ma mine inquiète qu’elle se saigne sans jamais se plaindre. Elle avait beau se redresser pour prononcer ces mots, Je bosse pour moi, se tenir bien droite, tête haute, épaules en arrière, chaque fois que je les entendais, petite, j’avais peur qu’une bosse de chameau finisse par lui pousser, qu’elle hérisse ce dos qui la faisait souffrir après tant d’heures à passer l’aspiro et qu’elle déforme un peu plus encore ses bras musclés qu’elle ne baissait jamais. Ce matin, l’évidence a éclaté. Une vraie bombe à retardement, programmée il y a cinq ans. J’ai compris pourquoi ce 5, ce 7 et cette horde de zéros ne me lâchaient pas d’une semelle. À cause d’eux, ou peut-être devrais-je finalement dire grâce à eux, m’est revenue la combinaison, 5700, de cette maudite boîte à clés.

Adieu, la bonne vieille planque sous le paillasson ou le pot de fleurs. Les clés ne se cachent plus désormais, elles s’exhibent. S’enferment au vu et au su de tous dans des boîtiers sécurisés. Est-ce que la colère rend folle ? Lorsque je marche, mes yeux scannent désormais malgré moi l’entrée des immeubles, s’accrochent aux murs, aux portails, aux barrières, aux portes des maisons. Ça tourne à l’obsession. Je n’ai même plus besoin de chercher ces foutues boîtes à clés, je les trouve partout, jusqu’à la laverie automatique. Je ne suis pas la seule à les pourchasser, je l’ai compris ce matin en tombant sur deux gars de l’équipe municipale, armés d’une scie pour faire sauter, un à un, les dizaines de boîtiers suspendus aux grilles vertes du square. Que comptent-ils en faire ? Vont-ils remplacer les grilles par des panneaux vitrés comme sur le pont des Arts où fleurissaient plusieurs centaines de kilos de cadenas jusqu’à ce que le grillage de la passerelle s’effondre en 2014 ? On peut se procurer ces boîtes en un clic pour la modique somme de 5 euros, mais le modèle d’Anaïs, dont j’ai retrouvé la trace sur Internet, coûte 14,99 euros. Il faut se figurer un coffret mural, étanche, gris et noir sur le côté, 120 × 96 × 40 mm à l’extérieur et 85 × 62 × 30 mm à l’intérieur. Je regrette de ne découvrir ces mesures que maintenant. Si j’en avais eu connaissance, j’aurais pu réconforter ma mère. Cela me désolait de l’entendre raconter qu’elle ne s’en sortait pas, devait lutter pendant une éternité, s’y reprendre jusqu’à trois fois pour réussir à loger la clé. Ma mère incriminait ses phalanges gonflées, déformées par toutes ces années de travail. C’est à cause de mes gros doigts, pestait-elle, si je n’y arrive pas, et ces mots faisaient enfler ma rage qu’aujourd’hui plus rien ne retient. J’ai pris des captures d’écran de certains avis de consommateurs, les ai imprimées puis agrafées dans mon cahier, sans trop savoir pourquoi. « Les clés bloquent la fermeture et il faut bien les positionner sur le bas sinon elles coincent aussi l’ouverture », conseille Anne62 qui déplore l’étroitesse du compartiment intérieur. Tant de stress, tout ce temps que maman a passé et perdu à répéter ce pauvre geste qu’une inconnue décrit si bien. Si j’avais lu cette remarque quand a démarré le manège d’Anaïs, j’aurais pu déculpabiliser ma mère, lui assurer qu’elle n’était pas la seule dans cette galère. J’ignorais que des solidarités peuvent se nouer au détour des avis de consommateurs, qu’on y trouve parfois des frères et des sœurs. Maintenant je le sais. #balancetaboîteàclés.
Cette foutue boîte, Anaïs l’a installée sans crier gare. Le 18 mai 2018. Ma mère se souvient précisément de la date, car Madame lui avait demandé de venir lui donner un coup de main la veille du week-end de Pentecôte. C’est l’expression qu’elle emploie depuis toujours, coup de main, alors qu’elle n’a jamais levé le petit doigt, jamais aidé ma mère à faire quoi que ce soit. Sans doute une façon d’éviter de prononcer le mot ménage qu’elle doit juger honteux, trop salissant. Ce jour-là, ça sonne tandis que maman nettoie le four. Anaïs se précipite, salue le facteur, récupère son colis, se réjouit de découvrir qu’il s’agit du carton qu’elle a commandé il y a moins de vingt-quatre heures et le déballe sans attendre. Elle en extrait le boîtier gris et noir, se plonge quelques minutes dans la notice qui l’accompagne puis file dans la buanderie, en ressort munie de la caisse à outils et ouvre la baie vitrée. Maman la voit s’agiter depuis l’intérieur, multiplier les allées et venues. Le bruit de l’aspirateur qu’elle a allumé ne l’empêche pas d’entendre Anaïs cogiter. La voilà qui se positionne devant l’abri à vélos, le scrute de bas en haut, passe la main plusieurs fois sur les poteaux, décide visiblement que ce sera là, sur le premier. Elle n’a jamais été bricoleuse, pourtant ce jour-là il lui faut moins d’une minute pour déterminer l’endroit parfait, un tournevis et un tour de main pour fixer une boîte en plastique sur le montant en bois. Sylvie, venez que je vous explique tout, crie Anaïs en agitant le bras. Ma mère s’exécute, brave soldat, toujours au garde à vous. Pose ses chiffons et la rejoint dans la cour, sans imaginer une seconde, mais comment le pourrait-elle, qu’elle vient de mettre le doigt dans un engrenage qui va lui être fatal. Quatre vis ont suffi pour foutre en l’air sa vie.

Pour louer la maison sur Airbnb, il faut deux choses, avait résumé Adrien : une femme de ménage et une boîte à clés. La première on l’a déjà, la seconde, on va l’acheter. »

Extraits
« Ma mère travaillait seule, au noir le plus souvent, parfois déclarée mais toujours à son compte. Elle disait Je bosse pour moi, même si c’était pour moi, sa fille. Disait Je bosse pour moi alors qu’elle se tuait à la tâche chez les autres, et bien sûr elle souriait lorsqu’elle disait ça. Cette phrase dans sa bouche, c’était un pied de nez, un poing levé. Une caresse sur mes cheveux emmêlés et ma mine inquiète qu’elle se saigne sans jamais se plaindre. Elle avait beau se redresser pour prononcer ces mots, Je bosse pour moi, se tenir bien droite, tête haute, épaules en arrière, chaque fois que je les entendais, petite, j’avais peur qu’une bosse de chameau finisse par lui pousser, qu’elle hérisse ce dos qui la faisait souffrir après tant d’heures à passer l’aspiro et qu’elle déforme un peu plus encore ses bras musclés qu’elle ne baissait jamais. Ce matin, l’évidence a éclaté. » p. 28

« Je me suis souvent demandé si les flatteries dont elle couvrait ma mère visaient à la féliciter ou à la ficeler. Les deux sans doute. J’y ai toujours vu une façon détournée de la maintenir sous pression, de la forcer à garder l’échine courbée, le front baissé et le regard fixé sur ses chiffonnettes, sa serpillière et son balai. » p. 63

À propos de l’autrice

Amélie Cordonnier © Photo Pascal Ito

Amélie Cordonnier est l’autrice de Trancher, Un loup quelque part, Pas ce soir et En garde (Flammarion, 2018, 2020, 2022 et 2023). Ses romans sont traduits dans plusieurs langues. (Source : Éditions Flammarion) 

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